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La popularisation récente des technologies vidéo numérique au cinéma

3. Le contexte du cinéma contemporain : la montée des technologies vidéo et le style de la continuité intensifiée

3.1. La popularisation récente des technologies vidéo numérique au cinéma

Dans un premier temps, la popularité récente du PDVM s’inscrit en parallèle à la montée des technologies vidéo numériques amateurs depuis la fin des années 1990 et, indirectement, celles d’Internet. Ces technologies ont permis de faciliter grandement l’accessibilité aux images vidéo amateurs dans la société, tant sur le plan de leur fabrication que de leur consommation. Qu’on pense aux diverses technologies numériques qui permettent de tourner autant des images et des vidéos avec divers appareils (caméscopes, appareils photos numériques, téléphones portables, microordinateurs de toutes sortes, etc.) que de diffuser celles-ci rapidement via Internet. On peut simplement concevoir que, comme il y a plus de caméscopes, plus d’écrans et plus de façons de consommer des produits audiovisuels aujourd’hui, des procédés mimant ces pratiques (comme un PDVM ou PE) soient plus courants au cinéma. Aussi, cela pose deux autres questions importantes, à savoir le rôle que joue le mode amateur dans l’emploi du PDVM au cinéma et l’aspect de familiarité que le spectateur peut avoir avec ce mode lorsqu’il est utilisé à l’écran.

Un autre facteur important à prendre en considération est la numérisation du cinéma en général et le développement du tournage vidéo numérique pour le cinéma en particulier. Le terme « numérisation du cinéma » peut être entendu de deux façons. Il peut faire référence au « cinéma numérique », qui signifie un système de distribution et de diffusion de films entièrement numérisés, peu importe la manière avec laquelle ceux-ci sont fabriqués15. Plus généralement, il peut sous-entendre le processus d’intégration de diverses technologies numériques par l’industrie cinématographique au fil du temps. Depuis le début des années

15 « Digital cinema describes the packaging, distribution, and exhibition of motion pictures in digital form. This

term does not specify how those motion pictures are originated, produced, and finished. » (Swartz, 2005: p. 1). Voir aussi à ce sujet : Bomsel et Le Blanc, 2002; Bordwell, 2012a; Karagosian, 2003.

199016, les technologies numériques ont pris une importance massive à tous les stades de fabrication des images et des sons cinématographiques, que ce soit sur le plan de la pré- production, de la production, de la post-production, de la distribution ou de la diffusion des films. Cette situation a amené beaucoup de transformations dans les manières avec lesquelles les films sont fabriqués et consommés. D’une certaine façon, on peut voir aujourd’hui qu’en l’espace de deux ou trois décennies, on est passé d’un mode de production (le cinéma argentique) à un autre (le cinéma numérique), et que l’industrie cinématographique a vécu une transformation. Ce qui est fascinant pour les historiens, les critiques et les théoriciens du cinéma, c’est que l’on peut porter un regard « à chaud » sur cette transformation récente, alors qu’elle est encore en cours (voir Bordwell, 2012a).

Prenons comme exemple le tournage en vidéo numérique au cinéma. Il s’agit d’une pratique plus ou moins récente, apparue autour du milieu des années 1990, avec le boom des caméscopes vidéo numériques semi-professionnels ou « légers » au cinéma, dont le premier modèle commercialisé a été le VX-1000 de Sony (Liss, 2004). La pratique s’est d’abord popularisée dans le marché indépendant avec les formats DV, Mini-DV, DVCAM, etc. Le succès des deux premiers films du mouvement Dogme 95, Festen (1998) et Idioterne (1998), a entre autres servi à populariser le tournage en vidéo numérique léger dans l’industrie du cinéma, principalement dans les circuits d’art et d’essai et indépendants.

Le développement des caméras vidéo numériques professionnelles « lourdes » et de différents standards vidéo ayant des définitions qui se rapprochent de la pellicule argentique (du HD au 4K en passant par le 2K) a étendu la pratique du tournage en vidéo numérique au marché commercial dominant autour de 2001, avec la F900 de la série CineAlta de Sony,

16 Comme nous le soulignerons plus loin, il est possible de faire remonter les origines de la numérisation du

premier modèle commercialisé connu, pour des productions à grand déploiement aussi diverses que Vidocq (2001), Star Wars : Episode II (2002), Collateral (2004) ou Scary Movie 4 (2006)17, tout en la renforçant dans le cinéma d’auteur et indépendant, avec par exemple Saraband (2004) et Bubble (2005), ou encore dans le documentaire, comme avec La Planète Blanche (2006)18 (voir Prédal, 2008a).

