• Aucun résultat trouvé

Le point de vue médiatisé (PDVM) : un procédé de style connexe au plan-écran (PE) et au plan subjectif (plan PDV)

2. Les principaux procédés à l’étude : définitions théoriques

2.2. Le point de vue médiatisé (PDVM) : un procédé de style connexe au plan-écran (PE) et au plan subjectif (plan PDV)

La CAM-I et le CI impliquent que des images tournées de façon diégétique soient aussi visualisées à même le récit filmique. Pour représenter ces « images intradiégétiques »8 tournées par une CAM-I ou un CI, les cinéastes ont le choix de deux options sur le plan stylistique : 1. soit ils montrent ces images en « point de vue médiatisé » (PDVM), c’est-à-dire en relayant le point de vue entièrement à la CAM-I ou au CI; cet exemple se retrouve dans Toy Story 3 analysé ci-haut lorsqu’on bascule vers l’image du CI (Annexe 2, plans 11 à 20); 2. soit ils passent par un « plan-écran » (PE), c’est-à-dire un plan où le champ inclut un écran tiers qui projette ou diffuse ces images intradiégétiques9; on retrouve cet exemple dans The Cameraman lorsque les personnages visionnent les bobines tournées par Buster Keaton plus tôt (Annexe 1, segment 5).

Les chapitres 2 et 3 traiteront plus en détail des variantes formelles du « plan-écran » (PE). Pour l’instant, concentrons-nous sur le « point de vue médiatisé » (PDVM), un concept qui occupe une place charnière dans cette thèse, et sur ses liens avec le plan subjectif. Pour alléger le discours, nous allons utiliser les abréviations « PDV » pour « point de vue » et « plan PDV » pour « plan subjectif », en référence à la terminologie anglo-saxonne où « POV » signifie « point of view » et « POV shot », « point of view shot ».

8 Ce pourraient tout aussi bien être des sons intradiégétiques ou des images-sons intradiégétiques. Pour alléger le

discours, nous nous limitons ici aux images.

9 Comme nous le soulignions en introduction, Journot parle, elle, « d’écrans seconds » pour ces situations (2011),

ce qui est, pour nous, synonyme. Nous reviendrons rapidement sur cette notion plus loin dans ce chapitre, en raison du lien qu’elle instaure avec la réflexivité.

Le PDVM est tributaire du plan subjectif (plan PDV) a plusieurs égards. David Bordwell, à qui nous devons la notion de PDVM, la définit d’ailleurs comme un corrélat du plan PDV. Selon lui, le plan PDV est une forme de « PDV immédiat » (« immediate POV »), au sens où il tente de représenter directement le PDV réel ou « non-médiatisé » d’un sujet (en général, un personnage), avec toutes les variantes et les contraintes qu’on lui connaît. Bordwell distingue ensuite une seconde catégorie de plans PDV qu’il dit « médiatisés » (« mediated POV »). Dans Cloverfield ou d’autres films similaires de « found footage populaires »10, ce qui est montré n’est pas le PDV immédiat du protagoniste, mais un PDV « médiatisé », parce que représentant ce qui est filmé par une caméra (ici, un caméscope) tenu par le protagoniste (Bordwell, 2008b). Autrement dit, pour Bordwell, le PDVM vient pallier au plan PDV classique « immédiat », en substituant le PDV du personnage par celui d’un média diégétisé, avec lequel ce dernier interagit. Son analyse de Cloverfield confirme cette tendance. Il propose en effet de voir la narration ce ce film comme héritière des traditions des récits subjectifs ou « à la première personne » en littérature (Bordwell, 2008b), ce que les narratologues appellent les narrations intradiégétiques. Le problème est que pour Bordwell, le PDVM devient au final un cas de figure parmi d’autres de plan PDV. On traite le PDVM comme une sorte de sous-procédé d’un autre procédé plus important, soit le plan PDV, mais on ne l’aborde pas comme un procédé en soi, unique, ayant ses caractéristiques propres11.

Comme nous l’avons souligné en introduction, nous avons recensé trois autres chercheurs qui ont abordé le problème des images générées par des caméras intradiégétiques, et qui vont plus loin dans cette direction : Éric Bourassa, avec le concept d’« ocularisation

10 Voir le chapitre 4 pour comprendre le choix de cette expression.

11 Dans un article ultérieur, Bordwell analyse la série Paranormal Activity en relativisant ses propos et développe

plus clairement ses idées sur ce sujet (2012b). Il aborde là certains problèmes qui recoupent les recherches ici présentées.

