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Le caméscope intradiégétique (CI) et la caméra intradiégétique (CAM-I) : deux procédés narratifs qui relèvent des médias diégétisés et des médiatisations

2. Les principaux procédés à l’étude : définitions théoriques

2.1. Le caméscope intradiégétique (CI) et la caméra intradiégétique (CAM-I) : deux procédés narratifs qui relèvent des médias diégétisés et des médiatisations

intradiégétiques (MED-I)

Pour comprendre le PDVM, il est préférable de parler d’abord du caméscope intradiégétique (CI) et de la caméra intradiégétique (CAM-I). Traitons dans un premier temps de la CAM-I seule, un concept développé au départ par Éric Bourassa (2006). Comme le souligne Jean-Philippe Morin à sa suite, « la principale caractéristique [de la CAM-I] s’avère être sa présence physique dans l’univers du récit ; elle est actorialisée, jamais invisible, et entièrement aux mains du personnage » (2013 : p. 63). Cette définition met de l’avant-plan les deux attributs principaux de la CAM-I, à savoir : 1. Sa présence à l’intérieur d’un récit filmique ; 2. La relation qu’elle entretient à la narration du récit. Toutefois, elle comporte certaines lacunes. D’abord, contrairement à ce que soutient Morin, une CAM-I peut être invisible, comme c’était le cas dans l’exemple de Toy Story 3 mentionné plus haut. De plus, elle peut échapper aux mains du personnage, lorsqu’elle se retrouve sur un trépied, une

6 Ces problèmes sont synthétisés dans Gaudreault et Jost, 1990 : p. 127-144. Notons aussi les problèmes de la

situation fréquente chez Robert Morin (Bourassa, 2006), ou lorsqu’elle est abandonnée par les personnages ou est actionnée par accident, comme on le voit par exemple dans Cloverfield (2008). Ce qui compte avec la CAM-I n’est pas le rapport au personnage mais à la diégèse : elle doit être un objet concret dans celle-ci. Elle se définit plutôt par sa « présence physique dans l’univers du récit » (Morin, op. cité).

Cette définition, aussi, ne précise pas ce qui fait son statut « intradiégétique ». Nous proposons de le faire ici. Pour avoir un statut « intradiégétique », une caméra présente physiquement dans une diégèse filmique doit proposer une focalisation interne, en lien avec la fonction de narrateur intradiégétique en narratologie (voir Genette, 1972)7. Pour ce faire, ce que cette caméra filme doit être montré d’une façon ou d’une autre à l’intérieur de la diégèse. Nous préciserons au point suivant que ce qui est filmé peut être montré tant en direct, dans la scène en cours, que par la suite du tournage, par une projection ou une diffusion quelconque, voire précédemment par un flashback. Par opposition, on peut retrouver alors des cas de caméras « diégétiques » qui ne sont pas « intra-diégétiques ». Dans Social Network (2010), Mark Zuckerberg (Jesse Eisenberg) tient un caméscope pour filmer ses amis qui descendent à la tyrolienne d’une cheminée à sa piscine. Jamais ce que filme ce caméscope n’est montré ou entendu, tant au moment de l’action que par la suite, ou précédemment. Dans ce cas, ce caméscope fait office d’objet diégétique parmi d’autres, sans proposer de focalisation particulière à l’intérieur du récit, et représente un simple « caméscope diégétique ».

Finalement, le concept de CAM-I limite le champ d’étude des possibles en ce qui a trait à la présence de d’autres médias dans une narration filmique. On peut penser à toutes les formes de médiatisations qui pourraient exister dans une diégèse, comme celles provenant

7 À notre sens, la même remarque vaut pour le problème de l’ocularisation interne de Jost (1987). Nous préférons

d’un téléphone, d’un ordinateur, d’un téléviseur, d’un écran, voire d’un livre, d’une toile, d’un spectacle théâtral ou autres, et on pourrait leur appliquer le même problème de statut diégétique ou intradiégétique.

