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l’Union européenne, la Chine et les États-Unis

2.4.1. L’approche de Nordhaus (atténuation et dommages)

Consumption is the ultimate goal of economic life. W.Nordhaus, The Climate Casino, 2013

L’approche de Nordhaus est associée, de manière générale, à des taux d’actualisation relativement élevés, sensibilité du climat plus faible, dommages moins importants et concentrations optimales24 de CO2 plus significatives. Pour Nordhaus (2008), la stabilisation de température optimale serait de 2,6°C, pour une concentration de presque 600 ppm CO2, avec des coûts d’atténuation plutôt faibles (0,1-0,2% Pib). Au niveau mondial, dans un scénario baseline, les dommages vers la fin du siècle seraient de l’ordre de 12 mille milliards dollars, soit 2,8% du Pib pour une augmentation de 3,4°C (Nordhaus 2010).

Nous évoquerons, dans ce qui suit, le modèle de Nordhaus (RICE-2010) (pour une description succinte de ce modèle voir l’Annexe 4) et ses principaux résultats. Ces résultats sont présentés, à partir d’un travail publié par l’auteur, après la Conférence de Copenhague25. Cet exercice comprend cinq scénarios : Baseline (sans politique aucune), Optimal (scénario d’optimisation avec la participation totale des pays), Temperature-limited (scénario à objectif donné, 2°C), Copenhagen Trade (les pays à haut revenu adoptent des politiques de réduction drastique, les PED suivant à distance de 2 à 5 décennies) et Copenhagen rich (les pays à haut

24 L’optimum correspond à la concentration en gaz à effet de serre qui réduirait le plus possible la contraction de la consommation mondiale due à la somme des coûts d’atténuation et des dommages causés par les impacts.

25 Pour illustrer notre propos, nous allons mobiliser les résultats du modèle RICE-2010 (Nordhaus W. (2010). Economic aspects of global warming in a post-Copenhagen environment. PNAS, 107 (26), pp.11721-11726).

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revenu font le facteur 4 et les PED ne suivent qu’à partir de 2100)26. Nous allons présenter cinq projections, obtenues avec RICE-201027 : les émissions de CO2, la hausse des températures, les coûts et les bénéfices de l’accord de Copenhague à moyen terme, les prix de CO2 associés aux scénarios en question et les coûts nets de l’atténuation, en points de Pib pour plusieurs régions, dont l’Europe, la Chine et les États-Unis.

Émissions de CO2 et hausse de température

Commençons par présenter la première projection, l’évolution des émissions sous les cinq scénarios énumérés ci-dessus, qui montre le contraste des futurs possibles dans la vision de l’auteur (Figure 2.17).

Figure 2.17. Projection des émissions de CO2 sous différents scénarios

Source : Nordhaus 2010.

Sous la BaU, les émissions sont presque multipliées par un facteur trois entre le début et la fin du siècle. Dans le scénario Optimal et dans celui visant la limitation de l’augmentation de la température (Lim T<2), les courbes sont assez plates à court, voire moyen terme, et décroissent par la suite. À la fin du siècle, les émissions dans le scénario Optimal se retrouvent réduites de moitié, alors que, pour le scénario à température limitée, celles-ci tombent pratiquement à zéro à partir de 2075. Notons qu’entre l’Optimal et la Lim T<2, il y a une différence qui se creuse à partir de 2030. Remarquons au passage, pour la projection Lim<2, qu’il est difficile

26 En RICE-2010, les engagements de Copenhague (i.e. la limitation à 2°C assumée par les États) sont pris en compte à travers une fonction des dommages spécifiques, qui, explique Nordhaus (2010), projette des dommages plus importants que dans la version classique du modèle.

27 Il s’agit d’une version du modèle RICE mise à jour, suite aux engagements dans le cadre de l’accord de Copenhague, par W. Nordhaus.

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d’envisager qu’à partir de 2075 les émissions de CO2 soient quasi-nulles (en tous cas, dans les conditions économiques et politiques actuelles). Ces émissions correspondent à des concentrations de l’ordre de 600 ppm pour l’Optimal et 450 ppm dans le scénario de température limitée28.

