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Les impacts du changement climatique, les coûts de l’adaptation et la vulnérabilité

3.1.2. Incertitude intrinsèque et observation du climat

Le système climatique est formé par cinq composantes majeures : l’atmosphère, l’hydrosphère, la cryosphère (neige, glaciers, etc.), les surfaces continentales et la biosphère. Entre ces composantes s’établit une dynamique interne déterminée par des flux (physiques, chimiques et biologiques) qui sont échangés entre elles. L’équilibre climatique est déterminé par l’interaction de ces flux, mais aussi par l’interaction du système avec les facteurs de variabilités externes (forçages). Il s’agit de facteurs d’origine naturelle (pour les plus importants, l’activité solaire et volcanique), de rétroactions au sein du système climatique et de facteurs anthropiques (l’émission des GES).

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Figure 3.1. Classement des facteurs du changement climatique avec les temps caractéristiques qui leur sont associés.

Note : On distingue quatre types de facteurs qui déterminent le changement climatique : forçages astronomiques, géologiques, variabilité interne (causes intrinsèques ou forçage interne) et forçage anthropique.

Source : d’après E. Bard 2006.

Notre analyse présente deux faits stylisés, à même de mettre en évidence le caractère incertain de la science, correspondant à deux périodes de temps distinctes, la période médiévale et la période actuelle. Deux perturbations sont mises en exergue : le forçage solaire et le forçage anthropique.

Le point de départ de notre argumentation se trouve dans la reconstruction des températures à la surface de la terre par l’équipe de Michael Mann, concrétisée par la fameuse « crosse d’hockey » (Mann et al. 1999, Jansen et Overpeck 2007). Il s’agit de la représentation de l’évolution de la température moyenne de l’air à la surface de l’hémisphère Nord à partir

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d’informations paléoclimatiques11. Cette première estimation avait la forme d’une crosse de hockey et montrait des variations de température plutôt faibles (< 0,5°C) au cours du dernier millénaire, puis une augmentation importante à partir des années 1970 – ce qui confère à cette courbe sa forme spécifique. L’augmentation récente de la température s’explique principalement, selon Mann, par l’introduction dans l’atmosphère d’un nouveau forçage, celui des GES. Cette reconstruction a été reprise dans le troisième rapport du GIEC, afin d’illustrer le caractère prononcé du changement climatique. Le résultat a été fortement contesté à cause de nombreuses incertitudes, dont les méthodes statistiques utilisées et les données paléoclimatiques12 (Mason-Delmotte 2012 ; voir Encadré 3.1).

Encadré 3.1. Méthodes et données climatiques

Les méthodes statistiques utilisées (appelées fonctions de transfert) pour la reconstruction des températures s’appuient sur des proxys sondés dans des archives, tels que les anneaux de croissance des arbres ou les carottes de glace. Il s’agit d’observer aujourd’hui l’empreinte laissée par les modifications géomorphologiques et de les comparer avec les empreintes laissées antérieurement, par des modifications similaires. Les principales incertitudes dans cette reconstruction relèvent de la stabilité des relations indicateur – climat au cours du temps (Cortijo, Masson-Delmotte 2011). Ces méthodes sont en train d’être améliorées, notamment pour mieux distinguer les variations lentes du climat.

Les données paléoclimatiques sont prélevées généralement sur des coraux, des carottes glaciaires, ou proviennent de l’observation des anneaux de croissance des arbres ; il s’agit donc de données indirectes, qui sont reconstruites et traduites par la suite en proxys utilisés dans les modèles. L’absence de données a été palliée évidement par des projections ; en cela les données sont sujettes à des incertitudes. Néanmoins, la reconstruction des données est assise sur des informations qui sont précises et calibrées sur une période dite « instrumentale ». La plus grande incertitude liée aux

proxys en eux-mêmes est due aux signaux climatiques enregistrés par ceux-ci, puisqu’ils peuvent être soumis à des perturbations climatiques aussi bien que non climatiques.

Le fameux « trick » pour cacher la « divergence » entre les données climatiques et les mesures prises sur les cernes d’arbres du Climategate est révélateur en ce sens. À partir des années 1980, on observe un écart entre l’épaisseur (densité) des anneaux des arbres et les températures. S’il y a plus de CO2 dans l’atmosphère, pourquoi les arbres ne poussent-ils pas davantage ? À ce jour, les causes de cette « divergence » restent inconnues (Mason-Delmotte 2012).

Une des incertitudes majeures concerne les époques connues sous les noms d’Optimum Médiéval (années 900-1100) et de Petit Age Glaciaire (années 1500-1800), qui ne sont pas visibles sur la courbe de Mann, sur la « queue » de la crosse. Le quatrième Rapport du GIEC, afin de pallier les manquements signalés, a repris un éventail de modèles climatiques (voir Tableau 6.2. Climate model simulations, chapitre 6, WG I, AR4, p.476), dont nous reprenons les courbes graphiques par la suite.

11 Il s’agit de l’observation du climat à des périodes antérieures à l’invention d’instruments de mesure, y compris pour les temps historiques et géologiques, pour lesquels nous ne disposons que de données climatiques indirectes (AR4 2007).

12 Il est question essentiellement de proxys (indices climatiques comme les anneaux de croissance, les sédiments marins, etc.).

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Figure 3.2. Forçages radiatifs et simulation des températures pendant le dernier millénaire.

Note : Forçage radiatif moyen global (exprimé en Wm-2) utilisé dans les simulations des modèles climatiques dû à a) l’activité volcanique, b) l’activité solaire, c) autres forçages, y compris les GES, d) la moyenne de la température annuelle globale dans l’hémisphère Nord (°C) modélisée à partir des trois forçages mentionnés. Les forçages et les températures sont exprimés en anomalies par rapport à une température moyenne (1500 – 1899).

