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Chapitre 3 : Le cas Iron Maiden

A. Un groupe parfois estimé mais souvent incompris

3. Iron Maiden au cœur des écrits sur le metal

Alors qu’il existe une littérature universitaire très abondante sur un groupe comme les Beatles,385 Iron Maiden n’a jamais fait l’objet de recherches académiques avancées. Hormis les biographies, le groupe n’est cité que dans quelques publications si bien qu’il n’existe actuellement aucun ouvrage, ni aucun article de référence entièrement consacré à sa production discographique.

Dans cette partie nous allons proposer un florilège de ce qui a été écrit sur le groupe. Les citations seront classées par types d’ouvrages, du plus anecdotique au plus sérieux.

3.1. Confessions de métalleux

Bien que n’étant pas considérées comme des écrits scientifiques, les confessions de fans offrent quand même des points de vue dont la valeur peut être aussi importante que les résultats de recherches académiques. Il existe deux principaux ouvrages qui offrent, une fois de plus, les perspectives et les vécus des deux côtés de l’Atlantique. Chuck Klosterman nous invite aux États- Unis avec son Fargo Rock City: A Heavy Metal Odyssey in Rural Nörth Daköta ; un ouvrage dans lequel il raconte comment le groupe de glam Mötley Crüe a changé sa vie. En Angleterre, Seb Hunter nous raconte son parcours de métalleux et son idolâtrie pour le groupe Hanoi Rocks qui l’a poussé dans le monde des « minorités rock ».

Paradoxalement, c’est l’auteur américain qui propose la critique la plus détaillée du groupe britannique. Malgré la causticité de ses propos, nous devons reconnaître que Klosterman analyse assez finement ce qu’Iron Maiden représente dans le monde du metal :

« En ce qui me concerne, Iron Maiden était le groupe le plus marrant de tout le metal. "La ferme du sexe" et "Gros cul" sont gais mais je ris encore plus fort de "Amène ta fille… au massacre !" […] L’ironie (ou tout du moins ce que je trouve ironique), c’est qu’Iron Maiden est souvent qualifié de "rockers metallectuels". Une partie de la raison pour laquelle Maiden était étiqueté comme intelligent vient du travail des guitares de Dave Murray et d’Adrian Smith, deux musiciens disposés pour le classique qui adoraient recourir au baroque. Comme mentionné plus tôt, ils plaisaient à un groupe particulier de fans de metal – pour ceux qui avaient pris le temps d’étudier le genre, Iron Maiden semblait plus crédible que la plupart de leurs pairs. Bien évidemment, ils n’avaient aucune sensibilité pop. Pour l’auditeur occasionnel, la plus grande partie de leur répertoire est ennuyeuse et consciemment complexe, et les paroles sont plus comiques que poétiques. Mais

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Kenneth WOMACK et Todd F. DAVIS (sous la dir.) Reading the Beatles. Cultural studies, literary criticism, and the Fab Four. New York : State University of New York Press, 2006 - Walter EVERETT. The Beatles as Musicians. Oxford : Oxford University Press, 1999 & 2001. - Tim RILEY. Tell me Why: A Beatles Commentary. New York : Knopf, 1988. - Ian INGLIS, (sous la dir.) The Beatles, Popular Music, and Society: A Thousand Voices. New York : St. Martin’s, 2000.

le groupe arrivait à parcourir un nombre vertigineux de kilomètres grâce à sa seule iconographie. Pochettes d’albums, posters et tee-shirts ne montraient quasiment jamais les membres du groupe ; ce rôle était assuré par Eddie, un corps musclé de BD qui avait (vraisemblablement) été inspiré pour être ressuscité d’entre les morts par la terrifiante majesté du rock. Chaque fois que le PMRC voulait illustrer les dangers du rock’n’roll, ils montraient les pochettes du Live After Death ou de Seventh Son of a Seventh Son. J’ai le pressentiment qu’Eddie (ou plus exactement le concept qu’un personnage comme Eddie reflétait) a été la plus grosse raison pour laquelle Maiden devint un groupe de metal d’élite. Ces gars étaient peu attrayants, ils n’étaient pas intrinsèquement cools et il était impossible de reprendre leur chanson – mais Iron Maiden était un modèle de groupe. »386

Sachant que l’auteur britannique, Seb Hunter, avait été obnubilé par le groupe de glam Hanoi Rocks on comprend qu’il ne fasse pas grand cas de la Vierge de Fer, voici quand même ce qu’il en pense :

