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et paramètres clés

2.1.1. Coût sectoriel, macroéconomique et en bien-être

Les indicateurs (i.e. les métriques) utilisés pour capter les coûts de l’atténuation des émissions sont souvent exprimés en perte de bien-être, variation de Pib ou variation de consommation finale des ménages. Parmi ces mesures, la variation en bien-être demeure l’évaluation la plus difficile à mener, raison pour laquelle les deux autres métriques sont souvent privilégiées. En général, les estimations données par les modèles intégrés (particulièrement ceux utilisés dans le cinquième rapport, voir A.II.3.2, WG III, AR5 2014) sont faites en terme de variation de la consommation des ménages. Lorsqu’on parle d’atténuation, il y a un risque de confusion dû au fait que tous ces coûts sont exprimés souvent en points de Pib. Par exemple, un coût technique total (coût marginal d’abattement) donné par une certaine contrainte carbone et un coût macroéconomique induit par la mise en place d’une politique climatique sont tous deux exprimés en points de Pib, mais recouvrent des réalités bien différentes. Dans cette partie nous allons définir ces notions afin de préciser quelles réalités reflètent ces mesures.

1 Les modélisations s’appuient généralement sur quelques fondamentaux des émissions : population, Pib et consommation d’énergie, éléments qu’on retrouve communément dans l’identité Kaya (ou encore IPAT pour Impacts Proportionnels à la Population, l’Aisance et la Technologie, Nakicenovic et al. 2006).

2 « Les scénarios sont des images diverses du déroulement possible du futur et ils constituent un outil approprié pour analyser comment des forces motrices peuvent influer sur les émissions futures et pour évaluer les incertitudes connexes. Ils aident à analyser l'évolution du climat, notamment sa modélisation et l'évaluation des impacts, l'adaptation et l'atténuation » (Nakicenovic et al. 2000 : 3).

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Le coût technique

Le coût technique ou sectoriel est donné par la variation du coût d’investissement ou du coût total de fonctionnement des systèmes techniques, dans un scénario « avec politique climatique » par rapport à un scénario « référence ». Ce coût peut être calculé au niveau d’un secteur ou d’un ensemble de secteurs (pour un pays). Pour commencer, précisons que la réduction des émissions de GES passe nécessairement par l’implémentation de nouvelles technologies, moins intensives en énergie et particulièrement en énergie fossile. Pour un secteur donné, la démarche consiste à identifier les options de réduction les plus pertinentes et à estimer pour chaque option la quantité de réduction et le coût unitaire de réduction correspondant. Ensuite, les options techniques sont empilées par ordre de coût croissant pour construire une courbe de coût marginal de réduction. Une courbe de coût marginal de réduction permet d’obtenir, pour le secteur en question et pour une année donnée, le coût marginal de réduction ainsi que le coût total des options techniques qui permettent d’atteindre l’objectif de réduction pré-identifié (Figure 2.1).

Figure 2.1. Courbe de coût marginal de réduction

Source : AETIC 2013. À titre d’exemple, considérons la courbe de coût marginal dans la figure ci-dessus. En ordonnée, on retrouve les quantités de réduction d’émissions correspondant à chaque technologie (Q1-Q4) ainsi que la quantité cumulée au niveau du secteur (Q). En abscisse, on retrouve le coût moyen de réduction de chaque option. La courbe indique le portefeuille des technologies à mettre en œuvre (par ordre de coût croissant) pour atteindre la quantité de réduction Q (le coût de la dernière technologie étant P). Ainsi, le projet d’investissement qui vise la réduction d’émissions Q est coût-efficace. La courbe indique également le coût total des investissements, qui correspond à l’intégrale des surfaces des rectangles.

Les coûts techniques sont composés, avant tout, des coûts directs industriels et financiers induits par l’utilisation des nouvelles technologies. Il s’agit donc des coûts initiaux de mise en place des solutions technologiques et des dépenses afférentes à celles-ci (e.g. coûts de fonctionnement annuels). De manière générale, on retrouve sur le marché plusieurs solutions techniques qui sont soit alternatives soit complémentaires. En vue de l’acquisition d’une technologie, ces solutions sont comparées en termes de coûts d’investissements et d’exploitation, ainsi que de bénéfices qui découlent du fait de leur mise en œuvre, les deux étant actualisés. Le coût technique est obtenu en équilibre partiel, ce qui signifie qu’il ne prend pas en considération les rétroactions entre la mesure respective et le reste de l’économie.

