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Le climat au prisme des concepts et outils d’analyse de l’institutionnalisme libéral

changement climatique entre visions communes et intérêts nationaux

1.2.3. Le climat au prisme des concepts et outils d’analyse de l’institutionnalisme libéral

C’est dans les années 1980, suite à la contestation des approches stato-centrées par le transnationalisme de Keohane et Nye37, que l’institutionnalisme libéral émerge dans les débats théoriques des relations internationales. Les postulats fondamentaux de l’institutionnalisme38 puisent leur source dans la philosophie libérale : la règle de droit, la démocratie représentative, la protection de la propriété privée, le libre-échange, s’inscrivant ainsi dans une longue tradition qui remonte à Locke, Kant, Smith et Keynes (Paquin 2013). Ce qui caractérise de manière générale les libéraux, c’est leur optimisme et leur croyance dans le potentiel de l’individu à éliminer le conflit de son expérience, idée issue des Lumières.

Un des traits les plus importants de la perspective libérale est l’idée que les individus sont à la recherche de leur bien-être et qu’ils agissent de manière rationnelle. Les individus et donc les sociétés qu’ils forment sont les acteurs fondamentaux de la politique internationale. Les relations État-société sont structurantes et contribuent à la compréhension de la politique internationale (Moravcsik 2001). Dès lors, « les États ont intérêt à établir des règles et des systèmes de régulation permettant le fonctionnement des différents marchés (marchés des biens et services, marchés des capitaux, marchés des changes), le respect de la concurrence et la fourniture des biens publics internationaux non pas pour des raisons de puissance, mais parce que cela accroît la richesse (le bien-être) de certains groupes sociaux » (Abbas 2010 : 55).

Avant de continuer, précisons le terme d’institutionnalisme libéral. L’idée d’institutionnalisme est assise sur le fait qu’au niveau international l’intérêt économique commun crée une demande d’institutions et des règles. Ces institutions sont définies en tant que « pratiques reconnues qui consistent en des fonctions facilement identifiables, couplées aux ensembles de règles ou conventions régissant les relations entre ceux qui exercent ces fonctions » (Young 1986 : 107). Concernant la version « néo », du libéralisme, Abbas note que celle-ci a été proposée initialement par Waltz en 1979 pour l’approche néoréaliste. La rupture, explique l’auteur, consistait en une prise en compte de la dimension systémique ou structurelle de l’approche réaliste. L’introduction de cette dimension systémique dans le libéralisme a conduit à certains amendements de la théorie et à l’ajout du suffixe néo au terme d’institutionnalisme libéral. À ce propos, et en reprenant Keohane, Abbas précise que « la problématique n’est pas de remplacer, mais seulement de rendre conditionnelles certaines des propositions du modèle réaliste et du modèle libéral » (Abbas 2010 : 56).

Dans le système international, les États ont intérêt à coopérer, ne serait-ce que pour éviter des résultats sous-optimaux (au sens de Pareto). En effet, la logique de l’intérêt

37 Les auteurs expliquent que l'État n’est pas le seul acteur dans les relations internationales, malgré sa centralité. Ils suggèrent, par conséquent, de prendre en considération l'influence de nouveaux acteurs transnationaux, tels que les banques, les firmes, ou encore certaines organisations internationales, afin de comprendre la politique internationale.

38 Stéphane Paquin mentionne que certains auteurs préfèrent l’appellation « néolibéraux », mais que, pour éviter toute confusion avec le terme utilisé en économie, il serait plus judicieux d’employer le terme de « libéralisme institutionnel » ou encore « institutionnalisme ».

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détermine les individus à défendre et à vouloir imposer leurs préférences, qui doivent être défendues par les États sur le plan international. Cette logique fait que l’institutionnalisme libéral est une théorie éminemment coopérative, au sein de laquelle les relations internationales « constituent un jeu à somme positive (“win-win set”) » (Abbas 2010 : 55). Ainsi, le système international est structuré par le résultat des préférences des États, elles-mêmes cristallisées selon un processus décisionnel déclenché par les individus, et non pas par la distribution de la puissance (comme chez les réalistes). Cette vision des libéraux, qui conteste ainsi la théorie de la stabilité hégémonique, explique l’intérêt à coopérer.

