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Les impacts du changement climatique, les coûts de l’adaptation et la vulnérabilité

3.1.3. Complexité du système climatique et rôle des GES

La période marquée par le carré rouge dans la Figure 3.2 correspond à l’ère industrielle (à partir du XIXe siècle). Ce que montre le travail de Mann, et en l’occurrence la figure ci-dessus, c’est que l’accumulation de GES dans l’atmosphère coïncide de manière flagrante avec l’augmentation de la température ; c’est ce sur quoi porte également le message du GIEC15. Lorsque l’on considère l’impact des forçages externes sur le changement climatique, notamment celui du soleil16 et des GES, il faut analyser les causes et les résultats de ces impacts. Il est donc important de regarder l’ampleur de ces impacts et notamment les ordres de grandeur lorsqu’on parle des hausses des températures dues à ces deux forçages.

Le constat est sans équivoque : tandis que le forçage solaire se situe en dessous de 0,5 Wm-2,celui des GES est de l’ordre de 1,5 à 2 Wm-2. Sans considérer cette différence comme preuve ultime du fait que le changement climatique soit causé en grande partie par l’émission de GES, force est de constater l’impact majeur de ceux-là sur la hausse de la température moyenne. Pour appuyer ce constat, nous présentons le détail de la composition des forçages radiatifs des gaz anthropiques (Figure 3.3).

15 « L’essentiel de l’élévation de la température moyenne du globe observée depuis le milieu du XXe siècle est très probablement attribuable à la hausse des concentrations de GES anthropiques » (Pachauri et Reisinger 2008).

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Figure 3.3. Composantes du forçage radiatif

Note : Forçage radiatif moyen en 2005 par rapport à 1750 pour différents gaz à effet de serre et autres composants atmosphériques, ainsi que pour d’autres agents et mécanismes importants. L’étendue géographique du forçage, ainsi que le niveau de compréhension scientifique (LOSU-level of scientific understanding) sont donnés à droite. Les rectangles représentent l’estimation moyenne du forçage radiatif et les traits noirs indiquent l’incertitude associée. Les forçages positifs sont représentés en rouge et en bleu les forçages négatifs.

Source : AR4, RiD, 2007. L’effet global des gaz atmosphériques est considéré en termes de forçage radiatif. Le solde de ce bilan radiatif est défini comme la différence entre l’énergie solaire absorbée par la terre et l’énergie infrarouge émise par celle-ci. Lorsque ce solde est positif, le système climatique se réchauffe et vice versa. Ainsi, le forçage radiatif estimé pour le CO2 est de 1,66 Wm-2 avec une marge d’erreur d’environ 10%, pendant que le forçage pour la totalité des GES est de +2,7 Wm-2. Les aérosols et l’effet d’albédo des nuages jouent négativement sur le bilan global (-1,2 Wm-2). On fait remarquer la différence entre le forçage radiatif de l’irradiance solaire, +0,12 Wm-2 et celui du total des activités anthropogéniques, +1,6 Wm-2. Le forçage dû aux émissions de GES est ainsi 13 fois supérieur au forçage dû à l’activité solaire. Encore une fois, il s’agit d’ordres de grandeur très contrastés17.

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Pour ce qui concerne l’incertitude scientifique, l’analyse des périodes antérieures du climat fait ressortir deux faits saillants. Le premier est lié à la difficulté de reconstruire les données manquantes, lorsqu’on fait appel à des données indirectes. Les climatologues sont les premiers à signaler ces difficultés. Pour l’essentiel, il s’agit de la qualité et du choix des données paléontologiques et des méthodes utilisées pour reconstruire les températures. Ces préoccupations font actuellement l’objet de débats et de recherches. On fait remarquer que l’avancement de ces questions n’invalidera ou ne viendra pas contredire les résultats obtenus jusqu’alors. Il y a de vrais problèmes quant à l’estimation exacte de la température à la surface de la Terre, surtout pendant l’Optimummédiéval ou pendant le Petit Âge glaciaire ; cela étant, comme nous l’avons mentionné, la variation de la température a été relativement constante pendant le dernier millénaire. Ce qui est moins soumis à l’incertitude, c’est l’impact des émissions de GES sur le climat. La période récente, sur laquelle on opère des mesures atmosphériques directes (y compris pour ce qui concerne le pouvoir de réchauffement des GES), met en évidence le caractère certain de leur impact sur le climat.

3.2. Études transversales de l’adaptation

Après avoir discuté de la nature et des incertitudes dans les sciences naturelles concernant le climat, à présent, nous nous pencherons sur la question des coûts de l’adaptation. Étant donnée l’étendue et la complexité de la question, l’analyse que nous mènerons requiert de nombreux choix méthodologiques et empiriques. Dans ce qui suit, nous préciserons les nôtres.