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Ces coûts sont l’apanage des modèles bottom-up (sectoriels) et reposent sur la représentation détaillée du système de production de l’énergie. Ces modèles sont assortis des hypothèses exogènes sur la croissance, la demande ou encore sur la disponibilité des ressources. Les modèles fonctionnant en équilibre partiel construisent des scénarios à partir des comportements d’acteurs et des grandes variables économiques et énergétiques. Par exemple, dans le modèle POLES, les évolutions démographiques et économiques sont considérées comme exogènes alors que les évolutions de l’ensemble des variables caractérisant la consommation, la transformation, la production et les prix de l’énergie sont endogènes au modèle (Blanchard et Criqui 2000).

Ce qui est particulièrement important dans ces modèles, précise l’AR4 (2007), ce sont les courbes d’apprentissage selon lesquelles les technologies se diffusent et arrivent à maturation. Par ailleurs, précisons que ces coûts peuvent être négatifs, par exemple lorsque les économies d’énergies obtenues par l’implémentation de la nouvelle technologie sont supérieures aux coûts d’investissements.

Le coût macroéconomique

Le coût macroéconomique prend en considération les rétroactions entre les différents secteurs et leur impact sur l’ensemble de l’économie. Il s’agit alors de mener une analyse en équilibre général, suite à la mise en place d’une politique climatique. Dans l’idéal, tous les éléments (et leurs interactions respectives) d’une politique climatique devraient être pris en compte. Par exemple, les mesures liées à la fiscalité carbone, les investissements concernant l’énergie, les effets d’éviction (entre investissements d’efficacité énergétique et autres investissements, ou entre la facture énergétique des ménages et les autres consommations), ou encore les effets rebond, entre l’amélioration de l’intensité énergétique et les autres consommations.

En effet, la mise en place d’une politique climatique a des impacts qui s’étendent au-delà du secteur dans lequel elle est implémentée. La modification de l’équilibre sur un marché fait évoluer l’ensemble des prix et la réallocation des ressources, ce qui impacte l’équilibre général au sein d’une économie. Les modèles macroéconomiques prennent en compte ces interactions et permettent de voir comment se répercutent les chocs induits sur un marché sur les autres, pour aboutir finalement sur le niveau et la composition du PIB national. Par ailleurs, précisons que ces modèles permettent la prise en compte de l’impact de l’utilisation des recettes générées par une éventuelle taxe sur les émissions. Ainsi, les coûts macroéconomiques sont présentés sous la forme de variations de Pib ou des coûts en bien-être.

Enfin, précisons que les analyses en équilibre général ne présupposent pas nécessairement l’optimisation – utilisation idéale des ressources dans une situation dans laquelle tous les marchés sont équilibrés à travers les prix. Généralement, on utilise la notion par opposition aux modélisations en « équilibre partiel » (bottom-up), modèles qui ne prennent en considération que certains secteurs, comme celui de l’énergie.

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Le coût en bien-être

Le coût en bien-être renvoie à une évaluation quantitative des valeurs en termes pécuniaires. Pour mesurer ce coût, l’économie du bien-être établit les concepts de disposition à payer (ang. willingness to pay) et de disposition à accepter une compensation (ang. willingness to accept compensation), ce dernier concept représentant le dédommagement que les gens accepteraient pour vivre dans un monde sans politique climatique (Markandya et al. 2001). La disposition à payer (ang. WTP) représente le surplus du consommateur, le prix que les gens sont prêts à payer pour une politique climatique donnée. Le surplus du consommateur est une notion liée à la courbe de demande qui peut être interprétée comme la disposition marginale à payer (c’est le prix maximum qu’un consommateur est disposé à payer pour une unité supplémentaire). Le surplus du consommateur, explique Alain Quinet (2009 : 147), « est la mesure la plus pertinente du coût de bien-être puisque, par construction, elle prend en compte l’incidence de la variation de la structure des prix, qui est l’effet premier de la politique de changement climatique ».