Cela étant, la coopération doit être correctement comprise. Celle-ci contraste avec le désaccord, mais se distingue également de l’harmonie. La coopération peut être vue en tant qu’ajustement mutuel, situation dans laquelle « les intérêts communs surpassent les intérêts conflictuels » (Keohane 1984 : 12). Dans le cas du changement climatique, la poursuite des intérêts communs implique parfois l’accord et parfois la dispute, situation due à d’innombrables raisons. Cela peut empêcher la réalisation des intérêts communs de manière harmonieuse, mais cela n’empêche pas pour autant la coopération.

Penchons-nous, dans ce qui suit, sur les principaux concepts et définitions employés par l’institutionnalisme libéral, outils que nous souhaitons mobiliser dans notre analyse par la suite. Certaines définitions, comme celle du bien-être, sont communes et ne nécessitent pas davantage d’explication, pendant que d’autres concepts ont besoin d’être spécifiés : le rôle de l’information et des institutions, le pouvoir et le régime international. Ces concepts ne représentent pas l’exhaustivité des outils employés par l’EPI ou de ceux qui seront mobilisés dans notre recherche, mais ils forment le fondement de notre cadre d’analyse et, de manière non exhaustive, celui de l’institutionnalisme en EPI.

Le rôle de l’information et les institutions

L’information concernant les intentions des acteurs (des États) revêt une importance particulière dans l’institutionnalisme libéral. À la différence des réalistes, pour lesquels celle-ci n’est pas nécessairement fiable (ce qui détermine les États à adopter des stratégies défensives), les libéraux considèrent que l’information joue un rôle de catalyseur pour la coopération. L’information est ainsi produite et diffusée à travers des institutions (et des organisations), ce qui a pour résultat l’augmentation de la lisibilité de leurs comportements39. Pour reprendre Stéphane Paquin (2013 : 205), nous pouvons dire que les institutions aident au développement des standards et des théories causales sur les relations entre actions et leurs résultats ; cela renvoie au rôle et à l’importance de l’information par rapport aux institutions internationales et, par conséquent, à l’importance des régimes. Une institution, cette fois d’après Keohane et Martin (2003 : 78) se définit comme « un ensemble de règles (formelles et informelles) pérennes et interconnectées qui prescrivent des rôles comportementaux, contraignent les

39 On peut considérer également l’information dans un sens restreint, au sein de la CCNUCC. Ici, les Parties fournissent, pour la plupart, des informations relatives aux émissions de GES (mais pas uniquement) à travers des communications nationales (www.unfccc.int).

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actions et structurent les anticipations », définition compatible, bien que plus restrictive, avec celle de Young (1986) cité ci-dessus.

Keohane et Martin précisent que l’institutionnalisme libéral conçoit les institutions en tant que variables à la fois dépendantes et indépendantes : « elles changent en raisons d’actions humaines et elles transforment les processus et les attentes, ce qui peut avoir un effet profond sur le comportement des États ». Autrement dit, il y a un continuum entre la création des institutions et leurs effets. Pour reprendre le propos des mêmes auteurs, les institutions sont créées par les États en raison de leurs effets anticipés sur les résultats attendus (Keohane et Martin 1995 : 46). Paquin (2013) fait remarquer, en citant Lisa Martin, qu’un cadre institutionnel augmente les implications de la coopération, par exemple l’application des sanctions, qui ont plus de chances de réussite (e.g. l’ORD de l’OMC). Cela peut expliquer pourquoi au sein de la CCNUCC les États sont si prudents par rapport à la mise en place de nouvelles institutions. L’évolution de ces règles ayant trait à la prescription comportementale des États, pour reprendre Keohane et Martin, sont un moteur pour le changement, qui est, soyons optimistes, un changement pour le meilleur.

