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Chapitre 1 : Le chant des sirènes

B. Pouvoirs légendaires de la musique

3. Le metal sur le banc des accusés

3.3. Suicides

« Les suicides d’adolescents en 1984, 1986 et 1988 ont tous été mis sur le dos d’Ozzy Osbourne, et je présume que les trois accusations sont au moins en partie exactes. Maintenant, comprenez-moi bien : je ne suis pas en train de dire que la musique ait fait devenir ces personnes sauvagement folles. Mais c’est aussi stupide de dire qu’il n’y a aucun lien. Chaque année, des milliards de dollars sont dépensés dans l’industrie de la publicité. Cela est fait en partant du principe que l’information peut influencer le comportement des consommateurs, et il est évident que ça marche. Si des gamins sont touchés par des publicités de Sprite et de Ronald McDonald, pourquoi ne seraient-ils pas touchés par Rob Halford ? »204

Chuck Klosterman Dans son Raising PG Kids in an X-Rated Society, Tipper Gore consacre un cinquième chapitre sur la responsabilité de certaines chansons dans le suicide de jeunes.205 Pour appuyer ses propos, elle cite un extrait d’article de la presse grand public affirmant que « Beaucoup […] de suicides d’adolescents sont liés à la dépression qui est alimentée par une musique et des paroles fatalistes. »206

De la même manière que nous n’avons pas voulu exposer les affaires de meurtres liées au metal pour lesquelles les sources étaient insuffisantes,207 nous n’avons gardé dans cette section que celles suffisamment documentées. Aussi allons-nous nous intéresser uniquement au chanteur Ozzy Osbourne et au groupe Judas Priest qui se sont retrouvés devant les tribunaux au cours des grands procès contre le metal durant les années 1980 et 1990.

will not take responsibility." In Ian CHRISTE. Sound of the Beast. The Complete Headbanging History of Heavy Metal. New York : Harper Collins, 2003. p. 330.

203 Examen allemand correspondant à notre baccalauréat français. 204

« Teen suicides in 1984, 1986, and 1988 were all blamed on Ozzy Osbourne, and I assume all three accusations are at least partially accurate. […] Now, don’t get me wrong: I am not suggesting that music made these people go violently insane. But it’s equally as stupid to argue that there’s no connection at all. Every year, billions of dollars are spent in the advertising industry. This is done on the premise that information can influence the behavior of consumers, and it obviously does. If kids are affected by Sprite commercials and Ronald Mc Donald, why Wouldn’t they be affected by Rob Halford? « Chuck KLOSTERMAN. Op. Cit., pp. 46-47.

205

Tipper GORE. Raising PG Kids in an X-Rated Society. Nashville : Abingdon, 1987. pp. 103-116.

206

Sterwart POWELL et al. “What Entertainers are doing to your Kids”. U.S. News & World Report. Edition du 28 octobre 1985. p. 46. Cité par Tipper GORE. Op. Cit.

207

Nous pensons ici à deux cas en particulier. Il y a tout d’abord le suicide de Steve Boucher dont on ne trouve aucune trace dans la presse. La mort de cet enfant a été évoquée par M. Ling lors des auditions du comité sur le commerce, la science et le transport du sénat américain le 19 septembre 1985. In RECORD LABELING. Op. Cit., p. 13.

Le second cas est celui d’un garçon dénommé Phillip Morton qui se serait donné là mort à cause des paroles des chansons « Goodbye Cruel World » et « Waiting for the Worms » du groupe Pink Floyd sur leur album The Wall.

Il paraît important de noter que ces deux cas sont cités dans un tract intitulé « It's Only Rock'n Roll… But It Kills » rédigé par Terry Watkins. Pour l’organisation “Dial-the-Truth Ministries”. Adresse : <www.av1611.org> ; consulté le 16 juin 2007.

3.3.1. « Suicide Solution »

En 1983, le nom du chanteur Ozzy Osbourne avait été cité dans les homicides perpétrés par James Jollimore mais l’artiste ne s’était pas retrouvé sur le banc des accusés.

