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LE FILM EN POINT DE VUE MÉDIATISÉ : DÉFINITION ET ANALYSE

Le chapitre précédent a permis de relever comment l’évolution du point de vue médiatisé au cinéma s’est faite de façon progressive. Jusque dans les années 1960, le procédé a été utilisé de façon ambiguë, alors que d’autres procédés semblables comme les projections intradiégétiques étaient bien en place. Ceci est en contraste avec ce que nous avions observé dans le chapitre 2, où le point de vue médiatisé dans American Beauty (1999) était un procédé majeur, utilisé de façon claire et cohérente, en conjonction avec le caméscope intradiégétique.

Le présent chapitre repart sur une constatation faite dans notre parcours, afin de la déployer. Avec David Holzman’s Diary (1967), nous avions souligné un cas de film particulier, où la narration repose entièrement sur des points de vue médiatisé (chapitre 3). Ce cas annonce une tendance de fond qui continuera dans les années 1970, 1980 et 1990, pour devenir encore plus présente dans les années 2000 et 2010 avec le « found footage populaire ». Nous arrêtons donc momentanément la réflexion poétique historique entamée au chapitre précédent afin d’expliquer ces cas plus particuliers, que nous appelons des « films en points de vue médiatisés ». Ceux-ci seront importants pour mieux comprendre la suite de notre discours poétique historique, qui reprendra dans le chapitre suivant. De plus, cela nous permettra d’appliquer les outils de l’analyse néoformaliste autrement que ce qui a déjà été fait. Plutôt que d’analyser un seul film de façon isolée provenant d’un style déterminé (chapitre 2), nous allons plutôt comparer un ensemble de films entre eux, provenant de différentes époques et de différents contextes stylistiques, afin d’en dégager des tendances importantes.

1. Définition du film en point de vue médiatisé (film en PDVM)

À leur plus simple expression, les films en point de vue médiatisé (films en PDVM) se reconnaissent par une caractéristique formelle unique, qui est celle d’avoir une narration qui repose entièrement sur un ou plusieurs PDVM. Dans ce type de films, tout se déroule selon le « point de vision » d’une ou de différentes CAM-I100, dans un mode indirect101.

La question qui se pose d’abord est de savoir si cette catégorie de film constitue un genre. Rick Altman a démontré que, pour pouvoir reconnaître un genre, il fallait être capable d’identifier à la fois ses éléments sémantiques et syntaxiques à travers une approche « sémantique/syntaxique » (1984). Il définit ces deux aspects ainsi :

At times, we invoke generic terminology because multiple texts share the same building blocks (these semantic elements might be common topics, shared plots, key scenes, character types, familiar objects or recognizable shots and sounds). At other times we recognize generic affiliation because a group of texts organizes those building blocks in a similar manner (as seen through such shared syntactic aspects as plot structure, character relationships or image and sound montage). (1999: p. 89)

Le film en PDVM part d’un élément sémantique unique : la contrainte de tout filmer en PDVM. La question est de savoir si d’autres aspects sémantiques existent entre les films qui utilisent ce procédé et, par conséquent, si une syntaxe existe. Comme nous allons le voir, les films en PDVM partagent un ensemble de traits communs et cohérents quant à leur narration et à leur style.

Toutefois, s’il peut être reconnaissable sur le plan formel, le film en PDVM n’est pas

100 Techniquement, il faudrait dire des MED-I, mais comme dans la grande majorité des cas, les films en PDVM

sont construits autour de CAM-I, il me paraît plus logique de parler seulement de CAM-I. Les cas d’exceptions, comme lorsque le PDVM provient d’un cellulaire, d’un ordinateur ou d’une autre source médiatique qu’une CAM-I, demeurent rares.

un genre au sens plein du terme. Comme le rappelle Altman : « For a genre to exist, a large number of texts must be produced, broadly distributed, exhibited to an extensive audience and received in a rather homogenous manner » (1999: p. 84). C’est donc qu’en plus des éléments syntaxiques et sémantiques, le genre doit aussi s’inscrire dans une pragmatique, en lien avec un contexte de réception ou des discours par exemple – d’où la revendication d’Altman d’une approche « sémantique/syntaxique/pragmatique »102.

