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changement climatique entre visions communes et intérêts nationaux

1.2.2. Le réalisme et le constructivisme

Dans ce qui suit, nous présenterons, afin de dresser une meilleure perspective, les deux premiers courants majeurs de l’EPI : le réalisme, en tant que point de départ de l’EPI, et le constructivisme, dont les idées et le concept de communauté épistémique sont essentiels, notamment pour la compréhension du rôle du GIEC.

L’EPI réaliste

Le cœur de la définition du réalisme en EPI est rendu par l’idée selon laquelle l’accumulation de la richesse procure aux États les moyens ou les capacités d’action (ang. “capabilities”). Les politiques climatiques influent directement sur les performances économiques, faisant surgir des enjeux de distribution qui se répercutent sur l’accumulation de la richesse et, donc, sur le pouvoir. Selon Abbas (2010), le réalisme repose sur quatre hypothèses fondamentales :

i) les États sont les acteurs-clés du système international ;

ii) les États peuvent être traités comme des unités homogènes guidées par leurs intérêts ;

iii) les États agissent de façon rationnelle dans la défense de leurs intérêts ;

iv) l’anarchie au niveau international signifie que l’antagonisme des intérêts interétatiques peut conduire à des situations de conflit et de coercition27.

Les réalistes conçoivent les États en tant qu’agents rationnels qui essayent de maximiser leur puissance, logique qui englobe tous les autres aspects, y compris l’économie.

27 Nous précision à notre tour, et comme il se doit, le terme d’anarchie, concept central dans la sphère des Relations internationales. Le concept n’a pas un sens commun de désordre, mais il désigne l’absence d’autorité centrale au-dessus des États souverains (gr. Anarkhia : absence du chef). À la différence d’une régulation nationale, sur le plan international, l’état d’anarchie indique qu’il n’y a pas de légitimité d’un monopole de la force (Smouts el al. 2006).

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Par conséquent, les décisions ayant trait au climat seraient (comme tous les autres) instrumentalisées, pour reprendre l’expression d’Abbas, afin de pouvoir répondre à des objectifs de puissance. Or, si les relations interétatiques sont structurées par la répartition de la puissance, alors les organisations internationales et les régimes mis en place reflètent les intérêts des plus puissants d’entre eux. Selon Hasenclever et al. (2000), la distribution des capacités d’action entre États a des effets critiques aussi bien sur les conditions de mise en place des régimes, que sur leur durabilité et sur leur nature. La distribution de la puissance ou, pour reprendre Dannreuther (2013), l’équilibre des puissances est vu, par les réalistes, comme une source significative de stabilité au niveau international.

Leadership et régimes internationaux

Les réalistes interprètent les régimes internationaux à partir de la théorie du leadership (Kindelberger 1973), en tant que biens publics. Ceux-ci sont difficiles à obtenir sans le concours d’un acteur dominant, un hégémon, qui puisse assurer sa fourniture et son exécution (ang. “enforcement”). Les réalistes doutent du fait que les régimes puissent durer en l’absence d’un hégémon qui ait un intérêt dans le bien public en question et qui œuvre à son maintien. Cela n’empêche pas le fait qu’un régime puisse continuer après un éventuel déclin du leader qui l’a mis en place, en raison de l’inertie, des habitudes ou du risque d’instabilité.

Pour ce qui est de la coopération, les réalistes mettent l’accent sur les gains relatifs, bien qu’ils n’ignorent pas les gains absolus. À la différence des libéraux, qui mettent l’accent sur l’égoïsme des États, les réalistes adoptent une réflexion stratégique par rapport aux gains. Puisque, « [l]es amis d’aujourd’hui peuvent s’avérer les ennemis de demain », écrivent Hasenclaver et al. (2000 : 9), les États ne peuvent pas ignorer les gains relatifs. Autrement dit, les acteurs peuvent ne pas coopérer, même si cela serait à leur avantage en termes absolus, en raison de la possibilité d’obtention de gains supérieurs par leurs adversaires. La coopération, dans ces termes, reviendrait à endosser une balance des gains relatifs négatifs. Pour les réalistes, il s’agit donc de défendre leurs intérêts dans un contexte de compétition et non pas d’égoïsme, étant indifférents aux gains des autres. Ainsi, et puisque les États sont prédisposés à la concurrence et au conflit, la coopération internationale demeure élusive. Toute coopération émergeant des relations interétatique est soumise à une logique de dynamique conflictuelle qui trouve sa stabilité à travers un équilibre des puissances28.