Premièrement, précisons que l’adaptation n’acquiert pas la même importance selon qu’il s’agisse d’un pays développé ou en développement. On retrouve ici l’idée, rendue par Amartya Sen, de prendre en compte un point de vue « positionnel » dans lequel décisions et choix dépendent de « l’endroit où nous nous trouvons par rapport à ce que nous essayons de voir » (Sen 2010). Selon la position des États (au sens plutôt socioéconomique que géographique), il s’agit d’enjeux différents lorsqu’on décide d’engager ou non des politiques d’adaptation, surtout lorsqu’on parle d’États aussi hétérogènes que ceux que nous considérons dans notre étude.

Secondement, à présent, il n y a pas d’étude explicite et complète pour estimer les coûts de l’adaptation ni pour les pays que nous analysons ici, ni pour d’autres. Dès lors, nous allons considérer les estimations les plus pertinentes à ce jour. Il s’agit d’études qui ont été produites au sein des institutions reconnues par la communauté internationale : la CCNUCC et la Banque Mondiale.

Pour l’Europe et les États-Unis, la question de l’adaptation ne semble pas se heurter aussi brutalement à la question d’opportunité économique des mesures, ou, du moins, le débat n’est pas mené explicitement dans cette direction. À titre d’exemple, la position de la

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Commission montre que sa stratégie d’adaptation vient renforcer les actions d’atténuation et non pas se substituer à celles-ci (EC 2013). Pour les émergents, notamment pour la Chine, la question se pose évidemment par le biais du développement.

Ainsi, le problème de l’adaptation se posera nécessairement et progressivement, faute d’alternative, aussi bien pour la Chine que pour les autres pays. Pour le dire clairement, pour la Chine, la question de l’adaptation est devenue synonyme de développement (Gemenne et al. 2010). L’absence d’une action forte au niveau d’atténuation mène à un choix implicitement manichéiste : faute de pouvoir réduire les émissions, il faut s’adapter aux conséquences. Cette rationalisation n’est pas sans effet sur le régime climatique, qu’il s’agisse de son aspect coopératif ou de son contenu.

Dans notre analyse, l’accent sera mis sur les coûts de l’adaptation dans les pays en développement, selon les régions, pour lesquelles la question est prioritaire et déterminante. Par ailleurs, nous mentionnons que la plupart des études empiriques confirment que l’adaptation est une question qui se pose, avant tout, pour les pays en développement : sur la dizaine de rapports majeurs qui analysent les coûts de l’adaptation seulement deux concernent les pays développés. Nous ne nous limiterons pas aux trois pays qui se trouvent au cœur de notre analyse mais nous allons présenter l’ensemble des régions. Bien que ces trois acteurs, la Chine, l’Europe et les États-Unis, soient centraux pour notre analyse, lorsque cela est possible, nous essayons de ne pas faire abstraction des autres.

Avant de passer à la première sous-section, il convient de faire une précision sur la relation entre atténuation et adaptation. En effet, la combinaison adéquate entre les efforts d’atténuation et ceux de l’adaptation demeure une question économique complexe. En théorie, faute de pouvoir agir globalement, un état devrait ajuster ses efforts d’atténuation et d’adaptation jusqu’à l’optimum, là où les coûts cumulés sont les plus bas (Parry et al. 2009) (encore que la substituabilité pose de réels problèmes). Dans la recherche de cet optimum, il faut explorer les complémentarités, les trade-off et les synergies possibles entre adaptation et atténuation. La représentation ci-dessous illustre ces interdépendances (Figure 3.4).

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Figure 3.4. Représentation de l’inter-conditionnalité entre atténuation, adaptation et impacts.

Source : Klein et al. 2007. Deux observations semblent nécessaires :

i) À ce jour, la relation entre impacts, atténuation et adaptation demeure insuffisamment explorée. Rien qu’au sein du GIEC, on constate le problème de coordination entre Groupes II et III pour harmoniser ces actions (de la Vega 2013). Comme le notent les auteurs du chapitre 18 du Groupe II de l’AR4 en 2007 : « Research on adaptation and mitigation has been rather unconnected to date, involving largely different communities of scholars who take different approaches to analyse the two responses » (Klein et al. 2007). Or, les études sur l’adaptation sont callées le plus souvent sur une atténuation assumée, en général en ligne avec le 2°C. Si l’atténuation demeure ce qu’elle est aujourd’hui, c’est-à-dire en ligne avec une augmentation de 3,5°C, alors tous les calculs d’adaptation qui n’ont pas pris en compte cette possibilité sont à revoir.

ii) La position de l’atténuation à la pointe de la pyramide n’est pas un hasard. C’est bien en fonction de celle-ci qu’on peut calculer tant les impacts que l’adaptation nécessaire. C’est pour cette raison que les politiques climatiques se sont construites autour des systèmes énergétiques, même si, compte tenu de l’inertie du climat, l’adaptation demeure inévitable.

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