Presqu’un an plus tard, le soir du 26 octobre 1984, John McCollum, âgé de 19 ans, se tira une balle dans la tête. C’est parce qu’il se serait suicidé après avoir écouté plusieurs albums d’Ozzy Osbourne, dont l’un contenait la chanson « Suicide Solution »,208 que la famille du jeune homme décida de porter plainte contre le chanteur et sa maison de disques, CBS Records. Les parents de John McCollum arguèrent que la maison de disques produisait des albums dont elle savait pertinemment que le contenu pouvait amener des personnes au suicide. Ozzy déclara ensuite dans They Fought the Law : « Je ne me suis jamais assis pour écrire des paroles avec l’intention que quelqu’un devrait se suicider ».209

Le juge John Cole de la Court Supérieure débouta la plainte des parents invoquant le Premier Amendement de la Constitution américaine qui protégeait les paroles d’Ozzy Osbourne.

Il y eut appel mais la California Court of Appeals confirma le jugement rendu par le Juge John Cole à savoir qu’aucun élément ne venait justifier la levée de la protection garantie par le Premier Amendement. Selon la cour, il n’y avait dans les paroles aucune incitation directe et expresse au suicide.210 Par ailleurs, elle déclara :

« Les paroles de chansons et la poésie ne peuvent pas être analysées en tant que porteuse "d’appel à l’acte" pour la simple raison qu’elles ne sont pas prévues pour, ni ne devraient, être lues littéralement. […] Les personnes sensées comprennent les paroles et la poésie en tant qu’expressions figurées, ce qu’elles sont. »211 La cour poursuivit en déclarant que même si les paroles avaient exprimé l’idée que le suicide est une alternative acceptable à la vie. Ozzy Osbourne avait le droit constitutionnel d’exprimer ce point de vue.212

3.3.2. Vance contre Judas Priest

Le 23 décembre 1985, à Reno dans le Nevada, Raymond Belknap et James Vance, âgés alors de 18 et 20 ans, décidèrent de mettre fin à leurs jours avec un fusil à canon scié.

Raymond fut le premier à appuyer sur la gâchette. Ce fut ensuite au tour de James. Ce dernier survécut mais il fut salement défiguré.

Les parents décidèrent de porter plainte contre le groupe britannique Judas Priest car les deux adolescents avaient écouté l’album Stained Class pendant plusieurs heures avant de passer à l’acte. Ils réclamèrent aux musiciens 6,2 millions de dollars de dommages et intérêts car selon eux, c’était la musique de cet album qui était responsable de la mort de leurs enfants.

Lors des séances qui eurent lieu avant le procès pour clarifier les détails légaux, la plainte mentionnait les paroles des chansons « Heroes End » et « Beyond the Realms of Death » comme contenant des éléments déclencheurs des suicides. Comme le jugement dans l’affaire McCollum contre Ozzy Osbourne et CBS avait confirmé que les paroles de chansons étaient protégées par le Premier Amendement de la Constitution américaine, les avocats durent trouver un autre motif de plainte et ce fut celui des messages subliminaux213 que le groupe aurait délibérément placés dans leur chanson « Better by You Better than Me ». Le juge Jerry Whitehead estima que les messages subliminaux ne pouvaient bénéficier de la protection du Premier Amendement et un procès fut programmé pour août 1990.

Lors du procès, les plaignants avaient à prouver quatre points :

208

“Court Throws Out Suit against Ozzy Osbourne”. The New York Times. Edition du 8 août 1986. p. 6.

209

“I never sat down to write lyrics with the intent that anyone should kill themselves.” In Ian CHRISTE. Op. Cit., p. 298.

210

Source : < http://www.tjcenter.org/ArtOnTrial/ozzy.html> ; consulté le 14.06.2008.