Si le surplus des consommateurs est égal à la somme des surplus individuels, alors se pose la question de la répartition de ce coût entre les différentes catégories de ménages, qui ont des niveaux de revenus différents. Par exemple, si l’on considère une augmentation des prix de l’énergie due à l’introduction d’une taxe carbone, alors cette augmentation pénalise davantage les ménages à revenus modestes que les ménages à revenus élevés. La mesure du surplus des consommateurs en tant qu’indicateur de coût en bien-être s’avère difficile à mener, car son évaluation requiert des informations précises sur le consommateur et sur la variation de la structure de ses dépenses en fonction de ses revenus.

Enfin, nous reprenons la remarque de Guivarch (2010), qui attire l’attention sur la pertinence de l’évaluation des coûts en bien-être dans des scénarios qui visent des horizons de temps lointains (cent ans). La notion de bien-être collectif, explique l’auteur, peut évoluer significativement à long terme, car les préférences des agents économiques sont déterminées par les choix de développement et l’évolution des techniques. Cela complexifie l’évaluation des coûts en bien-être collectif lorsqu’on introduit des politiques climatiques qui mènent à des trajectoires très contrastées.

Coût marginal, moyen et total

Nous terminons avec l’examen d’un dernier point : la différence entre coût marginal, moyen et total. Nous nous appuyons, pour cet argument, sur le rapport de Stern (2006). Les notions de coût total et moyen sont communes, le coût moyen représentant le coût total divisé par le nombre d’unités de l’élément dont le coût est estimé. La distinction entre les deux est néanmoins importante. Il ne s’agit pas du fait qu’elle peut être porteuse de confusion, mais plutôt du fait de l’incertitude que les deux coûts comportent ainsi que l’usage qui est fait. Plus précisément, pour ce qui concerne l’incertitude, Guivarch (2010) note que celle-ci est plus importante pour le coût marginal que pour le coût moyen. Quant à l’usage, la question est notable, car cela renvoie à l’acceptabilité des politiques, ce qui n’est pas sans importance dans la construction des préférences nationales.

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Nous reprenons du rapport Stern, dans la Figure 2.2, l’explication de la relation entre ces deux coûts. Le fait que les coûts moyens soient moins importants que les coûts marginaux expliquerait que les défenseurs des politiques climatiques fortes auraient tendance à les mettre en avant et vice-versa.

Figure 2.2. Relation entre coût marginal et coût moyen

Source : Stern 2006. Stern explique cela dans les termes suivants :

Le prix du carbone devrait refléter le coût social du carbone. Celui-ci devant croitre dans le temps à cause de l’augmentation des dommages additionnels pour chaque unité de GES émise. L’augmentation des prix devrait encourager les projets d’atténuation ayant des coûts marginaux croissants. Cela ne signifie pas que les coûts moyens augmentent. En effet, dans cette analyse, les coûts moyens sont supposés décroitre, rapidement au début, et se stabiliser par la suite. À tout moment, les coûts marginaux se situeront au-dessus des coûts moyens puisque les projets les plus couteux sont mis en place les derniers (Stern 2006 : 232).

Ainsi, la valeur du carbone (correspondant au coût social du carbone, coût censé refléter les pertes annuelles nettes dues aux impacts du changement climatique produits par l’émission d’une tonne de CO2 eq.), est amenée à augmenter, alors que le coût moyen est amené à diminuer en raison de la baisse des coûts des technologies (Stern 2006 : 232).

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Les définitions et les notions liées aux coûts sont importantes car, au-delà de ce que cela représente économiquement parlant, ces coûts des politiques climatiques peuvent se prêter au quiproquo. Dans un contexte d’économie politique, cet éclairage nous a semblé nécessaire, car – nous allons le discuter dans le chapitre quatre – la lutte contre le réchauffement climatique passe par la perception de ces coûts. Leur niveau est important, mais tout aussi important est de savoir comment on les définit, ce que cela représente. Dans la sous-section suivante nous allons poursuivre cette réflexion en présentant les démarches analytiques pour le calcul des coûts et des résultats que les modèles estiment.

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