Une lecture « réaliste » de la problématique climatique reviendrait à dire que la coopération onusienne (le climat en tant que “given-area”), le contenu (i.e. les Décisions de la CCNUCC) et l’agenda (les éléments en discussion visant un éventuel accord climatique à venir) reflèteraient l’équilibre des grandes puissances. Étant donné la nature étendue, pour ainsi dire, du changement climatique ou l’actuel déséquilibre des puissances, il est difficile de

28 Nous insistons sur la puissance économique et non pas sur celle militaire, en raison du fait qu’il y a peu de raisons de croire que la puissance militaire ait beaucoup d’importance dans les négociations des régimes environnementaux (Young 1994 : 136). Comme le remarquent également Porter et Brown (1996: 15), la politique de l’environnement ne conduit pas à une hégémonie dans laquelle un État puisse contraindre un autre à accepter sa position ; bien au contraire, il y a une corrélation négative, puisque les dépenses militaires détournent les financements des politiques environnementales.

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se prononcer quant à la meilleure manière de mesurer cette puissance29. Mais il est courant que la puissance soit exprimée (et exercée) en termes économiques (Dur et Mateo 2010 ; Bailer 2012 ; Weiler 2012).

Ian Rowlands, chercheur à l’Environment and Ressource Institute au Canada, donne plusieurs exemples pour illustrer l’exercice de puissance en termes économiques. Il s’agit des menaces proférées à l’encontre de ce que l’auteur appelle un « violeur climatique », menaces exprimées dans des cadres divers, comme le Protocole de Montréal, la Convention de Bâle30 ou encore la Convention CITES31 sur le les espèces en dangers (Rowlands 2001). Plus récemment, on peut invoquer la menace des taxes d’ajustement aux frontières, qui a beaucoup agité les discussions ces dernières années (Condon et Ignaciuk 2013 ; Abbas et Sindico 2012 ; Böhringer et al. 2012).

Le pouvoir et ses déclinaisons

Regardons de plus près une forme particulière de manifestation du pouvoir, visible dans le climat. Il s’agit de la capacité d’un pays, ou parfois d’un groupe de pays (coalition) d’acquérir, de par leur taille économique (et, par conséquent, de par la quantité de GHG émises), le statut de “veto player32 (Tsebelis 1995). Comme le remarque Falkner (2005 : 591), lorsqu’il s’agit de pays comme la Chine ou les États-Unis, il est question de plus que de simples joueurs qui s’opposent.

Ce raisonnement est basé sur l’analyse de Porter et al. (2000), développée initialement en rapport avec le Protocole de Montréal. Les auteurs expliquent que les acteurs nationaux peuvent être classifiés entre “lead states”, “support states”, “swing states”, et “veto states”. Un pays dirigeant est un pays qui est fortement engagé au plan international et qui, en même temps, adopte un comportement progressiste en essayant de proposer, voire d’imposer sa vision des choses. Un État supporteur prend position en faveur du leader lors des négociations. Un État oscillant est un acteur ouvert au compromis, qui demande des compensations ou des concessions au regard de ces intérêts, sans pour autant déstabiliser le régime en tant que tel. Le pays adoptant un comportement de blocage est un pays qui s’oppose clairement à la mise en

29 De son côté, Douglas Webber (Institut européen d’administration des affaires) distingue trois types fondamentaux du pouvoir : militaire, économique et idéologique (“soft power”). Webber D. (2014). Declining Power Europe? The Evolution of the European Union’s World Power in the Early 21st Century [en ligne]. Working paper 2014/1. Monash University, European and EU Centre. http://blogs.lse.ac.uk/europpblog/2015/02/04/by-most-objective-measures-europe-must-now-be-classed-as-a-declining-power/. Consulté le 04.02.2015.

30 Il s’agit de la Convention sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et de leur élimination. Voir http://www.basel.int/text/con-f-260408.pdf. Consulté le 4.12.2013.

