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Chapitre 2 : Didactisme et effets socialisateurs du metal

A. Quelques effets bénéfiques de la musique et des chansons metal

2. Effets socialisateurs

« Pour ceux qui l’écoutent, la musique est non plus seulement l’occasion d’un plaisir solitaire, mais celle d’affirmer l’appartenance à un groupe, d’avoir avec les autres, des sujets de conversation. Elle crée, entre tous les jeunes du monde, un lien universel, transversal, indépendant de toute langue, de toute appartenance à une nation ou à une classe sociale. »266

Jacques Attali Une des grandes critiques que l’on peut émettre au sujet des travaux de Jeffrey Jensen Arnett repose sur son point de vue très puritain et réactionnaire qui l’amène à ne reconnaitre quasiment aucune valeur à la culture des métalleux qu’il étudie. Un mot semble être le leitmotiv de Jeffrey Jensen Arnett : « aliénation » qui apparait dans le titre de son ouvrage et qui est récurrent au fil des pages. Dans la langue française, l’aliénation est un terme fort puisqu’elle peut être définie comme étant la « perte, par un peuple ou un individu de son identité

263

Lire Laurel ZUCKERMAN. Sorbonne Confidential. Paris : Fayard, 2007.

264

Rappelons-nous de James VANCE et Raymond BELKAP ayant passé l’après-midi à écouter l’album Stained Class de Judas Priest avant de tenter de se suicider.

265 Nous verrons dans le chapitre 4 qu’il est assez aisé de déterminer le profil lexical d’un corpus. 266

culturelle ».267 En anglais, le sens de ce mot est un peu moins lourd car il désigne « le sentiment de ne pas appartenir à la société ou à un groupe ».268 Même si la définition que donnent les anglophones est moins réductrice, le sentiment d’exclusion n’en demeure pas moindre. Selon Jeffrey Jensen Arnett, les métalleux sont isolés, ils n’appartiennent à aucun groupe socialisé car ils n’entrent pas dans le modèle américain bâti autour de la famille, de l’école, de la communauté, des mass-médias, de la loi, de la foi (qu’il essaye de masquer derrière l’expression « système de croyance culturelle »).269 Ainsi selon le sociologue, les secoueurs de tête sont des hyper individualistes qui se complaisent dans leur isolement. Ce qui va tout à fait dans le sens contraire de deux remarques très pertinentes faites à ce sujet. En effet, Valérie Fournier écrit que :

« […] si dans un premier temps, l’individu veut se distancer de la société globale, ce n’est pas forcément pour s’isoler radicalement de tout, mais pour retrouver un groupe de référence plus proche des idéaux et par conséquent plus restreint. »270

Et Jacques Attali propose une réflexion plus globale en nous disant que :

« Dans les pays développés, la peur première n’est plus celle de la misère, mais celle de l’excès de solitude. Et la musique permet à chacun, pour isolé qu’il soit, de croire qu’il n’est pas seul ; […] »271

Jeffrey Jensen Arnett aurait non seulement pu, mais selon nous il aurait dû, préférer le terme acculturation définie comme un « processus par lequel un groupe humain ou un individu en contact direct continu avec un autre groupe, assimile de gré ou de force, totalement ou non la culture de ce dernier ».272 Ainsi il aurait montré chez ces jeunes l’éloignement du modèle culturel américain traditionnel au profit d’autres formes de sociabilité qui, ne lui en déplaise, existent bel et bien dans le metal comme le souligne Nicolas Walzer.

« Les métalleux sont convaincus que leur musique est un puissant lien social qui les relie tous via un support audiophonique initial qui peut devenir une logique de vie totale. »273

Dans cette sous-partie nous allons donc aborder les différents traits que peut revêtir la sociabilité au sein du monde metal.

2.1. Instincts grégaires

Est qualifié de grégaire, ce qui vit ou se développe en groupe. L’instinct grégaire chez les animaux est la tendance à former des groupes au sein d’une même espèce. C’est un phénomène dont l’observation ne demande aucune connaissance du groupe étudié. N’importe qui est capable de noter que les chats ont tendance à vouloir être avec d’autres chats et que métalleux ont tendance à vouloir être avec d’autre métalleux comme le souligne Valérie Fournier :

« […] les jeunes se regrouperaient pour former des ensembles de personnes partageant les mêmes goûts. Ils s’attireraient ainsi mutuellement selon le principe de "qui se ressemble s’assemble". Les individus ayant des centres d’intérêts communs, et dont l’apparence est similaire, ont tendance à s’apprécier.»274

Il ne s’agit ici que d’une manifestation superficielle de socialité mais cette dernière est visible. Les métalleux ne sont pas les créatures solitaires que nous présente Jeffrey Jensen Arnett. Ils ont

267

Dictionnaire Universel Francophone. Vanves : Hachette/Edicef 1997. p. 40.

