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l’Union européenne, la Chine et les États-Unis

2.4.3. Synthèse sur les estimations de Stern et de Nordhaus

La synthèse que nous entendons mener entre ces deux approches n’est pas à prendre stricto sensu. Celle-ci s’inspire de l’observation d’Hourcade et Hallegatte (2008 : 9), qui expliquent que « le problème n’est pas de ‘deviner’ la valeur des dommages pour décider dès aujourd’hui de la bonne trajectoire d’émission à retenir sur le siècle ». L’objectif, pour ainsi dire, lorsqu’on parle de choix ou d’arbitrages dans l’évaluation des politiques climatique, est de trouver plutôt « un compromis sur les vingt ou trente prochaines années entre des positions contrastées (de Greenpeace à Claude Allègre) en attendant d’en savoir plus ». Finalement, l’image du conducteur automobile qui ne sait s’il y aura du verglas au prochain virage nous apparait assez juste. L’idée est donc de savoir si oui ou non on peut décélérer, s’il le faut, et dans quelles conditions. A contrario, au cas où « la neige aurait fondu », il ne faut pas se retrouver trop ralenti pour qu’on puisse reprendre convenablement la route.

Les analyses de Nordhaus et Stern peuvent être vues comme des alternatives à des idéaux-types d’analyse des politiques climatiques. Remarquons que dans le débat économique les deux approches gardent une proximité forte. Aussi bien Stern que Nordhaus, ainsi que ceux qui adoptent l’approche de l’un ou de l’autre, ne s’excluent pas de leurs travaux respectifs : DICE est souvent utilisé avec les paramètres de Stern et vice-versa. Nordhaus reste incontestablement un des « pères » de la modélisation climatique. Cela étant, il ne faut pas perdre de vue que le Rapport Stern a eu le soutien de plusieurs prix Nobel d’économie (i.e. Solow, Sen, Stiglitz). Par ailleurs, il faut souligner le mérite de Stern d’avoir fourni aussi bien une revue compréhensive qui couvre des principes pertinents pour la transition énergétique, qu’un support solide aux questions liées à la coordination internationale. Dans cette partie nous allons reprendre sous une forme comparative les résultats du rapport Stern et de Nordhaus.

Les politiques climatiques visent, dans l’idéal, à atteindre des objectifs (économiques avant tout) optimaux. On entend par objectif optimal la concentration ou la hausse de température qui causerait la réduction la plus faible de la valeur actuelle nette de la consommation mondiale34. Comme nous l’avons montré précédemment, cela dépend des paramètres, des choix opérés suivant le sillage dans lequel on se place (en l’occurrence de

33 Nicholas Stern s’est exprimé au Forum de Davos en janvier 2014

(http://www.theguardian.com/business/economics-blog). Consulté le 03.06.2014.

34 Pour un investissement, la valeur actuelle nette représente la valeur des flux liés à celui-ci, montant calculé au taux d’actualisation retenu.

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Nordhaus ou de Stern). Rappelons que l’approche de Nordhaus se caractérise par une sensibilité du climat plus faible (encore que celle-ci est désormais callée sur celle du GIEC, soit 3°C), des dommages moins importants et un horizon de temps plus court. Pour Stern, la sensibilité du climat est relativement élevée, les dommages attendus plus importants et l’horizon de temps plus éloigné.

Pour la synthèse de ces deux modèles nous mobilisons l’étude de Hof, den Elzen et van Vuuren (2008)35, qui explorent les impacts des jugements de valeurs et d’incertitude dans la définition des cibles optimales pour le changement climatique. Bien que l’étude de Hof et al (2008) examine un spectre assez large de paramètres (e.g. la sensibilité de l’objectif climatique à travers diverses hypothèses), nous nous sommes arrêtés sur deux résultats. Ceux-ci concernent des paramètres climatiques (la concentration de CO2 et la hausse des températures) et la valeur actuelle nette, pour les deux approches susmentionnées. Les auteurs utilisent pour ces fins leur propre modèle (FAIR), qui leur permet d’intégrer différents jeux de paramètres, dont ceux de Stern et Nordhaus36.