Or, cette catégorie de film que nous cherchons à identifier n’a actuellement aucun nom, elle n’est pas définie et elle n’est rattachée à aucun discours populaire, critique ou commercial. C’est pourquoi elle ne peut pas être considérée comme un genre. Elle constitue plutôt un cycle, une série ou un sous-genre reconnaissable parmi d’autres genres, comme le faux documentaire et le « found footage » populaire (à ne pas confondre avec le « found footage » expérimental, comme on le précisera plus loin).

Ceci dit, ces deux genres – le faux documentaire et le found footage –, tels qu’ils existent actuellement, ne rendent pas compte du phénomène que l’on cherche à identifier : ils intègrent tous les deux le film en PDVM d’une façon ou d’une autre, mais ils ne soulignent pas les caractéristiques formelles de ce cycle ou de cette série spécifique de façon claire. D’un autre côté, lorsqu’on dégage cette catégorie des autres genres et qu’on la considère de façon autonome, ses aspects sémantiques et syntaxiques sont plutôt stables, et ce, pour un ensemble de films échelonnés sur près d’un demi-siècle d’histoire du cinéma, de la fin des années 1960 à nos jours. C’est pour cette raison qu’on traitera de cette catégorie comme d’un « genre

102 Cette approche est défendue par Altman plus en détail dans Film/Genre (1999), comme une révision de son

approche précédente « sémantique/syntaxique » (voir la conclusion de l’ouvrage, p. 207-215). Entre autres, Altman utilise les publicités des films pour démontrer comment le genre est utilisé par les compagnies de production à certaines fins, qui ne correspondent pas nécessairement aux théories des genres utilisées par les critiques ou les universitaires. À ce sujet, voir aussi Arsenault, 2010, qui explique plus en détail les intérêts de la pragmatique dans le cadre des études génériques au cinéma et dans les jeux vidéo.

formel », c’est-à-dire qui ne constitue pas un genre en soi, mais qui en comporte tout de même les caractéristiques formelles.

2.1. Le film en PDVM et la réflexivité dans le faux documentaire ou « mockumentary » Comme son nom l’indique, le faux documentaire est un genre qui imite le documentaire dans un cadre fictif, peu importe les fins visées. On peut comprendre qu’il s’agit d’un genre vaste et complexe qui peut recouper diverses fins. En ce sens, le film en PDVM s’inscrit d’abord comme un sous-genre du faux documentaire, parce qu’il reprend certains codes spécifiques du mode documentaire. Cet aspect sera développé plus loin (dans le point « Recherche d’une forme directe »). Tout d’abord, il faut se pencher sur la réflexion théorique entourant le problème du faux documentaire en études cinématographiques.

Règle générale, le faux documentaire est étudié pour le renversement qu’il opère des codes traditionnels du documentaire. Par exemple, dans leur étude du faux documentaire ou « mockumentary », Craig Hight et Jane Roscoe ont développé une réflexion sur ce genre en relation avec ce qu’ils appellent le « discours factuel ». Ils s’intéressent plus particulièrement au pouvoir réflexif et critique des faux documentaires face au mode documentaire dans son ensemble. Ils stipulent que :

The mock-documentary form is a complex one, incorporating as it does a variety of filmmakers’ intentions and a range of appropriations from audiences. Our aim here is especially to promote discussion on mock-documentaries which acknowledges the evident complexity of the form, and especially the degree of reflexivity which these texts construct towards the documentary genre. (2001 : p. 64, souligné dans le texte)

À travers leur argumentation, les auteurs établissent trois degrés du « mockumentary », selon leur pouvoir de réflexivité face au documentaire, au discours factuel et à certains aspects

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