Au départ reconnu par la critique comme un phénomène novateur voire révolutionnaire19, le tournage en vidéo numérique tant léger (semi-professionnel) que lourd (professionnel) est devenu en l’espace d’une décennie une pratique courante, qui s’est progressivement normalisée. Ainsi, à partir du milieu des années 2000, plusieurs films tournés en vidéo numérique ont cessé de publiciser explicitement leurs supports de tournage, alors qu’entre 1995 et 2001, il était plus fréquent qu’un film tourné en vidéo numérique mette de l’avant cet attribut particulier comme un argument de vente (parmi d’autres), comme ce fut le cas avec le mouvement Dogme 95 du côté des formats légers ou avec les deux derniers antépisodes de la série Star Wars (Episode II : Attack of the Clones, 2002 et Episode III : Revenge of the Sith, 2005) du côté des formats lourds.

Jusqu’en 2011, le tournage en vidéo numérique est demeuré un phénomène plutôt circonscrit, relégué à une minorité de productions cinématographiques ou à certains genres particuliers, comme le documentaire, où la pratique a connu un essor important20, ou encore

17 Collateral et Scary Movie 4 ont été tournés partiellement sur support vidéo numérique. 18 Sur le tournage vidéo numérique au cinéma, voir Bordwell, 2012a : p. 27-33.

19 Par exemple, dans un recensement critique du Festival international du nouveau Cinéma et des nouveaux

médias de 2001, Monica Haïm parle du phénomène la vidéo numérique comme d’un « iconoclasme » (2001).

20 La programmation des Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal (RIDM) de 2005 (Montréal)

est un bon exemple de cette tendance, où une majorité des productions présentées avait été tournée (et projetée) sur supports vidéo numériques.

dans certains films d’effets spéciaux axés sur les images de synthèse21. Mais depuis 2011, la tendance semble s’être inversée au profit du tournage vidéo numérique (Cohen, 2011). S’il manque encore les chiffres concernant seulement les productions destinées à être diffusées en salle, on peut aisément croire que le tournage vidéo numérique est devenu aujourd’hui la norme22. La publicisation récente de supports de tournage en pellicule, comme le 70mm utilisé pour The Hateful Eight (2015), démontre l’inversion de la tendance.

Autrement dit, le tournage vidéo numérique pour le cinéma est une pratique nouvellement dominante, qui a commencé à prendre son envol au milieu des années 1990 alors que de plus en plus de cinéastes ont profité du boom des caméscopes numériques pour tourner leurs films sur support vidéo plutôt que sur pellicule23.

Notre objet d’étude s’inscrit en fait dans la continuité d’une réflexion sur ce phénomène. Certes, le tournage en vidéo numérique est devenu dominant, et ce, de façon progressive à partir des années 1990. Mais en traitant plus spécifiquement du CI et du PDVM, nous voulons démontrer que l’usage d’images vidéo au cinéma avait débuté avant cela. Poltergeist (1982), Videodrome (1983) et Next of Kin (1984), par exemple, sont tournés en pellicule argentique, mais ils intègrent des « images vidéo intradiégétiques » (IV-I), de même qu’American Beauty et d’autres films recensés dans cette thèse. Dans ces cas, nous avons des

21 En vérité, la tendance jusqu’au milieu des années 2000 était encore au tournage sur support pellicule pour une

majorité de films d’effets spéciaux, comme King Kong (2005) et War of the Worlds (2005). Toutefois, le tournage en vidéo numérique, même s’il demeure marginal, a pris un essor à partir de 2001 dans ce genre en particulier. Superman Returns (2006) et les films de Roberto Rodriguez sont un exemple de cette tendance.

22 Voir à ce sujet le documentaire Side by Side (2012) de Christopher Kenneally.

23 C’était possible de le faire avant cette date. Comme nous le soulignerons au chapitre 5, on peut remonter à Il mistero di Oberwald (1981) d’Antonioni comme un des premiers exemples de film entièrement tourné en vidéo

pour le cinéma et ayant bénéficié d’une distribution internationale. La différence est que le film avait été tourné en vidéo analogique plutôt que numérique, mais cette distinction devrait, selon nous, être plus secondaire qu’elle ne peut paraître de prime abord. Une histoire du tournage vidéo au cinéma reste encore à faire.

« interpénétrations » comme l’entendaient Colette Dubois et al (1988)24 entre les supports en cause. Et ces interpénétrations créent nécessairement un précédent pour l’histoire stylistique du cinéma que nous proposons de considérer.

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