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l’Union européenne, la Chine et les États-Unis

2.4.2. L’approche de Stern (dommages et atténuation)

L’approche de Stern est caractérisée par une sensibilité du climat relativement élevée, des dommages potentiellement importants, un horizon de long terme et, bien entendu, des taux d’actualisation faibles. Ces conditions mènent à des concentrations optimales de 550 ppm CO2 -eq. et à une hausse de la température inférieure à 3°C. Dans cette sous-section nous présenterons les principaux résultats du Rapport Stern. Précisons qu’il s’agit de privilégier (d’un total de plus de 600 pages et 27 chapitres) uniquement l’exercice d’évaluation des dommages climatiques à travers les résultats du modèle PAGE2002 (chapitre 6), ainsi que les questions liées à l’économie de stabilisation des émissions (chapitres 8 et 9). Pour une description succinte du modèle, se rapporter à l’Annexe 4.

Pour évaluer les impacts climatiques, PAGE2002 utilise principalement des pondérations. Celles-ci permettent l’agrégation des deux secteurs, ainsi que la comparaison entre des régions qui sont préalablement définies. Les pondérations initiales expriment les pourcentages de perte de Pib pour une augmentation de 2,5°C pour l’Union européenne. Pour les autres régions, le modèle utilise des coefficients multiplicateurs. Ainsi, les impacts sont évalués pour chaque région et pour chaque secteur (Tableau 2.4).

Tableau 2.4. Impacts et pondérations utilisés dans PAGE2002 (et dans le Rapport Stern) pour une augmentation de 2,5°C

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Ce que montrent les résultats ci-dessus, c’est que, en l’occurrence pour l’Europe, le changement climatique peut avoir un impact économique négatif (0,5% en moyenne) pour une augmentation de 2,5°C, dans un scénario SRES A2. Cela étant, les impacts non-économiques (santé, biodiversité, etc.) peuvent aller jusqu’à 1,5% du Pib (la moyenne étant de 0,7%).

Si l’on simplifie ces résultats, pour ce qui nous intéresse, c’est-à-dire pour les trois pays que nous analysons, l’Europe, la Chine et les États-Unis, on observe que les impacts les plus importants sont attendus en Europe. À titre de comparaison nous présentons également les impacts pour l’Inde, pays qui apparait bien plus exposé aux pertes dues au changement climatique. Au passage, remarquons que les pays africains ou ceux d’Amérique Latine sont potentiellement bien plus fragiles que le reste des pays (ayant dans le tableau des facteurs de pondération importants).

Tableau 2.5. Impacts économiques et non économiques pour différents pays (% du Pib) pour une augmentation de 2,5°C

Note : (a) La simulation Mode est caractérisée par une fonction des dommages plus « optimiste », impliquant donc une moindre réduction des émissions.

Source : à partir de Hope 2006. En combinant les paramètres climatiques avec les pondérations respectives (Tableau 2.4), PAGE2002 calcule la moyenne des impacts dus au changement climatique pour le scénario A2, pour les prochains deux siècles, à 26,3 trillions US$ (en dollars 2000)29. Ce montant, dans l’exercice de Hope (2006), sur lequel nous nous appuyons, est calculé à partir d’un taux de préférence pour le présent (tppp) de 3% /an, le taux d’actualisation étant autour de 4%.

Stern Review: The Economics of Climate Change

Regardons à présent les principaux « messages » du rapport Stern, qui entrecoupent les résultats que nous venons de présenter (puisque basés sur le même modèle). Le message central du rapport Stern concerne le scénario de l’inaction : le laisser-faire en matière de changement climatique pourrait diminuer jusqu’à 20% (sur le long terme) la consommation par tête dès maintenant et pour toujours. Le corollaire de ce message est que ces pertes peuvent être évitées en mobilisant des ressources relativement modestes, soit 1% du Pib mondial annuellement. Un deuxième résultat sur lequel nous souhaitons nous arrêter concerne les

29 Pour la différence entre 2100 et 2200, PAGE procède à une extrapolation des données (des hypothèses initiales, par exemple les paramètres socioéconomiques).

Impacts économiques et non économiques

Moyenne Min Mode (a) Max

EU 1,2 -0,1 1,3 2,5

USA 0,3 -0,1 0,3 1,3

CHN 0,2 -0,1 0,1 1,3

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trajectoires des émissions compatibles avec un scénario de stabilisation (550 ppm CO2-eq.). Commençons par les coûts des dommages.

Pour ces estimations, PAGE2002 modélise deux lots (ang. sets) de trajectoires, qui comportent à chaque fois trois scénarios caractérisés par la prise en charge ou non des dommages non-marchands et des risques de catastrophe. L’horizon de temps est 2200 et les profils de hausse de température varient entre +2,4 et 5,8°C, pour le premier groupe (baseline) et de +2,6 à 6,5°C pour le deuxième groupe (high climate). Nous présentons les impacts dans trois des scénarios, jugés par Stern les plus probables, puisqu’ils incluent le risque d’occurrence de catastrophe (Figure 2.21).