31 La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction. http://www.cites.org. Consulté le 4.12.2013.

32 George Tsebelis définit les “veto players” en tant qu’acteurs individuels ou collectifs dont l’accord est nécessaire pour un changement de status quo (Tsebelis 1995 : 289).

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place d’un régime ou qui essaie de le rendre inefficient (adapté de Chasek et al. 2006 : 41-43)33.

De par leurs engagements, nos trois acteurs – Europe, Chine, États-Unis – apparaissent, de ce point de vue, comme oscillant entre des positions allant de “lead” au “veto states”(bien qu’ils ne soient pas les seuls). Si nous reprenons ce même modèle d’analyse (de Porter et al. 2009) et si nous ajoutons leur poids dans les émissions mondiales et leur puissance économique34, nous pourrions analyser grossièrement la position de ces trois acteurs aujourd’hui de la manière suivante :

i) l’Europe (plus d’un quart du Pib mondial et 10% des émissions mondiales), pour qui les émissions relatives sont en baisse, essaie d’assumer une position de “lead state35;

ii) la Chine (moins de 10% du Pib et un quart des émissions mondiales) demeure, pour l’instant, un “swing state”, n’ayant pas les moyens économiques de s’imposer et, en même temps, étant concernée, voire menacée par une éventuelle régulation ;

iii) les USA (17% des émissions mondiales et un quart du Pib mondial) nous paraissent bien difficiles à classer. D’un côté, ils devraient être un “lead” ou un “support state” et, de l’autre (de facto), ils se comportent comme un “swing state” – lorsqu’ils exigent par exemple un traitement non différencié par rapport aux grands émergents et parfois comme un “veto playerlorsque ces conditions ne sont pas réunies.

Une analyse en dynamique des positions de ces pays révélerait, du point de vue de la classification ci-dessus, des positionnements différents. À l’avenir, l’on peut raisonnablement supposer que le rôle de l’Europe demeure celui d’un dirigeant (ou du moins d’un supporteur). Pour ce qui concerne la Chine et les États-Unis, la préconisation ne peut être concluante. Comme le rappelle Patrick Criqui, le climat dépend du moment où la Chine décidera d’agir, autrement dit du moment où la Chine basculera du côté de l’ambition de politiques climatiques : « c'est quand la Chine s’éveillera et qu’elle viendra nous dicter ses conditions que l’on connaîtra les vraies perspectives du changement climatique », opinait Criqui pour le Nouvel économiste en 201136.

Cela étant, il ne faut pas perdre de vue le fait qu’au sein de la CCNUCC, les États se coalisent pour défendre leurs intérêts, ce qui est également une manière d’exercer (ou de subir) le pouvoir. Aussi bien la Chine, l’Europe et les États-Unis font partie de ces coalitions. Ces derniers temps, dans l’arène onusienne, on a pu constater certains réarrangements des groupes initiaux, ainsi que l’apparition de nouveaux groupes. Le “Like-Minded Group”, pour n’en citer

33 Il s’agit de la 4ème édition de Global Environmental Politics de Gareth Porter, Janet Welsh Brown, Pamela S. Chasek, parue en 2000, ouvrage auquel on fait référence ci-dessus.

34 Il est vrai que nous aurions pu ajouter à ces deux critères la dimension démographique, mais cela aurait compliqué notre propos, nécessitant davantage de précisions.

35 Du fait de son hétérogénéité étatique, l’Union européenne ne peut, d’un point de vue économique, être facilement considérée comme un acteur unique et donc être associée à un hégémon.

36 Propos recueillis par J. Secondi (2011). CO2 mon amour. Le réchauffement climatique passé à la trappe. Article disponible à http://www.lenouveleconomiste.fr/co2-mon-amour-12260/. Consulté le 04.02. 2015.

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qu’un, s’est fait remarquer dernièrement comme étant particulièrement prolifique. À cet égard, rappelons également que l’accord de Durban, porté par l’Union européenne, n’aurait pas été possible sans le concours des pays AOSIS et le Groupe Africain (Schaik 2012 ; Verolme 2012). Sebenius avait mis en garde par rapport à cela avant même la signature de la Convention-cadre, lorsqu’il remarquait que le pouvoir des coalitions se manifestera pour « bloquer les actions climatiques en raison de la science, de l’intérêt, de l’idéologie ou de l’opportunisme » (Sebenius 1991).