Ces émissions correspondent, respectivement, à des hausses de température présentées dans la Figure 2.18. Remarquons au passage que celles-ci sont inférieures à d’autres projections et notamment à celles de l’AR5 (voir RiD, AR5, WG I, 2013).

Figure 2.18. Augmentation des températures globales (par rapport à 1900), différents scénarios

Source : Nordhaus 2010. Sous la projection baseline la hausse des températures est de 3,5°C en 2100 et de presque 6° en 2200. Sous le scénario Optimal, le peak de l’augmentation de la température est à 3°C, limite à atteindre après 2100. À long terme, la température dans l’optimum et celle correspondant aux promesses de Copenhague convergent.

Coûts et bénéfices

Un troisième résultat concerne le coût et les bénéfices sous le scénario « accord de Copenhague » (Tableau 2.2). Rappelons que dans une approche coût-avantage on fixe la contrainte d’émissions, en égalisant à tout instant le coût marginal d’abattement d’une tonne de CO2 au coût marginal des dommages évités. L’optimum de réduction est déterminé par le point assurant l’égalisation du coût marginal et du gain marginal de la réduction des émissions (Nordhaus 1991).

28 Il est tout de même difficile de comparer ces concentrations avec celles de l’AR5 en raison des métriques utilisées. RICE-2010 « raisonne » en termes de CO2 et non en CO2-eq. Cela étant, la comparaison est possible avec ceux de l’EMF-22, notamment pour la baseline. Pour les autres scénarios, RICE donne des concentrations inférieures à celles de l’EMF-22.

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Tableau 2.2. Coûts et bénéfices de l’accord de Copenhague en 2055 (valeurs actualisées)

Note : La dernière colonne est la somme des trois autres. OHI pour « other high income ».

Source : Nordhaus 2010. Les coûts nets du changement climatique représentent, à de nombreux égards, le cœur même du problème de la coordination et de la mise en place des politiques, comme le montre le tableau ci-dessus. Ces coûts mettent en évidence, pour le dire simplement, la rhétorique « gagnants – perdants ».

Les trois pays sur lesquels nous avons choisi de porter notre attention concentrent à eux seuls plus de deux tiers des coûts totaux à l’horizon 2055 (Tableau 2.2). Sur les plus d’un trillion de dollars des coûts pour ces trois pays, presque la moitié devrait être endossée par les États-Unis, moins d’un tiers par la Chine et un quart seulement par l’UE. Cette asymétrie dans la distribution des coûts nets, remarque Nordhaus, est à même de renforcer un équilibre non coopératif (de Nash) résultant « in an ‘après vous’ syndrome in which no country takes substantial steps » (Nordhaus 2010 : 11725). Nous faisons remarquer qu’aussi bien l’US, l’UE que la Chine subissent, à peu de choses près, les mêmes dommages. Les différences dans les coûts nets proviennent des politiques d’abattement, ainsi que de l’achat et de la vente des permis.

Un autre aspect important concerne la différence entre les dommages subis (la première colonne du tableau) et le coût des politiques (la deuxième colonne). Au niveau mondial, la différence est d’un facteur cinq, alors qu’au niveau national il y a des écarts très importants. Notons que pour la Chine cet écart est de treize et pour les USA il s’agit d’un facteur six. La vente de permis carbone par la Chine lui permettrait de réduire cette « facture », ce qui n’est pas le cas pour les États-Unis. Cela fait que, in fine, les coûts nets les plus importants sont à supporter par les États-Unis.

Cela nous amène à l’un des points les plus saillants que veut faire passer Nordhaus : la question des arbitrages intergénérationnels, puisqu’il est question des valeurs actualisées, donc des valeurs aujourd’hui. Il s’agit donc de consentir à supporter des coûts d’abattement, pour le total monde, qui sont cinq fois supérieurs aux dommages. Cela fait remarquer à Nordhaus que « [a]sking present generations—which are, in most projections, less well off than future

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generations—to shoulder large abatement costs would be asking for a level of political maturity that is rarely observed » (Nordhaus 2010 : 11725).