« J’avais l’impression qu’Iron Maiden était légèrement plus sérieux qu’AC/DC – pas d’astuces, pas de grossièretés, pas de casquettes plates ; juste beaucoup de longs cheveux et de pantalons en lycra ainsi que des chansons avec des thèmes épiques. Ils étaient lyriques et ampoulés et j’étais extrêmement excité par leur son tranchant fulminant. »387

3.2. Histoires du metal

À l’heure actuelle, il existe deux ouvrages388 de référence retraçant l’histoire et l’évolution du metal de manière chronologique. Ces livres de 400 et 480 pages racontent toute l’histoire de ce style musical en citant les noms des groupes – et en donnant parfois des anecdotes à leurs sujets – qui ont participé à l’existence de ce genre. Il s’agit de Bang Your Head. The Rise and Fall of Heavy Metal de David Konow et de Sounds of the Beast. The Complete Headbanging History of Heavy Metal d’Ian Christe.

Bien que les deux auteurs soient tous les deux américains, un certain chauvinisme dans l’écriture se ressent chez David Konow dans la mesure où des groupes d’outre-Atlantique comme Kiss, Guns ’n’Roses, Van Halen et Metallica sont plus souvent mentionnés et commentés que leurs pairs britanniques. Aussi la seule chose que nous pouvons réellement apprendre de la part de cet auteur au sujet d’Iron Maiden se résume-t-elle au fait que dans les années 1980, les membres du groupe avaient dans leurs pantalons de scène des poches secrètes au niveau du sexe qu’ils remplissaient afin de mettre un peu plus en valeur leur virilité.389

Beaucoup moins anecdotique et chauviniste, l’ouvrage d’Ian Christe offre un récit beaucoup plus profond agrémenté de commentaires et de critiques pertinents de la part de l’auteur. On peut y lire au sujet de Maiden les deux passages suivants :

386 “As far as I’m concerned, Iron Maiden was the funniest band in the entire metal. ‘Sex Farm’ and ‘Big Bottom’ are jocular, but I

laugh even harder at “Bring your daughter… to the Slaughter!” […] The Irony (or at least what I find ironic) is that Maiden was often referred as ‘metallectual rockers’. […] Part of the reason Maiden was tagged for being so intelligent was the guitar work of Dave Murray and Adrian Smith, two classically minded musicians who loved to go for baroque. As stated earlier, they appealed to a specific kind of metal fan – for those who took the time to study the genre, Iron Maiden seemed more credible than most of their peers. Of course, they also had no pop sensibility whatsoever. For casual listeners, most of their catalog is boring and self-consciously complex, and the lyrics are more comedic than poetic. But the band was able to get a tremendous amount of mileage out of their unique iconography. Album covers, posters, and T-shirts almost never showed the group members; that role was filled by Eddie, a sinewy cartoon corpse who had (presumably) been inspired to rise from the dead by the awe-inspiring majesty of rock. Any time the PMRC wanted to illustrate the dangers of rock’n’roll, they would always show the covert art for Live After Death or The Seventh Son of a Seventh Son. It’s my suspicion that Eddie (or more accurately, the concept of what a character like Eddie reflected) was the biggest reason Iron Maiden became an elite metal band. These guys were unattractive, they weren’t prototypically cool, and it was impossible to sing along with any of their songs – but Iron Maiden was a type of band.” Chuck KLOSTERMAN. Op. Cit., pp. 139-141.

387

“It seemed to me than Iron Maiden were slightly more serious than AC/DC – no gimmicks, no dirty words, no flat caps; just a lot of long hair and spandex, and songs with epic theme. […] They were operatic and overblown and I was extremely excited by their blustering cutlass sound.” Seb HUNTER. Hell Bent for Leather: Confessions of a Heavy Metal Addict. London : Fourth Estate, 2004. p. 22.

388

Nous n’incluons pas dans cette catégorie ni l’ouvrage de Fabien HEIN, ni celui de Nicolas BÉNARD dans la mesure où ces auteurs sont avant tout des chercheurs et que leur travaux, de part leur fond et leur forme, ont plus leur place aux côtes des études académiques.

389 Interview d’Anna Cartwright, styliste qui travailla avec de nombreux groupes de metal dont Iron Maiden. In David KONOW. Bang

« Iron Maiden semblait jouer dix fois plus de notes que n’importe qui d’autre et son éblouissante approche de la composition éleva le talent musical du heavy metal pendant des décennies.