En guise de conclusion, nous reprenons simplement les mots de Ian H. Rowlands (2001), qui caractérise l’approche réaliste dans l’analyse du changement climatique dans les termes suivants : « une approche réaliste suppose que les grandes puissances vont déterminer la réaction internationale au changement climatique ». La lecture réaliste de la problématique climatique serait tout à fait légitime pour saisir les enjeux des discussions associées et les processus à l’œuvre quant aux décisions prises. Dans tous les cas, une évacuation de la question de la puissance des tractations climatiques nous apparaît difficile à opérer, raison pour laquelle nous allons reprendre (de manière plus formelle) la question dans la troisième section de ce chapitre.

L’EPI constructiviste

L’Économie politique internationale constructiviste a été l’une des approches les plus fécondes en théorie des relations internationales. Celle-ci émerge à la fin des années 1980, moment où les relations internationales se confrontent aux « changements les plus dramatiques depuis 1945, la fin de la Guerre froide d’un côté, la mondialisation de l’autre » (Battistella et al. 2012 : 71). À ce moment, Nicholas Onuf introduit le constructivisme en théorie des Relations internationales, à travers son ouvrage World of Our Making. De ce point de vue, Abbas note que celui-ci « s’est substitué à l’EPI marxiste à partir des années 1990 » (Abbas 2010 : 59).

La fin des années 1980 est marquée (d’un point de vue théorique) par le positivisme néo-réaliste (selon lequel la structure anarchique du monde est constante et les intérêts des acteurs sont immuables) et le post-positivisme (qui stipule qu’il n’y a pas de réalité en dehors de la théorie qui l’étudie). Or, les théories rationalistes s’avèrent déficientes à expliquer l’évolution de la réalité internationale qui a suivi un sens différent que celui prévu par les prescriptions théoriques contingentes (Battistella et al. 2012). Ainsi, explique Dannreuther (2013 : 44-45), le « neo-libéralisme apparaissait, aux yeux de nombreux analystes, aussi dépassé et problématique que le néo-réalisme ». Des auteurs comme Smouts et al. (2006) expliquent l’avènement des constructivistes en donnant l’exemple du changement de régime en l’URSS. Pour comprendre ces changements, expliquent les auteurs, « il faut combiner une épistémologie positiviste – la réalité sociale existe et on peut l’étudier – avec une ontologie post-positiviste – cette réalité n’est ni objective, ni subjective, mais intersubjective (elle est ce que les croyances partagées des acteurs en font) » (Smouts et al. 2006 : 74-78). Mentionnons au passage qu’au moment où se développent les théories constructivistes, deux autres approches voyent le jour en Économie politique internationale : l’école britannique et l’école néo-gramscienne (voir l’Annexe 2).

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Particularités de l’approche constructiviste

Partant des hypothèses susmentionnées, il apparait que le constructivisme conteste plusieurs principes des théories rationalistes. Klotz et Lynch (1999) notent que, pour ce qui concerne, par exemple, les intérêts de l’État, ceux-ci ne peuvent pas être déduits de la répartition du pouvoir matériel dans le monde et qu’il y a forcément une composante sociale à prendre en compte dans la constitution de ces intérêts. Par ailleurs, ils ne représentent pas pour autant l’agrégation obtenue à partir de la sommation des intérêts individuels. Dans ce sens, le constructivisme insiste sur « la nature relationnelle plutôt qu’essentielle des intérêts et des identités ». Ainsi, concluent les auteurs, « [l]es acteurs définissent qui ils sont et ce qu’ils veulent en fonction de leur contexte social plutôt que simplement par leur position biologique, économique ou psychologique » (Klotz et Lynch 1999 : 54). On note ainsi les principales caractéristiques du constructivisme : i) l’accent mis sur le contexte social, ii) l’intersubjectivité et iii) la nature constitutive des règles et normes (Klotz et Lynch 1999).