211

Robert M. O'NEIL. The First Amendment and Civil Liability. Bloomington: Indiana University Press, 2001

212

A. Bruce STRAUCH. Publishing and the Law: Current Legal Issues New York : Haworth Information Press, 2001, pp. 164-165.

213 « Qui ne dépasse pas le seuil de la conscience. Publicité subliminale perçue par le seul inconscient. » In Dictionnaire Universel

→ un message inaudible mais techniquement identifiable était physiquement présent sur l’enregistrement ;

→ le message y avait été délibérément placé ; → le message était subliminal ;

→ le message avait contribué au suicide.

Les plaignants réussirent à prouver qu’un « Do it » (Fais-le), fruit de la hasardeuse combinaison d’un accord de guitare et d’une expiration du chanteur, était présent sur la chanson « Better by You Better than Me ».

Il y avait donc un « Fais-le ! » Mais que faire ?

La défense évoqua les antécédents familiaux des deux jeunes hommes et le tableau dressé fut particulièrement affligeant.

Les parents de Raymond Belknap s’étaient séparés avant sa naissance et sa mère s’était mariée quatre fois. Son dernier mari battait Raymond avec une ceinture et un jour, il était allé jusqu’à menacer sa femme avec un pistolet sous les yeux du garçon.

Quant à James, il était l’enfant d’une fille mère qui le battait souvent quand il était encore petit. En grandissant, il se défendit et il se mit à rendre les coups à sa mère. En outre, lors de son admission dans un centre de désintoxication, il avoua que son loisir préféré était la consommation de drogues.

Les deux jeunes avaient un casier judiciaire, ils avaient très tôt quitté l’école, ils aimaient les armes à feu, la bière, consommaient de la marijuana, des hallucinogènes et de la cocaïne.214 « Belknap avait déjà tenté de se suicider et il avait exprimé des désirs suicidaires. Peu de temps avant de se tirer une balle, Belknap avait donné en avance certains de ses cadeaux de Noël et il avait fait savoir à sa sœur qu’il aimerait qu’elle donne son prénom à son bébé au cas où quelque chose lui arriverait. »215

Cependant lors du procès, le juge déclara que ce n’était pas « les défunts et leurs parents [qui] sont jugés. La cour n’est pas là pour juger les vies des décédés ou évaluer leurs familles. »216 Anna Quilden publia, dans l’édition du 20 septembre 1990 du New York Times, un article éclairé intitulé « Suicide Solution » qui résume parfaitement les tenants et les aboutissants de l’affaire Vance contre Judas Priest. En voici quelques extraits choisis :

« J’adorerais reconnaître le heavy metal coupable de presque tout – Je préfère être enfermée dans une pièce avec 100 accordéonistes plutôt que d’écouter Metallica – mais la musique n’a rien à voir dans ce procès. Il s’agit d’une tentative malheureuse de la part d’adultes ayant de la peine à dire, sur la place publique, ce que leurs garçons disparus disaient en privé depuis des années : quelqu’un doit porter la responsabilité de mes échecs mais ça ne peut pas être moi. Quelqu’un est à blâmer. Quelqu’un d’autre. Toujours quelqu’un d’autre.

Ils sont légions, les jeunes hommes qui tuent pour une poignée de pièces de monnaie, et qui ensuite sans remords, presque désinvoltes, [ils disent :] « Hey mec, ce sont des choses qui arrivent. » Et leurs parents épinglent le coupable : c’était la ville, les flics, le système, la foule, la musique. N’importe qui sauf lui, n’importe qui sauf moi. Quelqu’un doit assumer la responsabilité. Quelqu’un d’autre. Toujours quelqu’un d’autre.

Dans l’affaire Judas Priest, il est facile de voir comment des gamins arrivent à penser qu’ils ne sont pas responsables de leurs actes. Ils en héritent. Le heavy metal est rempli de violence mais Jay et Ray en avait plein même la stéréo débranchée. Le juge décida que le groupe n’était pas responsable des suicides, mais les familles vont poursuivre en faisant appel, cherchant l’absolution pour les morts horribles de leurs fils. Le

214

Anna QUINDLEN. “PUBLIC & PRIVATE; Suicide Solution”. The New York Times. Edition du 20 septembre 1990.