Les paroles macabres d’Iron Maiden germèrent des images "des rues de Londres dans l’obscurité et le brouillard" décrites dans la chanson de 1976 "The Ripper" de Judas Priest. »390

3.3. Dictionnaires et encyclopédies sur le rock et le métal

Il existe actuellement un grand nombre de dictionnaires du rock ; celui sous la direction de Michka Assayas391 fait autorité même si, nous le verrons, par un malheureux hasard, il contient une très grosse erreur au sujet d’Iron Maiden. Ayant des centaines d’artistes à traiter, on peut facilement imaginer à quel point les articles peuvent être concis et la plupart du temps c’est une approche biographique plutôt que critique qui est privilégiée. Ceci étant dit, il nous faut mentionner une exception à la règle, l’ouvrage de Philip Bashe qui offre en quelques lignes une synthèse pertinente de ce qu’est le groupe.

« Iron Maiden est l’un des groupes de heavy-metal les plus lettrés, en plus d'être l’un des plus incompris et controversés. […] Pour ce qui est des paroles, Iron Maiden se démarque des autres groupes de heavy-metal, en ne traitant jamais avec condescendance son public avec des chansons spécialement conçues pour les adolescents mais en présentant des thèmes de l’histoire ancienne et de la mythologie chantés avec l’empathie et le dégoût du monde de ceux qui ont vraiment assisté aux horreurs de la guerre ou au vol condamné d'Icare. Les chansons abordent des sujets heavy-metal atypiques comme la situation désespérée des Amérindiens (« Run to the Hills »), l’holocauste nucléaire imminent (« 2 Minutes to Midnight ») et les horreurs de la guerre (« The Trooper ») et creusent ainsi les domaines du commentaire social plus familier des chanteurs folk que des hurleurs heavy-metal. »392

Du côté français, deux remarques sont faites. L’une sur le rôle et l’importance de leur mascotte, l’autre sur la dimension musicale collective du groupe opposée au traditionnel charisme d’un chanteur et/ou guitariste.

« Iron Maiden inaugure tout d’abord (avec son personnage fétiche baptisé Eddie), le temps du logo roi. Au visage des musiciens, et même à leur nom se substitue un monstre écorché et menaçant, un emblème épouvantable, une image globalisante. Iron Maiden, créature à part entière, représente le groupe. L’individualité de chaque musicien se fond dans cette représentation : les pochettes de disques (ou les posters) ne mettront pas en scène les killers londoniens, mais cette Vierge de Fer, invariablement dessinée, au fil de ses "concepts visuels", par le même designer (Derek Riggs). […] Au-delà de cet aspect esthétique, la créature morbide joue en rôle comme un symbole au niveau musical, et reflète l’émergence d’un hard où la prouesse collective prime sur la virtuosité individuelle. »393

« Avec leur personnage Eddie, ils piétinent le fonctionnement sacré du duo chanteur/guitar-héro (sic). Le groupe est véritablement soudé dans l’exploit collectif. »394

« Le succès le plus marquant est celui d’Iron Maiden qui fournit un effort considérable sur son aspect visuel. Dès son premier album, le groupe cherche à imposer sa marque de fabrique : le monstre-zombie Eddy (sic) The Head, dont la forte teneur symbolique n’est pas étrangère au succès planétaire dont jouit le groupe. »395

390

“Iron Maiden seemed to be playing ten times as many notes as anyone else, and its dazzling compositional approach elevated the musicianship of heavy metal for decades. […]

Maiden’s macabre lyrics grew from images of “London town streets, when there’s darkness and fog” envisioned by Judas Priest’s 1976 song the ‘Ripper’.” In Ian CHRISTE. Op. Cit., p. 34.

391

Michka ASSAYAS. Dictionnaire du rock. Paris : Robert Laffont, 2000.

392

“Iron Maiden is one of the most literate of heavy metal’s bands, as well as one its most misunderstood and controversial. […] Lyrically, Iron Maiden stands apart from other heavy-metal bands, never patronizing its audience with carefully designed teen- oriented songs, but presenting themes from ancient history and mythology sung with the empathy and world-weariness of those who may have actually witnessed the atrocities of war or the doomed flight of Icarus. The songs take on such nontraditional heavy- metal subjects as the plight of American Indians (“Run to the Hills”), imminent nuclear apocalypse (“2 Minutes to Midnight”) and the horrors of war (“The Trooper”) and so delve into areas of social commentary more familiar to folk singers than heavy-metal screamers.” Philip BASHE. Op. Cit., p. 140.