Pour Alexander Wendt, le constructivisme est une théorie structurelle du système international qui pose les principes fondamentaux suivants : i) les États sont les principales unités d’analyse pour la théorie politique internationale ; ii) les structures clés du système interétatique sont intersubjectives plutôt que matérielles : iii) les identités et intérêts des États sont en grande partie construits par ces structures sociales plutôt que donnés de façon exogène au système par la nature humaine et la politique intérieure (Wendt 1994). Les constructivistes, selon Wendt, mettent l’accent sur l’intersubjectivité, sur l’importance des normes, sur le rôle de l’identité dans la constitution des intérêts, ainsi que sur la constitution mutuelle des agents et des structures. Le constructivisme est vu par l’auteur comme une forme d’idéalisme structurel, car « les structures d’association humaines sont déterminées principalement par les idées communes plus que par les forces matérielles », ce qui lui confère son caractère idéaliste (Wendt 1999 : 1).

Le constructivisme met donc l’accent sur la notion d’identité nationale, qui se substitue, dans une certaine mesure, à l’intérêt national, ce qui justifie la remise en cause des hypothèses rationalistes et stato-centrées. Le constructivisme investit les acteurs avec le pouvoir de définir ou de faire évoluer leurs intérêts ou, comme écrit Abbas (2010 : 59), « de définir la réalité socioéconomique et les enjeux qui lui sont associés ». Il y a donc un aspect fort dynamique dans l’EPI constructiviste, qui part de l’hypothèse que les individus « opèrent dans un environnement socialement construit, qui évolue dans le temps » (Katzetsein et al. 1998 : 682). Ce processus n’est pas redevable à un équilibre des puissances, comme pour les réalistes, ni à un (en)jeu d’intérêts, comme pour les libéraux, mais à l’information et à la connaissance qui influent sur les identités des acteurs.

Les Communautés épistémiques. Le GIEC

L’EPI constructiviste a contribué à l’émergence des communautés épistémiques dans le cadre de la coopération internationale. Une communauté épistémique se définit en tant que « réseau de professionnels ayant une expertise reconnue et des compétences dans un certain domaine, bénéficiant de l’autorité nécessaire pour conseiller dans ce même domaine et informer quant

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aux politiques publiques » (Haas 1992 : 3). Les communautés épistémiques peuvent réellement influer sur les décisions politiques ou sur les choix des thèmes de négociation, voire sur les enjeux adjacents. Les communautés épistémiques peuvent être vues également comme des groupes ayant de l’autorité dans un domaine. Elles peuvent être en mesure d’exercer une certaine influence sur la définition des préférences d’un ou de plusieurs États. Bien qu’il ne soit pas nécessaire que les participants à une telle communauté viennent de la même discipline, ceux-ci se retrouvent souvent autour d’un problème commun et de la même « scientificité » du domaine. Abbas (2010 : 60) note que « la diffusion de l’autorité, qui accompagne la globalisation économique, confère aux communautés épistémiques […] la capacité d’identifier les problèmes, de définir l’agenda d’une négociation et d’infléchir l’action politique dans un sens plutôt qu’un autre ». Dans leur travail, ces communautés mettent l’accent sur l’existence d’un savoir scientifique consensuel, dont les résultats sont publiés et discutés par les pairs, souvent au niveau international.

Le concept, du moins dans les relations internationales, fut initialement présenté par Peter Haas. La proposition fut bien reçue dans la communauté scientifique, communauté qui, écrivent Smouts et al. (2006 : 65), « rappelle qu’une coalition se targuant de l’autorité scientifique peut contribuer à la construction d’un régime, dans le domaine de l’environnement ». L’intérêt pour cette approche est d’autant plus important que le domaine investigué est hautement technique, comme c’est le cas du changement climatique. En effet, une communauté d’experts peut éclairer le débat sur les questions hautement épineuses, marquées par l’incertitude et la complexité, puisque la compréhension leur est accessible (Rowlands 2001). La démarche renvoie directement au rôle du GIEC, qui est souvent vu comme une véritable communauté épistémique.

Dans les négociations climatiques, les questions à poser afin de consacrer le GIEC en tant que communauté épistémique peuvent être formulées de la manière suivante : i) influence-t-il ou non, et dans quel mesure, l’action politique ? ii) si l’on a reconnu dans l’émission des GES la cause du réchauffement climatique depuis 1995 (SAR), pourquoi les États n’arrivent-ils pas à donner cours à ses recommandations ? iii) ce manque de résultat serait-il à même d’invalider, non pas forcément sa nature épistémique, mais son rôle ?

Les réponses sont, à l’évidence, plus complexes que cela ne puisse paraitre. Cependant