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Le rôle des caméras vidéo intradiégétiques (CAM-V-I) et les point de vue robotisés depuis les années

CHAPITRE 3 : POUR UNE POÉTIQUE HISTORIQUE DES CAMÉRAS INTRADIÉGÉTIQUES ET DES POINTS DE VUE

3. La télévision intradiégétique (TV-I) et les images vidéo intradiégétiques (IV-I) jusqu’au début des années

3.2. Le rôle des caméras vidéo intradiégétiques (CAM-V-I) et les point de vue robotisés depuis les années

En plus de la télévision, le développement des premières caméras vidéo portative comme le Portapak de Sony et les images de synthèse vont aussi permettre le développement des « interpénétrations » entre supports électronique et photochimique.

Il est difficile de dater l’apparition des premières caméras vidéo intradiégétiques (CAM-V-I), mais deux films nous paraissent « symptomatiques » ou précurseurs d’une utilisation plus accrue et banalisée de la conjonction CAM-I, CAM-V-I ou CI et PDVM dans le cinéma classique hollywoodien, soit Star Wars (1977) et Alien (1979).

Dans une brève scène du premier, Luke Skywalker utilise des jumelles vidéos pour voir ce qu’il se passe au loin. On alterne les plans entre Luke qui regarde à l’horizon avec ses jumelles, un PDVM (qui, ici, fait aussi office de plan-PDV) des images vidéo des jumelles (incluant un masque en forme de jumelles), puis Luke qui enlève les jumelles de ces yeux. L’intégration d’une image vidéo analogique de mauvaise qualité démontre comment les défauts associés à ce type d’images deviennent assimilés. Elle pave aussi la voie à une sorte d’esthétisation de l’image vidéo, dans un cadre hollywoodien-classique. Par contre, même si l’image vidéo est utilisée, le PDVM demeure ambigu, car il peut aussi être interprété comme un plan PDV classique.

Alien pousse les choses plus loin. Après l’atterrissage de leur vaisseau spatial, une équipe de trois cosmonautes décide d’aller explorer la planète qu’ils ont découverte. Ceux-ci sont équipés de caméras vidéo, dont la fréquence est diffusée dans la tour de contrôle. Un personnage suit donc leur parcours via les moniteurs de la tour de contrôle. Plusieurs plans alternent ce personnage et l’image vidéo sur le moniteur, jusqu’à un très gros plan.

Techniquement, il ne s’agit pas tout à fait d’un PDVM mais plutôt d’un plan écran (PE). Par contre, nous sommes tout près de la logique qui va devenir monnaie courante dans les années 1990-2000, où nous aurons accès à l’image d’une caméra vidéo présente dans la scène en direct. De plus, par rapport à Star Wars, l’image vidéo est ici exploitée de manière plus élaborée et complexe, jouant avec les effets de distorsions et de textures propres à celle- ci.

Il est intéressant de noter comment Ridley Scott a fait ce choix de mise en scène particulier. Comme il le mentionne sur une des pistes de commentaires du disque Blu-Ray (Twentieth Century Fox Home Entertainment, 2010) :

This was done because I had to do it. The set was only a foot high. These rocks were about a foot and half high. And I walked in Bray and I hadn’t had time to go and see it. Saw the set and went “Oh, God.” And we just stood there. You know, necessity is really, really the mother of invention. And I sat there staring at it thinking “What the heck are you gonna do?” because Peter Voysey’s sculpture was beautiful. And I said “Has anyone got…?” And I think it must have been very early tape camera. “Who’s got a tape camera?” Said “Well, I’ve got one at home.” “Go get it.” So what I did is… I knew I couldn’t film it. First of all, I couldn’t get a camera – a Panaflex – down that low which it weighs 65 pounds, and move around like, you know, a hand-held camera, so I simply got a domestic tape camera and walked through the set like this, putting that in the background, then put it back through a TV monitor and filmed off the monitor. So that’s shy, somehow, it looks high-tech and certainly has this massive scale. And that was because I had to do it.

On voit qu’un problème d’ordre technique (un décor trop petit qui passera mal sur le grand écran si filmé tel quel) fait en sorte qu’on trouve une solution technique (le filmer avec une caméra vidéo amateur pour en atténuer les défauts) qui a des répercussions narratives et esthétiques (l’image vidéo prend une importance à l’écran, et on s’approche plus clairement de l’option du PDVM).

On peut en calculer le décalage entre cette utilisation particulière d’un PE avec IV-I, exécuté pour des raisons d’abord techniques, et la récupération qui en a été faite dans Aliens (1986), sa suite, par James Cameron. Dans ce dernier cas, on retrouve justement une scène où une escouade de militaires armée, où chaque membre étant équipés de caméra vidéo, descend dans un vaisseau, alors qu’on fait un montage parallèle fluide entre divers PE de la tour de contrôle et des PDVM dans le vaisseau, pour suivre l’action de manière plus « viscérale ».