393 Philippe BLANCHET. Op. Cit., p. 84. 394

3.4. Études universitaires sur le métal

Dans Running with the Devil, Iron Maiden est au centre du chapitre cinq intitulé « Can I Play with Madness ». Robert Walser consacre plusieurs pages de son analyse à un groupe dont il écrit : « Iron Maiden fait partie des groupes les plus mystiques et philosophes de heavy metal ; bon nombre de ses paroles, trouvant leur inspiration dans la Bible, le Romantisme et dans d’autres mythologies, explorent le sens de la vie, les contingences de l’existence et les mystères du destin et de la mort. »396

Dans son étude, Jeffrey Jensen Arnett évoque la perception d’Iron Maiden par les jeunes métalleux :

« Iron Maiden est salué avec des hosannas même plus forts que ceux qu’Anthrax avait reçus. Ce groupe fait des tournées depuis de nombreuses années et il a acquis des supporters fidèles. Vous pouvez percevoir quelque chose qui ressemble à une mélodie dans beaucoup de chansons qu’Iron Maiden joue et vous pouvez entendre certaines notes des guitaristes. »397

Dans son analyse des paroles, voici ce qu’il écrit au sujet du groupe :

« Iron Maiden produisait des chansons qui étaient souvent méchamment introspectives ainsi que des chansons basées sur des mythes et des légendes. »398

« Par exemple, Iron Maiden et Ozzy Ozbourne (sic) ont tous les deux des chansons dirigeant de la colère sur des personnalités religieuses hypocrites. »399

Deena Weinstein n’est pas entrée dans les détails comme l’ont fait ses homologues. En effet, dans son ouvrage, le nom d’Iron Maiden est généralement associé à ceux d’autres groupes. La sociologue évoque les paroles de deux chansons, « Run to the Hills » et « Stranger in a Strange Land »,400 mais la seule caractérisation du discours apparait lorsqu’elle écrit que « Des groupes tels qu’Iron Maiden et Rush sont tenus en haute estime pour leurs paroles par leurs fans. »401 À cause du type d’étude choisi par Harris Berger pour traiter du phénomène metal,402 il est presque logique qu’Iron Maiden ne soit pas mentionné dans cet ouvrage de référence sur le genre.

Enfin, Nicolas Walzer dans son évocation des rapports entre fans et musiciens rapporte le témoignage de N. (musicien du groupe Your Shapeless Beauty) au sujet de Maiden :

« Maiden : un jour dans mon bled un soir, on les retrouve dans un café et on a vu les mecs en survêt’ tout bourrés, super sympas. Ils sont tous super humains, super gentils. Je suis content de rencontrer les gens mais je ne les idolâtre pas. »403

4. Synthèse

La dimension visuelle chez Iron Maiden est sans conteste l’arbre qui cache la forêt. En effet, seules les personnes qui prennent le temps de se pencher sur le discours du groupe peuvent témoigner d’une certaine richesse. Mais pour la plupart des gens, le contact avec Maiden se

395

Fabien HEIN. Op. Cit., p. 40.

396 “Iron Maiden is among the most mystical and philosophical of heavy metal bands; many of their lyrics, taking inspiration from the

Bible, Romantic poetry, and various other mythologies, explore the meaning of life, the contingency of existence, and the mysteries of fate and death.” Robert WALSER. Op. Cit., pp. 151-152.

397

“Iron Maiden is greeted with even louder hosannas than Anthrax received. This band has been touring for many years, and they have developed a loyal following. You can perceive something like a melody in many of the songs Iron Maiden plays, and you can hear some of the notes of the guitar players.” Jeffrey Jensen ARNETT. Op. Cit., p. 12.

398

“Iron Maiden produced songs that were often broodingly introspective as well as songs based on myths and legends.” Ibid. pp. 43- 44.

399 “For example, both Iron Maiden and Ozzy Ozbourne (sic) have songs directing hatred toward hypocritical religious figures.” Ibid. p.

47.

400

Deena WEINSTEIN. Op. Cit., p. 41.

401

“Bands such as Iron Maiden and Rush are highly esteemed for their lyrics by fans.” Ibid. p. 123.

402

En 1999, Harris M. Berger publiait un ambitieux ouvrage intitulé Metal, Rock and Jazz. Perception and the Phenomenology of Musical Experience, dans lequel le phénomène metal était minutieusement disséqué grâce aux outils de la musicologie, de la sociologie, de l’anthropologie et de la phénoménologie à une échelle locale.

403

limite à l’imagerie morbide que le groupe véhicule et qui lui vaut toutes les foudres des opposants au genre. Aussi faut-il dépasser ce cadre réducteur pour s’intéresser au discours.

Photo 2 : le line-up qui a conquis le monde du metal.