Pour revenir sur l’information, celle-ci peut être vue sous différents angles, étant parfois très spécifique ou ayant des implications importantes. Élaborons rapidement ce point à travers un exemple. Les actions qui visent à faire émerger un prix pour le carbone et la mise en place des instruments économiques constituent des informations qui renseignent sur la crédibilité des politiques climatiques des États et en l’occurrence de leurs engagements (Auverlot et al. 2010). Ce qui inquiète ou ce qui brouille ce signal prix, c’est son évolution incertaine. Lorsque le prix du CO2 s’effondre en Europe ou lorsque des lois comme la Lieberman-McCain40 ou Waxman-Markey41 ne passent pas au Congrès, on ne voit pas comment les engagements affichés seraient respectés. A contrario, ce qui réconforte les acteurs est de voir des projets de marché carbone se mettant en place (comme en Chine ou au Brésil). L’information apaise les craintes liées au risque de la clandestinité passagère et renseignent les anticipations des États quant à la mise en place des politiques climatiques, à l’instar du contrôle des externalités négatives par les prix.

La question du pouvoir

Quand on en vient au pouvoir ou à la puissance, Keohane note dès le départ sa réciprocité avec le bien-être : d’une part, la distribution du pouvoir crée les conditions de production et distribution de la richesse et, de l’autre, les changements dans les conditions de production et l’accès aux ressources influent sur les relations de puissance (Keohane 1984 : 18). Pour commencer, précisons la définition de la puissance, qui demeure problématique et par rapport à

40 La Lieberman-McCain Climate Stewardship Act a été débattue dans le Sénat américain en 2003. La loi visait la régulation des GES et couvrait 85% des émissions totales de 2000. Pour plus d’information : http://www.c2es.org/federal/congress. Pour plus de détails, se rapporter aux Annexes.

41 La Waxman-Makey Bill a été proposée en 2009, étant considérée plus ambitieuse que la proposition d’Obama à Copenhague. Pour plus de détails, se rapporter aux Annexes.

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laquelle Gilpin42 remarque qu’elle est « encore plus diffuse que celle de la richesse » (Gilpin 1975 : 293). Si l’on associe la puissance au contrôle, alors on arrive rapidement à la difficulté à la mesurer et à l’évaluer. C’est pourquoi Keohane est d’avis de ne pas en faire un usage quantitatif mais plutôt un usage qualitatif : « la puissance fournit un langage pour décrire l’action politique » (Keohane 1984 : 20). Nous entendons, dans notre recherche, la définition de la puissance dans des termes qualitatifs, bien que nous ne nous interdisions pas la déclinaison de ce concept en termes quantitatifs (de type PIB).

Le monde dans lequel nous vivons est, selon Keohane et Nye (1987), un monde de l’interdépendance complexe, formé par de multiples et divers secteurs économiques (énergie, finance, industrie, etc.). Cela fait qu’un État puisse être puissant dans un secteur et vulnérable dans un autre. La nature de la puissance dans un monde complexe est, comme le note Paquin (2013), parfois paradoxale. Un État peut influer sur un autre et subir concomitamment une influence de sa part. Si cette dynamique est moins visible dans les négociations climatiques onusiennes, elle l’est bien visible dans d’autres arènes internationales où on discute du climat, comme le G7 ou le G2043.

Lorsqu’on fait le rapprochement entre la théorie et les négociations climatiques, on en arrive à une définition plus concrète de la puissance, visant la forme et le contenu de son régime et, plus précisément, des traités qui le fondent. De ce fait, on pourrait identifier la puissance comme « capacité à fixer l’ordre du jour (ang. “agenda setting”) […], l’aptitude à influer le contenu des normes […], à lier entre eux les enjeux relevant de domaines différents (ang. “linkage”) » (Smouts et al. 2006). On pourrait ainsi analyser la puissance à travers la lecture d’un certain nombre de textes fondamentaux de la CCNUCC, comme le Mandat de Berlin ou l’accord de Copenhague.

Cela nous amène à une autre question épineuse (pas seulement en EPI), qui est celle de la distribution de la puissance. Si la poursuite de la richesse et de la puissance fait plutôt consensus, la question de sa distribution l’est dans une moindre mesure. Les acteurs, qu’il s’agisse du niveau international on national, n’ont pas les mêmes “power capabilities” (au sens de ressources, pour emprunter un terme réaliste) pour faire jouer leur influence. Ce qui détermine leurs implications et leur réussite, ce sont les enjeux; or, dans les discussions climatiques, ceux-ci sont multiples. Nous pouvons invoquer, pour ne prendre que les plus évidents, les enjeux de compétitivité, de sécurité de l’approvisionnement, la relocalisation des industries ou encore le financement de la transition du système énergétique. Renoncer à l’utilisation des énergies peu chères et abondantes pour la Chine et les USA est un défi difficile à assumer, surtout dans un contexte climatique marqué par un apparent dilemme du passager clandestin. Le dilemme est apparent, nous explique Patrick Criqui, car ces pays ont des émissions tellement importantes que, sans eux, le train dans lequel ils doivent monter est carrément annulé.