Bien qu’il existe de nombreux « runs », aussi bien en DICE (avec les paramètres de Stern) qu’en PAGE (avec les paramètres de Nordhaus), nous avons opté pour une approche « neutre » issue d’un model tiers. Les résultats, qui se distinguent de ceux exhibés précédemment, sont empruntés à Hof et al. (2008), étant basés sur FAIR, ce qui explique les différences avec DICE et PAGE02 (Tableau 2.6). Par ailleurs, ces estimations montrent comment peuvent varier les résultats, en utilisant les mêmes paramètres, en raison d’un changement de modèle, ce qui renforce la nécessité du compromis entre les solutions proposées.

Tableau 2.6. Résultats « optimaux » estimés avec FAIR sous l’« effet » des paramètres de Nordhaus et Stern.

Note : Il s’agit de la perte en pourcentage de la valeur actuelle nette par rapport à une valeur actualisée dans un scénario sans changement climatique. Dans la colonne Indirect il s’agit des pertes indirectes dans la consommation dues à l’abattement des émissions.

Source : Hof et al 2008, basé sur FAIR 2.1.

Avec les conditions de Nordhaus, la concentration optimale est de 750 ppm CO2-eq. (supérieure à celle obtenu avec RICE-2010) pour une température maximale de 3,6°C (aprox. 3°C dans RICE-2010). En termes d’émissions (non visibles dans le tableau), cela implique une augmentation de 40% en 2050 par rapport à 1990. Avec le paramétrage de Stern, la concentration optimale est de 540 CO2-eq. ppm pour une augmentation de 2,3°C et une

35 Hof A.F., den Elzen M.G.J, van Vuuren D.P. (2008). Analysing the costs and benefits of climate policy: Value judgements and scientific uncertainties. Global Environmental Change, 18 (3), pp. 412– 424.

36 Il s’agit de la version 2007 de DICE et PAGE02. À ce titre, FAIR utilise les fonctions de dommages, les taux d’actualisation et horizons de temps à 2200 et une sensibilité du climat de 3°C.

CO2-eq.(ppm.) T max Dommages Atténuation Indirect Total

Nordhaus ≥ 745 ≥ 3.6 0.9–1.1 ≤ 0.1 0.3 1.3–1.4

Stern 550 2.3 1.3 0.5 0.2 2.0

Valuer actuelle nette Climat

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diminution de 13% des émissions en 2050 par rapport à 1990. Les pertes dans les consommations sont, de manière générale, plus faibles dans le jeu d’hypothèses de Nordhaus.

L’arbitrage entre rationalité et incertitude

Lorsqu’on appréhende la relation entre concentration optimale et recul de la consommation des deux approches respectives, on retrouve une des images les plus emblématiques de l’arbitrage entre action immédiate et différée.

Figure 2.24. Perte de consommation par rapport au BaU sous les concentrations maximales de CO2-eq. correspondant aux conditions de Stern et Nordhaus

Note : Les conditions de Stern (courbe discontinue) : recul de 2% du Pib mondial pour une concentration de 540 ppm CO2-eq. Pour Nordhaus (courbe continue), perte de 1,2% du Pib pour une concentration de 750 ppm CO2-eq.

Source : Hof et al. 2008 (FAIR 2.1.).

Le premier constat qui se dégage de la figure ci-dessus est que les deux courbes sont relativement plates. Cependant, il y a une différence notable entre les deux profils, différence qui est mise en exergue par les auteurs. Si l’on suppose que l’optimum se trouve entre 500 et 800 ppm CO2-eq., alors, utilisant les conditions de Stern, passer de 540 à 800 ppm CO2-eq. coûterait 0,5% de plus. Il s’agit donc d’une perte supplémentaire jugée par les auteurs comme relativement importante. Avec les conditions de Nordhaus, le mouvement inverse, passer de 800 à 550 CO2-eq., la différence est moindre. Plus précisément, il s’agit d’un passage d’une valeur proche d’un pourcent (à 800 ppm) à une perte d’environ 1,3% (pour une concentration de 560 ppm CO2-eq.).

Le point de vue des auteurs est qu’une concentration de 560 CO2-eq. pourrait être considérée comme quasi optimale (Hof et al. 2008 : 423). Ainsi, il serait plus judicieux d’avoir une concentration autour de 550 ppm pour un surcoût de 0,2%–0,3% du Pib (selon Nordhaus), objectif qui se traduirait par un gain de 0,5% du Pib, suivant la même logique, selon Stern. Hof et al. (2008 : 423) concluent en opinant que : « [b]ecause the function of NPV plotted against the concentration target is especially flat for high-concentration targets, much lower concentration levels than the optimal level can be easily justified ».

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2.4.4. Le coût social du carbone au cœur des choix de