215

"Belknap had attempted suicide before and had expressed suicidal intentions. Just prior to the shootings, Belknap gave out some of his Christmas presents early and indicated a desire for his sister to name her baby after him if anything happened to him.” In Timothy E. MOORE « Scientific Consensus and Expert Testimony: Lessons from the Judas Priest Trial” Skeptical Inquirer, novembre- décembre 1996.

216 Ibid. "the deceased and their parents are not on trial. The court is not to judge the lives of the decedents or evaluate their

heavy metal les ont amenés à faire ça – pas les pères successifs, les corrections, l’alcool, les drogues, un manque de volonté ou d’opiniâtreté Quelqu’un doit assumer la responsabilité. Quelqu’un d’autre. Toujours, quelqu’un d’autre. »217

Walter Goodman va dans le même sens qu’Anna Quilden dans sa critique de Dreams Deceivers, un documentaire sur le procès réalisé par David Van Taylor.

« Personne ne s’en tire admirablement. Les familles des adolescents ont des antécédents d’alcoolisme, de consommation de drogues, de problèmes de jeu, de violence domestique, de crimes mineurs et des tentatives de suicides qui n’ont rien à voir avec la musique. Le spectateur psychologue peut interpréter la plainte des parents comme un effort pour se débarrasser de leur propre responsabilité tout en essayant de se faire au passage de l’argent. »218

4. Synthèse

Quand on parle des pouvoirs de la musique, ils semblent toujours associés à la mort. En effet, dans tous les exemples cités, il y a toujours une portée macabre ou morbide. Ce phénomène peut s’expliquer par le fait que pendant longtemps, ce furent les prêtres qui contrôlaient jalousement ce puissant médium capable de déchainer les passions. Lorsque la musique fut utilisée par d’autres personnes, elle ne pouvait être que condamnée comme une œuvre maléfique surtout si elle mettait en œuvre une imagerie embrassant le monde des ténèbres et de la mort, comme c’est le cas avec le metal.

Lorsque l’on tient compte du poids du christianisme dans la société américaine, on peut imaginer le biais par lequel ce genre est perçu. Aussi nous semble-t-il important de proposer un éclairage différent mais tout aussi valable.

Dans le chapitre suivant, nous allons nous intéresser à des aspects du metal que ses adversaires occultent dans leurs analyses de ce phénomène musical global.

217

Anna QUINDLEN. Op. Cit., “I would love to convict heavy metal of almost anything - I would rather be locked in a room with 100 accordion players than listen to Metallica - but music has little to do with this litigation. It is a sad attempt by grieving grown-ups to say, in a public forum, what their lost boys had been saying privately for years : someone's to blame for my failures, but it can't be me. Someone's to blame. Someone else. Always someone else. They are legion. Young men kill someone for a handful of coins, then are remorseless, even casual: hey, man, things happen. And their parents nab the culprit: it was the city, the cops, the system, the crowd, the music. Anyone but him. Anyone but me. In the Judas Priest lawsuit, it's easy to see how kids get the idea that they are not responsible for their actions. They inherit it. Heavy metal music is filled with violence, but Jay and Ray got plenty of that even with the stereo unplugged. The trial judge ruled that the band was not responsible for the suicides, but the families are pressing ahead with an appeal, looking for absolution for the horrible deaths of their sons. Heavy metal made them do it - not the revolving fathers, the beatings, the alcohol, the drugs, a failure of will or of nurturing. Someone's to blame. Someone else. Always someone else.”

218

Walter GOODMAN “Heavy Metal As a Seducer Unto Death”. The New York Times, 3 août 1992. “No one comes off admirably. The teen-agers’ families have histories of alcoholism, drug use, gambling problems, domestic violence, petty crimes and suicide attempts that have nothing to do with music. The psychologically disposed viewer may interpret the parents’ lawsuit as an effort to shed their own responsibility while trying to make some money.”