Afin de clarifier ces différentes situations, nous proposons d’élargir le concept de la CAM-I en traitant de façon plus générale de « médias diégétisés ». Ceux-ci représentent toute forme de média qui existe concrètement, physiquement dans une diégèse filmique. On peut sous-diviser les médias diégétisés en deux catégories : les « médiatisations intradiégétiques » (MED-I) et les « médias diégétiques » (MED-D). Les médiatisations intradiégétiques représentent les situations où un média effectue une quelconque médiatisation à l’intérieur de la diégèse, visible ou audible par le spectateur. La focalisation passe alors par le biais de cette médiatisation, qui occupe alors une fonction comparable à un narrateur intradiégétique. Elle devient de fait une « médiatisation intradiégétique ». À l’opposé, lorsqu’un média diégétisé n’occupe pas de statut intradiégétique défini, lorsqu’il ne fait qu’apparaître physiquement ou être suggéré par le récit, il n’est alors qu’un média diégétique (MED-D). Une caméra présente à l’intérieur d’une diégèse peut donc être diégétique (CAM-D) ou intradiégétique (CAM-I), selon que l’on voit ou non les images qu’elle tourne, selon que l’on puisse avoir accès à ce qu’elle « médiatise » ou non. Le caméscope intradiégétique (CI) représente par le fait même une possibilité parmi d’autres de CAM-I. C’est-à-dire qu’il signifie plus spécifiquement les cas où une caméra intradiégétique est un caméscope plutôt qu’un autre type de caméra.

Le tableau de l’annexe 3 montre la hiérarchisation qui existe entre ces différents procédés narratifs. On y comprend qu’il y a un ensemble général, représenté par les médias diégétisés, dans lequel se retrouvent d’un côté les médias diégétiques (MED-D), les caméras diégétiques (CAM-D) et les caméscopes diégétiques (CD), et d’un autre les médiatisations

intradiégétiques (MED-I), les caméras intradiégétiques (CAM-I) et les caméscopes intradiégétiques (CI). Le schéma peut aussi être compris à l’inverse, de bas en haut : le caméscope intradiégétique (CI) se comprend ainsi à la fois comme un exemple de caméra intradiégétique (CAM-I), de médiatisation intradiégétique (MED-I) et de média diégétisé.

Le CI ne peut pas être compris sans la CAM-I puisqu’il découle de la CAM-I. Comme le caméscope est avant tout une caméra, on comprend aisément que l’un s’inscrit comme une occurrence de l’autre. Étant donné cette corrélation, la comparaison entre le CI et la CAM-I sera fréquente. Blair Witch Project (BWP) présente d’ailleurs l’un et l’autre, puisqu’on retrouve deux CAM-I différentes, soit une caméra 16mm N&B et un caméscope Hi-8 couleur. En conséquence, pour faciliter la compréhension, la première caméra (16mm) sera considérée comme une CAM-I et la seconde (caméscope) comme un CI. En outre, le terme CAM-I sera utilisé pour distinguer une caméra intradiégétique qui fonctionne avec une pellicule. Les « caméras vidéo intradiégétiques » (CAM-V-I), désigneront des caméras vidéo qui ne sont pas des caméscopes.

Donc, le CI est en lien avec la CAM-I, mais aussi avec les MED-I. À l’occasion, certains liens entre diverses MED-I pourront s’avérer significatifs : par exemple, dans American Beauty (AM), le caméscope est ponctuellement mis en parallèle avec des photographies en noir et blanc de la famille Burnham. Le danger de ces comparaisons est de chercher à extrapoler vers une « Grande Théorie » des médias diégétisés dans l’absolu, une voie qui dépasse l’approche et la méthode de cette thèse. Les expressions définies doivent être comprises comme des concepts opératoires qui servent à identifier des éléments de films à analyser dont la CAM-I et le CI font partie, et non comme une ou des forme(s) significative(s) en soi, ayant une ontologie propre et distincte qu’il faudrait relever par la théorie.

2.2. Le point de vue médiatisé (PDVM) : un procédé de style connexe au plan-écran (PE)

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