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Chapitre 6 : Pressé dans le vinyle

3.2. Procédés d’intertextualité avec le cinéma

On pourra être surpris de trouver le cinéma dans une étude sur le texte mais nous rejoignons la pensée de Roland Barthes qui dit que :

« Toutes les pratiques signifiantes peuvent engendrer du texte : la pratique picturale, la pratique musicale, la pratique filmique, etc. […] on ne peut, en droit, restreindre le concept de "texte" à l’écrit et à la littérature.»587

Les pratiques intertextuelles ayant été définies dans la première section, nous allons présenter ici leur utilisation pour les chansons de Maiden concernées.

3.2.1. Citation et plagiat

Grâce à la vidéo 12 Wasted Years et au DVD The Iron Maiden History: The Early Days, les aficionados savent comment Rod Smallwood, le manager de Maiden, s’est ridiculisé lors de son coup de téléphone à Patrick McGoohan, principal acteur et producteur de la série britannique des années 1960, devenue culte, Le Prisonnier. Le groupe souhaitait en effet utiliser le mythique dialogue :

« - Nous voulons des renseignements… des renseignements… des renseignements… - Qui êtes-vous ?

- Le nouveau Numéro Deux - Qui est le Numéro Un ? - Vous êtes le Numéro Six

- Je ne suis pas un Numéro ! Je suis un homme libre ! »

en guise d’introduction de leur morceau éponyme figurant sur The Number of the Beast. Sans avoir besoin d’être fan de la série, ce dialogue est aujourd’hui célèbre. D’autre part, le groupe n’a jamais caché son origine.

En revanche une chanson pose problème. Il s’agit de « The Edge of Darkness » basée sur le film de Francis Ford Coppola. Les paroles de cette chanson sont essentiellement constituées de

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« Le plagiat constitue une reprise littérale, mais non marquée et la désignation de l’hétérogène y est nulle. » Ibid. p. 38.

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« Le pastiche déforme lui aussi, mais en imitant l’hypotexte, tandis que la parodie le transforme. Il s’agit moins de renvoyer à un texte précis qu’au style caractéristique d’un auteur, et pour ce faire, le sujet importe peu. » (c’est l’auteur qui souligne). Ibid. p. 39.

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répliques « tirées » du film comme le soliloque du capitaine Willard dans sa chambre d’hôtel à Saigon : (nous avons fait apparaître en gras les mots et expressions communs aux deux textes.) Apocalypse Now

Every minute I stay in this room I get weaker. And every minute Charlie squats in the bush he gets stronger. Each time I look around the walls move in a little tighter. Everyone gets everything he wants. I wanted a mission, and for my sins they gave me one. Brought it up to me like room service.

« The Edge of Darkness »

Every minute I get weaker, while in the jungle they grow strong

What I wanted was a mission, and for my sins they gave me one

They brought it up just like room service, ‘cause everyone gets what they want.

Ce que nous pouvons voir dans ce premier couplet se retrouve tout au long de la chanson. Dans la mesure où il n’y a pas de guillemets dans le livret des paroles et qu’il n’y a aucune mention faite au film de Coppola, nous serions tenté de dire qu’il s’agit là d’un cas de plagiat même si les paroles de Maiden ne sont pas exactement les mêmes que celles que l’on retrouve dans le film. Cependant, ce qui fait pencher la balance du côté du plagiat c’est la quantité d’éléments extérieurs incorporés ; il y en a beaucoup trop pour parler d’œuvre totalement originale et le plus gênant est le passage sous silence de l’origine des paroles même s’il est très facile de la saisir.

3.2.2. Les références

Sept morceaux du groupe empruntent leur titre à celui d’un film ou d’une série-télévision. Il s’agit de « Children of the Damned », « The Prisoner », « Where Eagles Dare », « Quest for Fire », « Run Silent Run Deep », « The Fugitive » et de « The Wicker Man ». Parmi eux, certains sont écrits autour de l’exposition d’une situation spécifique ; cela est le cas pour « Children of the Damned » et « Run Silent Run Deep ». Dans « The Prisoner » et « The Fugitive », les paroles sont écrites à partir du personnage principal. Enfin, pour « The Wicker Man », la référence se limite au titre.

On retrouve également dans cette catégorie « Man on the Edge » décrivant le moment où le personnage principal du film Falling Down de Joel Schumacher sombre dans la folie meurtrière suite à son licenciement.

