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La télévision intradiégétique (TV-I) des années 1920 aux années

CHAPITRE 3 : POUR UNE POÉTIQUE HISTORIQUE DES CAMÉRAS INTRADIÉGÉTIQUES ET DES POINTS DE VUE

3. La télévision intradiégétique (TV-I) et les images vidéo intradiégétiques (IV-I) jusqu’au début des années

3.1. La télévision intradiégétique (TV-I) des années 1920 aux années

Comme on le sait, la télévision à ses débuts est une technologie qui ne permet que le direct : le tournage et la diffusion se font en même temps. Les premiers appareils qui permettent d’enregistrer une image électronique, les enregistreurs vidéo, apparaissent à la fin des années 1950 (voir Armes, 1988). C’est une particularité importante de ce média qui le distingue des technologies en pellicule.

Dès les années 1920 et 1930, on peut établir un corpus de films qui traitent de la télévision à ses débuts. Telotte (2008) souligne comment cette nouvelle invention est utilisée dans le cadre de la science-fiction avec des films comme Metropolis (1927), The Tunnel (a.k.a. Transatlantic Tunnel, 1935), Murder by Television (1935), The Invisible Ray (1936) et S.O.S.– Tidal Wave (1939), à une époque où « television remained more a cultural idea than a practical appliance » (Telotte, 2008 : p. 39). L’auteur mentionne que la télévision est perçue comme une nouveauté aux possibilités aussi intéressantes que dangereuses, mais il ne souligne pas le traitement formel qui est réservé à cet objet dans les films qui l’utilisent.

On peut déduire que les procédés qui découlent des images produites par ces « vision machines » (Telotte, 2008) sont comparables à ceux réservés aux images filmiques à la même époque. Dans Modern Times (1935), le patron de l’usine où travaille Charlot possède une sorte de vidéophone dans son bureau qui lui permet de parler avec ses ouvriers qui travaillent sur la chaîne de montage. Les images générées par cet appareil sont montrées en PEC sous forme de cadre dans le cadre. Dans ce film, cet appareil est principalement lié au contrôle des travailleurs et aux interactions qu’il génère. Mais il s’agit là d’un exemple mineur. Trapped by Television (1935) intègre plus largement le procédé à sa structure. Le film, qui est une comédie dramatique de série B plutôt banale, met en scène un agent de crédit chargé de recouvrer les dettes de clients pour d’autres entreprises. Passionné de sciences, ce personnage décide d’aider l’inventeur d’un nouveau prototype de télévision, qui s’est endetté. L’appareil qu’ils conçoivent ensemble présente de nombreuses caractéristiques que l’on retrouve dans les premiers téléviseurs, qui apparaîtront après la Deuxième Guerre mondiale. Il fonctionne avec un tube cathodique, est uniquement en direct et nécessite une caméra pour filmer et un moniteur pour diffuser l’image générée par cette caméra, le tout en direct, sans aucun

enregistrement possible. Lors d’un dialogue dans la mise en situation, l’inventeur décrit ainsi sa machine à l’agent de crédit :

- Say, how do you call this contraction ? - That’s the televisor.

- It looks like a camera to me.

- Well it is a camera but instead of taking picutres it sends them out on the air. - You mean it sends out picture without film or nothing ?

- Yes, it’s very simple. All you do is focus in on wathever you want to take, turn the switch here and it sends out a picture. You talk, it transmits sounds.

Il est important de remarquer que, déjà à cette époque, on avait la possibilité de générer des images photographiques en mouvement sans support film, par voie électronique.

En parallèle, les personnages doivent convaincre le PDG de Paragon Broadcasting, une corporation de radiodiffusion intéressée à investir dans la télévision, de voir leur prototype. Ce dernier est manipulé par son principal associé qui veut imposer son propre prototype, jugé trop cher par le PDG et les actionnaires. Cet associé malfaisant a déjà fait enlever et assassiner par ses sbires un autre inventeur qui allait contrecarrer ses plans en proposant un prototype plus efficace et plus économique que le sien.