42 La mobilisation des auteurs réalistes, comme Gilpin, ne doit pas surprendre. Leur contribution à l’EPI dépasse leur attachement à une approche précise.

43 À partir du Sommet d’Aquila en 2009, le sujet du changement climatique est constamment sur l’agenda des discussions. Les tractations autour des enjeux majeurs, comme les technologies propres, sont présentes dans ces discussions. Par exemple, lors du Sommet de Pittsburg, plusieurs partenariats sont signés entre les USA et la Chine et l’Inde (voir http://www.whitehouse.gov/files/documents/g20/Fact_Sheet_ Pittsburgh_Outcomes.pdf. Consulté le 17.01.2014.

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Notons également l’importance de ce qu’on appelle « puissance douce » (ang. “soft power”) (Nye 2002 ; Borzel et Risse 2009 ; Webber 2014). La question est importante car, nous l’avons fait remarquer auparavant, certains éléments des discussions climatiques, et non pas les moindres (i.e. l’équité, l’inégalité), en dépendent. Joseph Nye fait la distinction entre le “hard” et le “soft power44. Si le “hard power” repose sur une force de coercition tangible (e.g. la force économique, commerciale), le “soft power” représente, à l’opposé, une forme non coercitive, subtile et moins concrète (i.e. les idées, la culture) ; c’est l’« effet empathie ». Pour Nye, la puissance se définit en tant qu’habilité d’influer sur le résultat et, si nécessaire, de changer le comportement des autres afin d’obtenir un résultat favorable (Nye 2002 : 4). Or, écrit Nye, les trois possibilités d’accomplir ce but sont : la coercition, le payement et l’attraction. Cette dernière possibilité, qui relève de la puissance douce, a l’avantage d’être bien plus intéressante que les autres, puisque cela évite la première et fait économiser les carottes de la deuxième.

Lorsqu’on en vient à la manière dont le “soft power” peut être exercé, Nye identifie trois options : la culture (lorsque celle-ci est attirante pour les autres), les valeurs politiques (lorsque celles-ci sont respectées sur le plan interne et externe) et la politique externe (lorsque celle-ci est perçue comme étant légitime45) (Nye 2013). La raison pour laquelle nous insistons sur cet aspect est due à l’importance que cela a dans la configuration du régime climat. Amrita Narlikar (2010) note que le regroupement des pays autour des questions internationales se fait en fonction de quatre variables : la stratégie de négociation, les coalitions, le cadrage (ang. “framing”) et le leadership46. Or, à l’exception de la stratégie de négociation, les trois autres variables tiennent au “soft power”. En effet, négocier directement entre 195 membres est difficile, raison pour laquelle les pays concluent des alliances qui sont formalisées par la suite au sein des coalitions. Il est vrai que ces coalitions se forment initialement autour des intérêts et des « cultures de l’énergie » des pays. Mais ces intérêts évoluent et les acteurs peuvent changer de camp dans le temps. Ce fut le cas pour le Japon, par exemple, qui est passé d’un groupe de “veto players” à un groupe supporteur du climat (Chasek 2006 : 115-134).

Ces éléments sont mis en avant également par les praticiens de la négociation. Joyeeta Gupta, dans son Guide de survie pour les négociateurs dans le climat, argumente, par exemple, que : « Les coalitions servent à faire inscrire certaines questions à l’ordre du jour, à défendre un point de vue et à modifier ou à rompre un consensus » (Gupta 2001 : 35). Ces coalitions, précise Gupta, sont fondées sur la puissance, les intérêts ou sur des liens institutionnels47. Le cadrage (ang. “framing”) concerne la manière dont le problème est posé, les solutions déclinées et les approches utilisées. À l’évidence, dans la manière de traiter la question du

44 Concept semblable à celui de puissance structurelle de Susan Strange.

45 Les discussions autour de la légitimité sont vastes et très importantes, mais pour des raisons de brièveté nous ne pouvons pas nous attarder davantage sur le sujet. Pour une discussion pertinente, voir par exemple Abbott et al. (2000). The concept of legalisation, International Organization, 54, (3), pp. 401-419.