Figure 2.21. Trajectoires de Pib par tête d’ici à 2200 selon différents scénarios

Source : Stern 2006, Figure 6.5.

Les pertes de revenu par tête sont comprises entre 5,3 et 13,8% en 2200 par rapport à un scénario sans changement climatique. La distribution de la fourchette des dommages (intervalle de confiance de 5 à 95 percentiles, zones grises sur le graphique) se situe entre -1 et -35% de pertes de Pib, suivant les hypothèses prises en compte. La première courbe, qui aboutit à des pertes moyennes de -5,3% en 2200, représente la baseline sans prise en compte des impacts non marchands. La deuxième correspond au scénario high climate sans prise en compte des impacts non marchands (moyenne de -7,3%) et la troisième, en rouge, correspond au même scénario avec prise en compte des impacts non marchands (moyenne -13,8%).

Le rapport établit également une relation entre ces mêmes pertes de Pib et la hausse des températures. Les courbes présentées dans la figure ci-après correspondent aux précédentes, ayant donc les mêmes propriétés (Figure 2.22).

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Figure 2.22. Évolution des pertes de Pib par tête selon la hausse de température

Source : Stern 2006, Figure 6.6. Stern note que les moyennes obtenus sont plus importantes que ceux du GIEC (TAR 2001). Par exemple, dans les scénarios high climate, la hausse est de 4,3°C en 2100, alors que dans la baseline la hausse est de 3,9°C. Sous l’influence des effets rétroactifs, ces différences, ainsi que les hausses des températures, s’accélèrent pour atteindre plus de 8°C dans le high climate (courbe en rouge) et plus de 7°C dans le baseline (courbe orange). Cela étant, Stern précise que ces chiffres doivent être considérés comme indicatifs, puisque les modèles climatiques n’ont pas été utilisés pour explorer des températures aussi élevés. (Stern 2006 : 158).

À l’évidence, c’est la technique d’actualisation pour valoriser les pertes inter-temporelles de bien-être qui alimente les critiques autour de ces résultats. Nous n’allons pas reprendre ici, ni la défense (i.e. Dietz 2008 ; Hope 2008), ni les critiques (i.e. Weitzman 2007 ; Tol et Yohe 2006) qui ont été faites en rapport avec la « méthode » de Stern. Retenons simplement l’égard de Stern vis-à-vis de la croissance future, de l’éventualité de l’occurrence de catastrophes, ainsi que les considérations éthiques. Après tout, comme le remarquent Hourcade et Hallegatte (2008 : 6), « on peut considérer qu’un tppp très faible ne fait que pallier les biais des outils utilisés et des limites de l’état de l’art de l’analyse économique en ce domaine ».

Les coûts de l’atténuation dans le Rapport Stern

Regardons à présent les coûts de réduction des émissions. Dans la troisième partie du rapport, The Economics of Stabilisation, les auteurs expliquent que la stabilisation des émissions à 550 ppm CO2-eq. nécessiterait un pic des émissions dans les prochaines 10 à 20 ans et un taux de réduction annuel de 1 à 3%. En 2050, les émissions au niveau monde devraient être réduites

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de 25% par rapport aux niveaux actuels (Stern 2006 : 193)30. Le rapport s’appuie sur le travail de Meinhausen (2006), qui synthétise plusieurs études et établit une correspondance entre concentration des émissions de GES et hausse des températures (Stern 2006, Figure 13.4). Une stabilisation à 550 ppm CO2-eq. laisse 1 à 37% de chances de rester en dessous de +2°C et 31 à 79% de chances pour rester en dessous de +3°C. Les niveaux des émissions sous la BaU sont estimés à quelques 80 GtCO2 en 2050. Pour atteindre des concentrations de 550 ppm CO2-eq. en 2100, le rapport estime nécessaire des coupes de l’ordre de 35-40% (Stern 2006, Figure 8.4), soit des émissions globales de 50 Gt/an en 2050. Ces chiffres amènent l’équipe de Stern à proposer les scénarios de stabilisation suivants (Figure 2.23).

Figure 2.23. Trajectoires illustratives des émissions pour une stabilisation à 550 ppm CO2-eq.

Source : Stern 2006, Figure 8.2. Le profil de ce scénario suit une tendance plutôt « commune », connue sous le nom de « peak-plateau-decline » (Yawitch 2009 ; Criqui et al. 2014). Il s’agit d’un prolongement des tendances actuelles, disons jusqu’en 2020, voire plus, étape qui serait suivie d’une période de stabilisation des émissions de quelques années encore et d’une décrue régulière par la suite (chez Stern celle-ci est prolongée après 2050). L’intuition de Stern s’avère réaliste car autrement (par un changement précipité) les trajectoires risquent d’être extrêmement couteuses, engendrant des chocs massifs dans l’économie.