On peut voir le fonctionnement du fameux prototype dans trois scènes. Dans un premier temps, les protagonistes testent la machine (annexe 6, section 4, plans 1 à 3), afin de souligner l’aspect technique de leur invention qui suscite l’émerveillement. Un des protagonistes est dans une pièce devant la caméra et l’autre s’installe avec le moniteur dans une autre pièce du même appartement. Dans un deuxième temps, ils tentent une première présentation devant les actionnaires de la Paragon Broadcasting. Un des personnages filme avec la caméra un match sportif à l’extérieur et l’autre est avec le moniteur devant les actionnaires. Malheureusement, leur tentative échoue, car leur prototype a été saboté par leurs ennemis. Dans le climax (troisième temps), ils arrivent à réunir les actionnaires pour une

ultime tentative. Un des personnages est dans la salle de réunion avec le moniteur et l’autre dans son appartement avec la caméra. Mais les agents ennemis débarquent dans l’appartement pour contrecarrer leur tentative. Par chance, la caméra et le moniteur sont allumés, ce qui permet aux actionnaires de regarder en direct la bataille et de découvrir le complot, fomenté par l’associé malfaisant et de ses sbires. Le personnage dans la salle de réunion peut ainsi se rendre sur les lieux de la bataille à temps pour sauver son ami. Cela permet de créer un montage parallèle entre cette scène de bagarre et celle où les actionnaires regardent sur le moniteur ce qui se passe dans l’appartement. L’invention de l’image électronique télévisée permet de jouer avec le tournage et la diffusion en temps réel, ce qui était impossible avec l’image argentique.

Dans ce film, les PEC sont les seules options de présentation pour les images télévisées et, encore une fois, les PDVM sont absents. On peut remarquer une tentative de créer des stratégies de différenciation entre les images télévisées et celles en CAM-O par un rac-focus au début des diffusions, ce qui semble une préfiguration abstraite de la texture particulière de l’image vidéo.98

La télévision intradiégétique (TV-I) devient un procédé plus important à partir des années 1950, en parallèle, bien évidemment, à l’essor de ce média dans la société. A Star Is Born (1954) est un exemple de cette nouvelle réalité et peut-être un des plus complexes. On en retrouve quelques autres à la même époque qui permettent de mieux comprendre comment les cinéastes ont intégré le procédé.

Dans The Seven Year Itch (1955), Richard Sherman, le personnage principal, a le béguin pour sa voisine, interprétée par Marilyn Monroe. Après l’avoir courtisée innocemment,

98 On peut aussi comparer ce film à The Cameraman pour l’importance qu’il accorde aux explications techniques

il s’imagine qu’elle va lui tomber dans les bras. Une scène subjective, imaginée par Sherman, montre Marilyn en train d’être filmée en direct pour une publicité sur un plateau de tournage de télévision. Deux CAM-I sont montrées sur les côtés, pendant qu’un travelling avant amène le spectateur vers un gros plan de Marilyn, qui regarde la caméra. Cette scène d’un PDVM ambigu est similaire à une des scènes du film The cameraman. Après ce plan, on passe à un PEC d’un téléviseur où est diffusée la même image de Marilyn, pour enchaîner avec un travelling arrière qui dévoile le fils de Sherman en vacances près d’un lac, qui regarde la publicité et qui appelle sa mère pour qu’elle la voit. Contrairement à la PROJO-I qui est montrée exclusivement en direct dans un même lieu, la diffusion de la TV-I permet de voyager aisément entre les espaces, d’un écran à un autre diffusant la même image.

Le défi d’intégration des IV-I n’est pas simple au départ à cause de la basse résolution de l’image vidéo télévisée. Le film Will Success Spoil Rock Hunter (1957) et le court métrage d’animation T.V. of Tomorrow (1953) parodient chacun à leurs façons les différents défauts de ce type d’image. Dans une courte scène du film, Tony Randall, qui interprète Rock Hunter, le personnage principal du film, interrompt le film en cours pour s’adresser au public et saluer les TV fans. Il est filmé en plan taille devant un immense rideau de couleur, le tout en format Cinemascope. Alors qu’il parle, le cadre dans le cadre se réduit progressivement, pour imiter le format 4 :3 d’un téléviseur des années 1950. L’image passe de la couleur au noir et blanc, pour ensuite se modifier de différentes manières pour illustrer les défauts de la télévision analogique. Quant à T.V. of Tomorrow, il présente lui aussi les défauts de ce type de télévision pour en rire dans le cadre d’un film d’animation.