46 Ces variables déterminent la mesure dans laquelle les regroupements agissent pour ou contre les normes et valeurs qui définissent le système de négociation actuel (Narlikar 2010 : 15).

47 D’un autre côté, Amrita Narlikar distingue entre les coalitions de type bloc (régional) et celles basées sur des enjeux particuliers (“issue-based”) (Narlikar 2013). Généralement, des groupes comme le G77 + Chine ou le BASIC adoptent des comportements de type bloc (Norden 2011), alors que l’UE est plutôt adepte des comportements “issue-based”. En ce sens, l’alliance opérée à Durban en 2010 entre l’UE, AOSIS et les LDC, qui s’est soldée avec l’adoption de la Feuille de route de Durban, nous semble évidente (Schaik 2012).

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partage du fardeau, il y a une grande différence entre la proposition brésilienne et le “grandfathering”. Or, faire passer ces points de vue relève, en l’absence ou en compensation aux autres moyens (i.e. coercition, payement), du “soft power”.

Cela étant, aussi important que son rôle puisse être dans les questions climatiques, il ne faut pas être naïf et croire que le “soft power” suffit pour faire passer certaines demandes (sans une réelle contrepartie). Nous mettons l’accent sur cet aspect “soft, car nous pensons que celui-ci fait souvent défaut dans les discussions entre les acteurs faisant l’objet de notre analyse, qui penchent souvent pour des positions qui relèvent de la force. Cela a pour résultat, au pire, le blocage des discussions (ang. “deadlock”) et, au mieux, un accord basé sur le plus petit dénominateur commun. Si nous devions porter un regard normatif, nous nous tiendrions, encore une fois, à la suggestion de Nye, conformément à laquelle il faut mobiliser une combinaison de coercition (des bâtons), de récompenses (des carottes) et de valeurs (“soft power”), pour arriver à exercer ce que l’auteur appelle un “smart power” (Nye 2006).

La conceptualisation du régime international

Un des instruments les plus importants dans l’institutionnalisme et dans le changement climatique est celui de régime international48. L’analyse de Keohane (1984) en matière de régimes internationaux repose au départ sur le théorème de Coase (1960)49. À l’essentiel, celui-ci stipule qu’en l’absence des coûts de transaction la négociation permettrait d’atteindre un optimum. Pour ce faire, Coase pose deux hypothèses explicites : la première est que l’objet de la négociation, c’est-à-dire le droit de propriété, soit clairement défini, et la deuxième, que les coûts de transaction soient nuls50. En réalité, et particulièrement dans la réalité du climat, les deux hypothèses ne se vérifient pas : les coûts de transaction existent, et sont par ailleurs importants, et le droit de propriété sur l’utilisation de l’atmosphère n’est pas clair, pour ne pas dire qu’il est inexistant. Keohane arrive au constat qu’une inversion du théorème de Coase est plus appropriée pour analyser la coopération. Puisque les conditions posées par Coase sont impossibles à obtenir (notamment à l’international), alors les biens publics se confrontent aux problèmes du dilemme du prisonnier.

Par ailleurs, on sait qu’en situation de concurrence imparfaite l’apparition des défaillances de marché est inévitable (Samuelson 195451), ce qui, du point de vue économique, représente le fondement de l’intervention publique (en vue de la correction de ces défaillances). Keohane appuie son idée de régime sur la théorie des biens publics

48 Nous avons limité la littérature sur les régimes à trois auteurs : Krasner, Keohane et Young. Le grand exclu de cette discussion est, pour des raisons de concision, John G. Ruggie. Voir, par exemple, The Antinomies of Interdependence (1984), Columbia University Press.

49 Coase R.H. (1960). The Problem of Social Cost. Journal of Law and Economics, 3, pp. 1-44.

50 Coase montre que, lorsque les coûts de transaction sont nuls et la répartition des droits de propriété est claire, la négociation entre agents permet une allocation efficace des ressources. Dans le cas où les coûts de