La proposition de Stern, dans la figure ci-dessus, montre six façons d’atteindre la concentration désirée, avec un arbitrage entre la hauteur et la date du pic (low ou high) et des taux de réductions annuelles plus ou moins faibles. Par exemple, pour un pic visé de 48Gt en

30 Deux remarques s’imposent. D’abord, comme le remarque Stern lui-même, à ce niveau de concentration, la probabilité de dépasser les 3°C n’est pas négligeable. Si le TAR estime cette probabilité à plus de 30%, le Hadley Center l’estime à 70%. Cela nous amène à la possibilité de dépasser le 4°C qui est de 10% dans le TAR et de 25% pour Hadley (Stern 2006, Box 8.1). La deuxième remarque concerne la progression de l’accumulation des GES. Actuellement la concentration est de 400 ppm CO2, soit environ 480 ppm CO2-eq. Avec une progression d’environ 2 ppm/an (fourchette basse) on atteindra les 550 ppm CO2-eq. en 2050.

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2020, les émissions devront être réduites à un rythme de 2,5%/an, alors que pour un pic de 58 Gt en 2030, le taux de réduction devrait être de 4%/an. Stern estime que ce résultat pourrait être atteint pour un coût annuel, sur la période, situé dans une fourchette de -1% du Pib mondial (donc impact positif) et +3,5% (avec les hypothèses les plus pessimistes), l’estimation moyenne étant de 1% du Pib (930 Mds $) à horizon 205031.

Ceci dit, un des éléments qui fut apprécié dans le rapport consiste justement en son caractère complet qui prend en considération les mesures permettant de réduire (d’un quart) les émissions de CO2. Le rapport identifie un portfolio de politiques à même d’assurer ce résultat : amélioration du rendement de l’offre énergétique, maîtrise de la demande d’énergie, substitution des combustibles à faible émission de carbone. Le rapport calcule l’évolution des coûts moyens des réductions d’émissions à partir des taux de pénétration des différentes technologies et des coûts marginaux d’abattement associés. Les émissions seraient ainsi amenées à 16 GtCO2-eq. pour les secteurs non-fossiles et à 18 Gt pour les secteurs énergétiques, soit 34 Gt CO2-eq. en 2050, émissions compatibles avec la concentration de 550 ppm CO2-eq. Ceci pour un coût cumulé de 930 milliards $, soit environ 1% du Pib en 2050. Ce coût, mille milliards, peut paraitre – et de fait il l’est – important. Ceci dit, Stern précise qu’il est comparable à une augmentation de 1% de l’indice des prix, à revenus nominaux inchangés (Stern 2006 : 234).

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Concluons rapidement ce bref aperçu en faisant remarquer trois éléments, qui à notre avis particularisent l’approche et les résultats du Rapport Stern :

i) Concernant la méthode, nous notons le choix du taux d’actualisation, donc le choix de ses paramètres. Sans vouloir défendre forcement ces options, nous lui devons d’avoir élargi le débat en dehors de son sentier battu32. Procédant ainsi, le rapport a permis à la communauté d’experts de forger la question, de s’interroger et de se responsabiliser par rapport aux arbitrages nécessaires qui s’imposent.

ii) Stern (de)montre qu’avec un investissement de l’ordre d’un pourcent du Pib mondial il est possible de stabiliser les émissions à un niveau raisonnable, et ce, afin d’éviter des dommages beaucoup plus importants. Procédant ainsi, il pointe dans deux directions, ce qui nous amène à notre troisième point.

iii) Il est nécessaire de remplir, à la fois, des conditions économiques (i.e. émergence du prix de CO2, apprentissage technologique) et des conditions politiques (liées à la coopération), sans quoi ces mesures ont une portée partielle qui risque de les faire manquer le but pour lequel elles doivent être mises en place.

31 Précisons rapidement la méthode retenue pour obtenir ces résultats. La méthode de Stern, dans ce cas, est différente de la méthode d’actualisation utilisée précédemment pour le calcul des dommages. Il s’agit de ce que le rapport appelle « resource-cost method », qui consiste en l’estimation des coûts de l’action par rapport au Pib de 2050. Or, comme le remarque Celestin-Urbain (2008), si l’on rapporte la somme actualisée (1,4%) des coûts totaux de réduction des émissions sur la période 2005-2050 au Pib cumulé et actualisé sur la même période, le coût de l’action ressort à 0,6% et non pas à 1%.

32 Ceci dit, il faut mentionner que Stern n’est pas le seul auteur à avoir proposé un faible taux d’actualisation (voir par exemple Cline 1993), mais c’est son rapport qui a attiré l’attention sur ce point d’une façon inédite jusqu’alors.

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À ce jour, la pertinence du rapport demeure, malgré un constat mitigé fait par Stern lui-même : « Emissions have gone up faster than I thought and some of the effects of global warming are coming through more quickly […]. But technical change has been faster too »33.

2.4.3. Synthèse sur les estimations de Stern et de