mécanique », repris ensuite par Jean-Philippe Morin; et Gildas Madelénat avec celui de « focalisation caméra ». Bourassa – à qui on doit, jusqu’à preuve du contraire, la notion de caméra intradiégétique – définit l’ocularisation mécanique comme un moyen pour « tenir compte d’une image « ancrée » dans la diégèse par l’entremise d’une entité autonome qui n’est pas un personnage mais qui peut néanmoins percevoir le monde filmique », en précisant que « « mécanique » réfère à l’appareillage filmique » (2006 : p. 39), une notion que J.-P. Morin lui emprunte à sa suite (2013). Madelénat, qui lui réfléchit plutôt sur les found footage populaires dans la lignée de Blair Witch Project, définit la focalisation caméra ainsi :

Dans son rapport au monde, la machine peut dépasser sa simple matérialité et faire valoir une représentation intériorisée des choses. En cela, la focalisation caméra s’exécute, et nous retiendrons cette définition, lorsque la vision du monde engendre un savoir machinique intime et particulier, une mémoire dont l’image est le fruit. Relative à l’existence de la caméra dans la diégèse et à ce que Jost présente de la focalisation, cette définition affirme que l’important ne réside plus dans ce que les autres protagonistes sont censés voir ou savoir. Ce qui compte, c’est que ce que l’on voit tient bien de la relation empirique de l’appareil au monde tel qu’il le perçoit ; l’image devenant la preuve de l’intériorisation de cette vision, mais plus de la vision elle-même (comme peut l’être la caméra subjective). (2012)

On peut considérer ces deux notions (ocularisation mécanique et focalisation caméra) comme des synonymes de PDVM, même si elles s’inscrivent dans une approche différente. En ramenant ainsi les notions d’ocularisation et de focalisation chères à François Jost12, Bourassa, Madelénat et J.-P. Morin cherchent à identifier le narrateur responsable des images générées par une caméra intradiégétique13. Aussi, même si chacun d’eux arrive à cataloguer plusieurs occurrences de PDVM dans leurs corpus respectifs, ces auteurs sont tous concernés par le

12 Voir les définitions de l’auteur même à ce sujet dans Jost, 1987.

13 Ajoutons que le problème du narrateur dans la narratologie de Bordwell n’a pas le même statut que chez

d’autres auteurs principalement francophones. Alors que Gaudreault parle par exemple de « méganarrateur » (Gaudreault, 1988), Bordwell pose la question quant à savoir s’il est pertinent de garder cette notion (Bordwell, 1984). Ici, nous ne voulons pas ouvrir de boîte de Pandore sur le sujet, simplement chercher à nous concentrer sur notre objet d’étude.

rapport que le PDVM entretient avec la notion de subjectivité : en revenant sur l’ocularisation mécanique de Bourasssa, J.-P. Morin souligne après lui que « cette notion relative à la caméra intradiégétique revêt une importance particulière car elle contribue, non seulement à caractériser le procédé formel des films à l’étude [i.e. ceux de Robert Morin comportant des CAM-I], mais aussi parce qu’elle permet d’enrichir la notion de subjectivité » (2013 : p. 65). Dans une lignée différente, Madelénat voit la focalisation caméra comme une « représentation intériorisée » de celle-ci (2012).

En traitant ainsi du rapport entre PDVM – ou les notions synonymes d’ocularisation mécanique et de focalisation caméra – et subjectivité, on revient au final près des préoccupations de Bordwell entre narration intradiégétique, plan PDV et PDVM : le PDVM demeure un procédé situé à l’arrière-plan d’une autre notion – la narration intradiégétique ou la subjectivité – qu’il vient momentanément « enrichir » comme le dit J.-P. Morin (2013), mais que chacun a de la difficulté à isoler définitivement.

Certes, nous le verrons, un PDVM peut avoir comme fonction de relayer le PDV d’un personnage (et, par le fait même, « d’enrichir la notion de subjectivité » au cinéma), mais nous ne croyons pas qu’il soit possible de circonscrire le procédé à cette seule fonction. Notre objectif est de traiter le PDVM seul, en tant que procédé unique, donc au-delà du lien particulier qu’il entretient avec le plan PDV, et aussi de la notion de subjectivité dans son ensemble14. Comme le souligne J.-P. Morin en parlant du cinéma de Robert Morin, « peu de choses ont été dites à propos des images de cette caméra « physique » autour de laquelle se construisent ces films » (2013 : p. 63). Au fond, cette thèse part de ces différentes intuitions

14 Tel que souligné précédemment, Madelénat tient un propos comparable en faveur du found footage et ce qu’il

dispersées par ces auteurs sur les impacts formels des CAM-I et des PDVM au cinéma, pour tenter de les pousser à leurs limites.

2.3. La caméra omnisciente (CAM-O) : l’opposition au point de vue médiatisé (PDVM) et

Documents relatifs