Le quatrième résultat concerne les coûts marginaux de réduction dans les différents scénarios (Tableau 2.3).

Tableau 2.3. Coûts marginaux de réduction de CO2 dans les différents runs ($ 2010/tCO2)

Source : Nordhaus 2010.

Les coûts marginaux de réduction des émissions (associés à l’émission d’une tonne supplémentaire de CO2) suivent des trajectoires contrastées. Pour les deux premiers scénarios, cela passe d’environ 5 (actuellement) à 12 et respectivement à 24$/t CO2 en 2015. Dans l’Optimal, la trajectoire décrit une courbe régulière pendant que la courbe correspondant au Limit<2°C est plutôt raide, atteignant presque 300$/t CO2 en 2100 (Figure 2.19).

Figure 2.19. Évolution des coûts marginaux de réduction sous différents scénarios

Source : à partir des donnés RICE-2010.

Les deux scénarios ‘Copenhague’ démarrent avec des coûts bas jusqu’en 2025. La progression s’accélère pour ‘Copen trade’ – accélération qui dénote l’augmentation de la participation des autres pays – et retombe dans ‘Copen Rich only’ en dessous de 10$ après la fin du siècle, à cause de la non-participation des autres pays.

2015 2025 2035 2045 2055 2105

Optimal 11,64 20,09 27,45 36,12 47,71 125,29

Limit T<2°C 24,24 43,63 69,32 107,04 160,04 277,18

Copen Full trade 0,12 1,78 19,67 61,73 109,92 181,91

Copen Rich only 0,12 3,8 12,81 19,67 19,66 8,49

-50 0 50 100 150 200 250 300 2000 2020 2040 2060 2080 2100 2120 $ /t C O 2 Optimal Limit T<2°C Copen Full trade Copen Rich only

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Enfin, le dernier résultat concerne l’évolution des coûts nets (différence entre les dommages et les coûts de réduction) dans le scénario Copenhagen trade, en points de Pib (Figure 2.20).

Figure 2.20. Coûts totaux de conformité avec l’accord de Copenhague (en % Pib)

Note : Comme indiqué, ces valeurs incluent l’achat des permis.

Source : Nordhaus 2010.

Ces valeurs correspondent aux chiffres du Tableau 2.2 ci-dessus. Pour ce qui nous intéresse, l’US et la Chine figurent avec des coûts près d’un pourcent du Pib (à partir de 2050 et en valeurs actualisées), alors que l’Europe arrive bien en dessous de cette valeur. Cela indique un désavantage relatif pour les États-Unis et la Chine.

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Au-delà de l’intérêt et de la pertinence de ses résultats en termes d’analyse et de décryptage des futurs possibles, RICE-2010 donne des pistes à même de comprendre certains points de blocage des discussions climatiques actuelles. De manière implicite, nous trouvons que le modèle « suggère » quelques solutions. En effet, ce que montre Nordhaus, c’est qu’il existe des politiques capables de limiter la hausse des températures (trois scénarios qui visent une augmentation entre 2 et 3°C). De ce point de vue, disons-le clairement, Nordhaus n’est pas un adepte du catastrophisme. De plus, ces politiques peuvent être mises en place à des coûts raisonnables, à condition de concéder à certains niveaux d’effort (autour d’un pourcent du Pib après 2050 pour chacun de nos trois pays). La première condition à satisfaire relève de la coordination internationale des politiques. Dans ce sens, la mise en place des politiques pourrait être vue comme une conséquence de cette coordination plutôt que vice-versa.

Les scénarios les plus prometteurs nécessitent, selon l’auteur, le partage, tôt ou tard, du « fardeau ». Cela passe par l’institutionnalisation d’un cap and trade ou d’une taxe carbone au niveau mondial. La réalisation de la coordination s’accompagnera par la confrontation entre pro et contre ces systèmes au niveau international. Un des problèmes qui se pose à la lecture de ces courbes d’évolution des coûts est celui des incitations (à la coopération) et des

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compensations nécessaires. D’un point de vue politique, l’arbitrage entre présent et futur pose un problème, comme le remarque très bien Nordhaus, de degré de maturité politique d’un pays.