Les CAM-V-I ne sont pas l’unique endroit où l’image vidéo va être exploitée à l’écran dans un cadre hollywoodien-classique. Les « points de vue robotisés », soit des plans PDV de personnages de robots, présents dans plusieurs films de science-fiction, requièrent souvent des techniques similaires. Westworld (1973) est peut-être l’instigateur du procédé, avec les plans- PDV d’un robot qui ont été fabriqués en images de synthèse. The Terminator (1984) en fait un usage important, alors que le PDV du Terminator ressemble à un écran d’ordinateur complexe, démontrant comment James Cameron, réalisateur aussi d’Aliens, a un intérêt marqué non seulement pour l’image de synthèse (The Abyss (1989), Terminator 2 : Judgment Day (1990), Titanic (1997), Avatar (2006)), mais aussi pour l’image vidéo. RoboCop (1987), qui va un peu dans le même sens, récupère beaucoup d’effets propres à l’image vidéo analogique, comme l’entrelacement, les effets de « neige » et de captation de signal, comme stratégies de différenciation pour marquer les plans-PDV de son personnage principal, dans un film dans lequel les médias ont aussi une grande importance thématique. À cet égard, il y a une corrélation entre ces plans et ce que l’on retrouve dans Wolfen (1981) et Predator (1987) à la même époque. En effet, la stylisation d’un certain type de plans-PDV provenant d’entités non- humaines, partagent un ensemble de stratégies de différenciation particulières. En plus des stratégies propres au plan PDV, comme le travelling avant et la caméra-épaule ou le

steadycam, ces plans vont augmenter leur degré de défamiliarisation par des procédés supplémentaires qui déforment la réalité. Ceci aide à donner la sensation d’une perception du sujet (robot, extraterrestre, monstre) à la fois différente et semblable de celle de l’humain. Dans ce cadre, les points de vue robotisés vont utiliser les défauts de l’image électronique (entrelacement, saut, glitch, neige, …) comme le signalement de malaises ressentis par le sujet non-humain par exemple99.

Bref, l’émergence et le développement des IV-I se fait dans un contexte qui comprend un ensemble de procédés et de stratégies, ou un contexte « poétique », effervescent et complexe.

4. Conclusion du chapitre

Les diverses observations sur la CAM-I au cinéma et sur les procédés connexes, comme la PROJO-I, la TV-I et les IV-I, ont permis de poser des questions sur leur évolution dans le style cinématographique. Par exemple, on peut se demander à quel moment et dans quelles circonstances les premières CAM-D sont passées au stade de CAM-I dans le cinéma des premiers temps. Au-delà de cela, il paraît évident que le PDVM, bien que déjà existant depuis au moins les années 1910, n’a pas été une option privilégiée autant dans les débuts du cinéma que par la suite dans le cinéma hollywoodien jusque dans les années 1950. Par contre, les autres procédés, comme les PROJO-I et les PE qui en découlent, étaient visiblement courants et bien utilisés.

99 War of the Worlds (1953) peut être vu comme un précurseur de ce type de plans. Dans une scène, les

personnages branchent un œil électronique martien pour en projeter l’image et ainsi, voir la vision « martienne » du monde.

Les années 1950 et 1960 ont connu un changement à cet égard, peut-être liée à la popularité de la télévision, mais rien ne démontre que ce changement s’est fait de façon instantanée. D’un autre côté, le nouveau média qu’est la télévision a permis l’intégration des images électroniques au cinéma, qui, elles aussi, semblent être réalisées selon les modes déjà en place avec les CAM-I, les PROJO-I et les PE.

Les années 1970, elles, ont vu émerger la présence de nouveaux types d’images électroniques au cinéma, comme celles des caméras vidéo portatives utilisées dans Alien ou des images de synthèse de Westworld.

Tout cela permet de mettre en évidence un réseau de transformations à long terme qui ressemble plus à une évolution poétique ou à diverses remédiations qu’à une série de ruptures claires et distinctes. Derrière cela, l’enjeu nous paraît être celui de « l’immersion médiatique » : après l’immersion spatiale nécessaire à la structure du montage en PDV au cinéma dont parlait Persson (op. cité), l’immersion médiatique est celle qui permet de passer de façon fluide d’une CAM-I à un PDVM. On constate que durant cette période, cette immersion médiatique est loin d’être aussi peaufinée qu’elle l’est aujourd’hui.

Finalement, on peut noter aussi comment cette évolution n’est pas complètement linéaire et stable : si le PDVM ne devient pas populaire d’un coup, cela n’empêche pas certains films d’en faire un usage abondant. Nous avions noté à cet égard David Holzman’s Diary, le premier « film en point de vue médiatisé » que nous avons recensé. Nous allons donc prendre le prochain chapitre pour mieux définir ce type de film, car il représente un enjeu essentiel de cette thèse.

CHAPITRE 4 : LE FILM EN POINT DE VUE MÉDIATISÉ :

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