Source : Quatrième Rapport (Figure 6.13., WG I, p. 477). Par rapport aux premiers travaux de Mann et du troisième Rapport du GIEC, ces courbes présentent des différences significatives, notamment en termes d’amplitude et de variation des températures. La première période correspond donc à l’OptimumMédiéval et met en évidence une hausse de la température entre l’an 1000 et 1200. En l’absence d’autres

Optimum Médiéval

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forçages majeurs signalés par la reconstruction des températures ou d’autres déséquilibres du système climatique, certains chercheurs estiment que c’est le soleil qui aurait causé cette évolution (i.e. Camp et Tung 2007), explication possible d’autant plus que le soleil fournit la quasi-totalité de l’énergie de la Terre (99,96%) (Dudok de Wit et Lilensten 2011). Si le soleil a joué ce rôle une fois, il est fort possible que l’augmentation de la température actuelle puisse être due à la même cause.

Or, on constate un premier problème lié au fait que la hausse de la température dont il est question précède le pic de l’activité solaire, pendant que les autres forçages demeurent constants. Cela indique que, malgré l’énorme importance du soleil dans le réchauffement climatique, celui-ci n’est pas, a priori, responsable de la modification de la température (voir Encadré 3.2). En outre, lorsqu’il y a une augmentation de son activité, vers la deuxième période considérée, la tendance de la température est plutôt à la baisse13 (Mason-Delmotte 2012). Au-delà de l’impact indéniable de l’activité solaire sur le climat, il ne faut pas exagérer son influence. Cela étant, les scientifiques reconnaissent que la variabilité du soleil sur le long terme demeure peu connue (Dudok de Wit et Lilensten 2011).

Encadré 3.2. L’activité du soleil

Généralement, le cycle de l’activité du soleil (11 ans, cycle de Schwabe) est caractérisé par un nombre d’éruptions, un nombre de particules énergétiques et le vent solaire, l’ensemble étant connu sous le nom de taches solaires. Au cours d’un cycle, le nombre de taches fluctue d’un minimum à un maximum. La manière dont l’activité solaire se répercute sur le climat est aujourd’hui sujette à débat. Il est généralement accepté que les cycles du soleil ont un faible impact sur le climat (Mélières, Maréchal 2010). En même temps, ces cycles sont souvent accompagnés d’autres mécanismes qui peuvent donner naissance à des éruptions solaires très importantes (puissance d’irradiance14 de 106 Wm -2). L’énergie de ces éruptions, notent Dudok et Lilensten, « est distribué[e] selon une loi de puissance : de nombreux événements pourraient à terme avoir un impact non négligeable sur le climat ». Par ailleurs, les deux auteurs conviennent que la « méconnaissance de l’histoire de l’évolution du vent solaire et de sa variabilité est quasi-totale » (Dudok de Wit, Lilensten 2011, p.49). Mélières et Maréchal arrivent à une conclusion similaire « C’est actuellement un objet d’étude et de débat que de savoir dans quelle mesure les fluctuations climatiques observées […] sont l’expression des fluctuations solaires ou le résultat d’un autres mécanisme » (Mélières et Maréchal 2010, p.87).

Ces obervations nous amènent à un double constat. D’abord, on ne peut pas réduire l’évolution du climat à un seul facteur, même s’il s’agit d’un forçage aussi important que celui du soleil. Ensuite, on note que le rôle de la variabilité de soleil sur le climat est soumis à de nombreuses incertitudes qui font l’objet des recherches et des préoccupations parmi les scientifiques, ce qui suscite des vraies discussions de recherche. Par exemple, l’impact des forçages externes en général et les rétroactions au sein du système climat ont conduit à une hausse de la température sur la période de l’ordre de +0,5°C. Or, sur le dernier siècle, la

13 Cette température peut être due à une anomalie de la circulation océanique (Mason-Delmotte 2012). 14 L’irradiance ou éclairement énergétique est un terme utilisé en radiométrie pour quantifier la puissance d'un rayonnement électromagnétique par unité de surface. Elle se mesure en Wm-2.

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variation de la température est beaucoup plus importante, comme nous allons le voir par la suite.

Concernant la deuxième époque, le Petit Âge de glace, le raisonnement est similaire au précédent. Pour des raisons de brièveté, nous ne reprendrons pas l’intégralité des explications. En l’absence de forçages externes majeurs, comment s’explique la baisse de la température durant cette période ? Il est à supposer que les forçages volcaniques et solaires puissent avoir été plus forts que ce qui est retenu ou qu’il s’agit d’une variabilité naturelle (interne) du climat. Cette deuxième hypothèse est plausible car la baisse de la température est assez faible. Encore une fois, les raisons qui ont mené à cette baisse de la température demeurent peu connues ; les scientifiques du climat ne sont pas en mesure de tracer exactement l’évolution des températures et les causes qui ont joué sur sa détermination.

L’analyse succincte de ces deux questions illustre la nature de l’incertitude avec laquelle travaillent les scientifiques, ce que Claude Henry (2012) appelle « incertitude impossible de probabiliser ». Malgré cette insuffisance, il est important de noter que l’amplitude de la variation de la température n’a jamais été au-dessus de +/-0,3°C de moyenne (suivre la courbe tracée en noir sur la Figure 3.2). Or, dans la période qui a suivi, on observe une toute autre histoire, correspondant à la partie courbée de la crosse de hockey de Mann et que nous allons voir par la suite.