3.2.3. Les allusions

Alors que nous n’avions identifié qu’une seule allusion pour les ouvrages littéraires, cette pratique intertextuelle est la plus utilisée pour les films et les séries. Voici le détail par chanson :

- « The Number of the Beast » : Steve Harris a plusieurs fois déclaré qu’Omen II de Don Taylor et un cauchemar avaient été la base de cette chanson. Le lien avec le film est très difficile à saisir ; il y a bien sûr le mal qui s’incarne dans le petit Damien mais cela ne va pas au-delà et ce sont les interviews qui donnent plus d’éclairage que les paroles elles- mêmes.

- « Back in the Village » : le village dont il est question dans le titre de la chanson est celui dans lequel Le Prisonnier a été enfermé. On retrouve d’autres éléments dans la chanson qui établissent le lien avec la série The Prisoner.

- « Bring Your Daughter to the Slaughter » : Bruce Dickinson avait expliqué à Tommy Vance588 que selon lui la série des films Nightmare on Elm Street était basée sur l’horrible idée que les jeunes filles se faisaient déflorer par Freddy Krugger, le « héros » démoniaque du film. Ainsi les paroles de cette chanson font allusion au sanglant dépucelage qui sous-tend le film.

588 « Friday Rock Show » sur BBC Radio 1, automne 1990. Merci à Paul STENNING de nous avoir indiqué la source de cette interview

- « The Sign of the Cross » : on retrouve dans cette chanson plusieurs éléments rappelant l’univers monacal dans lequel se passe l’intrigue du Nom de la rose adapté au cinéma par Jean-Jacques Annaud d'après le roman éponyme d’Umberto Eco. En outre dans le refrain, on retrouve « The name of the rose » mais les paroles n’ont pas d’autres liens avec l’histoire du sémiologue et romancier italien.

- « The Edge of Darkness » : c’est le titre de la chanson qui est une allusion au roman Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad qui a inspiré à Francis Ford Coppola Apocalypse Now. Dans le titre original, The Heart of Darkness, « Heart » a été remplacé par « Edge ». - « Dance of Death » : Le septième sceau d’Ingmar Bergmann raconte la rencontre d’un chevalier revenant des croisades avec la mort. C’est de cette même confrontation dont il est question dans la chanson de Maiden.

- « Out of the Silent Planet » : C’est dans le titre et le sujet de cette chanson que l’on retrouve des allusions au film de science-fiction The Forbidden Planet du réalisateur Fred McLeod Wilcox.

- « Brighter than a Thousand Suns » : dans le refrain de cette chanson sur le Projet Manhattan on retrouve le vers « Out of the universe, a strange love is born ». C’est ce « fol amour » qui fait écho au film de Stanley Kubrick : Dr. Strangelove or How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb.

3.2.4. Les parodies

On retrouve dans les parodies de films la même inégalité de traitement que pour celles d’œuvres littéraires. Nous avons d’un côté un résumé très succinct du film de guerre « Where Eagles Dare » et de l’autre une transformation très réussie d’Apocalypse now avec les paroles de « The Edge of Darkness » même si nous avons déjà vu que nous pourrions parler de plagiat de passages parlés du film.

Enfin, il y a la parodie à la Monthy Python avec les paroles de « Quest for Fire » basées sur La guerre du feu de Jean-Jacques Annaud. En effet, la transformation est très grossière et Steve Harris a été jusqu’à commettre l’erreur de faire cohabiter les humains avec les dinosaures. On peut s’interroger sur ses intentions…

3.2.5. Synthèse

On retrouve pour les films la même tendance que pour les livres, à savoir celle de ne pas se contenter d’une seule pratique intertextuelle pour lier une chanson à une œuvre cinématographique.

4. Bilan

Près de la moitié des chansons de Maiden tirent leurs origines de cinq grands domaines des cultures humaines : les mythes, la Bible, l’Histoire, le cinéma et la littérature. Ces deux derniers appellent un type précis d’analyse du discours : celui de l’intertextualité. Nous avons pu identifier les quatre principaux procédés intertextuels utilisés : citations et plagiats ; références ; allusions ; parodies.

Dans le chapitre neuf nous proposerons une nouvelle terminologie française pour désigner les liens qui unissent les chansons aux domaines de la littérature et du cinéma.