L’enjeu de l’utilisation de la TV-I et, bientôt, de toute forme d’IV-I en général, est donc intéressant puisque son intégration formelle pose un problème technique et artistique que

les cinéastes doivent résoudre. La télévision et la vidéo proposent des images de différentes natures que celles du cinéma (du moins, jusqu’à l’arrivée du cinéma numérique). D’un côté, on parle d’une image électronique (qu’elle soit analogique ou numérique, peu importe) et, de l’autre, d’une image en pellicule argentique. Jusqu’à l’émergence des systèmes vidéo de meilleure qualité, les cinéastes doivent surtout choisir entre deux maux : une option « réaliste en mauvaise définition » qui utilise de véritables IV-I avec leurs défauts techniques ou une option « triche de qualité » avec un cache-contre-cache où l’on fait passer une image pellicule pour une image vidéo, ce qui permet une qualité d’image « professionnelle », où les défauts associés aux images électroniques sont absents, ce qui ressemble aux stratégies déjà soulignées pour les PROJO-I dans les débuts du cinéma.

Dans les années 1950, l’option de la triche semble utilisée de façon exclusive, sauf pour les exceptions ci-haut mentionnées qui mettent en valeur les défauts techniques de l’image télévisée à des fins parodiques, un peu dans le même esprit que les défauts de tournage et de projection dans Hellzapoppin’. Par exemple, Will Success Spoil Rock Hunter présente régulièrement des TV-I intégrés en « triche ». Dans les années 1960, le développement de la télévision et de la vidéo va permettre de voir les premières véritables images vidéo à l’écran. The Ladies Man (1961) offre un éventail assez élaboré d’IV-I utilisant l’option « réaliste ». Durant une longue scène, une équipe de télévision vient tourner une émission dans la résidence où travaille Herby, le personnage de Lewis. Quelques plans montrent en two shots un moniteur vidéo qui diffuse ce que la caméra de télévision filme d’un côté, et ce qui est en train de se tourner à l’arrière-plan. Les gags reposent justement sur le principe que tout est en direct : Herby intervient dans le cadre de manière inappropriée, sans que l’on puisse contrôler ou modifier ses interventions catastrophiques, par un montage après

coup par exemple. Sans doute, l’utilisation du système de video assist, dont l’invention est quelquefois attribuée à Jerry Lewis lui-même, y est pour quelque chose (voir Pomerance, 2002).

À partir de là et jusque dans les années 1980, les deux options semblent être assez répandues, sans qu’il y en ait une qui domine plus qu’une autre. Bien que plusieurs films utilisent des images vidéo réelles pour leurs TV-I, plusieurs autres, sans doute autant, vont dans l’autre direction. Globalement, il est clair que, dans un cas comme dans l’autre, à l’exception des films en PDVM qui seront abordés au chapitre 4, l’utilisation d’images vidéo au cinéma demeure mineure. Dans Rosemary’s Baby (1968), le personnage de Rosemary Woodhouse regarde une publicité de son mari, Guy, à la télévision, qui est « réaliste » en noir et blanc, alors que, dans l’introduction de For Your Eyes Only (1981), l’antagoniste de James Bond a un hélicoptère téléguidé par des moyens vidéo qui offrent une image en « triche ».

La tendance sur l’utilisation de la TV-I change dans les années 2000, où l’option « réaliste » devient prédominante, voire unique, en grande partie parce que la qualité des images vidéo s’est grandement améliorée. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu un travail de « triche » pour rendre les images vidéo léchées et « professionnelles », mais ces images deviennent plus courantes à l’écran et sont présentées telles quelles, en format vidéo plutôt qu’en format pellicule.

3.2. Le rôle des caméras vidéo intradiégétiques (CAM-V-I) et les point de vue robotisés

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