268

“The feeling of not being part of society or a group.” Della SUMMERS. Longman Dictionary of Contemporary English. Harlow : Longman, 1987. p. 63.

269

Jeffrey Jensen ARNETT. Metal Heads. Heavy Metal Music and Adolescent Alienation. Oxford : Westview Press, 1996. pp. 27-34.

270

Valérie FOURNIER. Les nouvelles tribus urbaines. Voyage au cœur de quelques formes contemporaines de marginalité culturelle. Chêne-Bourg : Georg, 1999. p. 67.

271

Jacques ATTALI. Op. Cit., p. 212.

272

Dictionnaire Universel Francophone. Op. Cit., p. 11.

273 Nicolas WALZER. Anthropologie du metal extrême. Rosières en Haye : Camion Blanc, 2007. p. 165. 274

fait le choix d’adopter un style déviant, ce qui ne fait pas d’eux, pour autant, des marginaux vivant de façon isolée, mais un groupe vivant ensemble et partageant une passion commune. Nous allons évoquer dans les sections suivantes les rapports plus profonds qui unissent les secoueurs de têtes.

2.2. « Communauté émotionnelle »

« Toute musique, toute organisation de sons constituent un moyen de créer ou de consolider une communauté, […] »275

Jacques Attali Lancée par Jacques Attali, on retrouve l’idée de communauté au cœur du premier chapitre du Temps des tribus de Michel Maffesoli. Le sociologue s’inspire de la « Gemeinde » de Max Weber pour parler de « communauté émotionnelle » que l’on peut retrouver autour de trois variations : « L’aura esthétique, l’expérience éthique et la coutume. »276

Dans cette section, notre but ne sera pas d’analyser ni même de synthétiser les propos de Michel Maffesoli, nous nous contenterons simplement de les illustrer avec des exemples propres au metal.

2.2.1. « L’aura esthétique » du metal

« Ces jeunes se regroupent généralement autour d’un style de musique, et se reconnaissent mutuellement à leur allure et à leurs vêtements ; ils se retrouvent dans des endroits habituels qu’ils se sont appropriés en les investissant en masse. »277

Michel Maffesoli C’est parce qu’ils partagent un goût particulier pour une musique et/ou le style qui l’accompagne que les métalleux sont amenés à se rencontrer et à partager ensemble des moments de vie.

Nous verrons plus en détails, dans la deuxième partie de ce chapitre, ce qui attire et rassemble réellement les métalleux

2.2.2. « L’expérience éthique » du metal

« […] il est réconfortant de savoir qu’il y d’autres jeunes, en nombre limité, certes, qui partagent les mêmes sentiments que soi, qui rencontrent les mêmes problèmes et les mêmes réticences, les mêmes regards ou remarques désobligeantes. »278

Valérie Fournier La remarque de Valérie Fournier illustre pour les métalleux ce que Michel Maffesoli avait déjà formulé et qui résume parfaitement notre propos « […] se tenir chaud, se serrer les coudes, se frotter aux autres, voilà peut-être le fondement le plus simple de l’éthique communautaire. »279 Dans son développement sur l’expérience éthique Michel Maffesoli parle du « groupisme » et cite Augustin Berque pour qui « le groupisme diffère de la grégarité en ce que chacun des membres du groupe, consciemment ou non, s’efforce avant tout de servir l’intérêt du groupe, au lieu simplement d’y chercher refuge. »280 Nous pouvons retrouver ce phénomène chez deux catégories de métalleux : d’un côté, les musiciens jouant en groupe et de l’autre, les militants

275

Jacques ATTALI. Op. Cit., p. 16.

276

Michel MAFFESOLI. Le temps des tribus. Le déclin de l’individualisme dans les sociétés postmodernes. Paris : La Table Ronde, 2000. pp. 23-60.

277

Valérie FOURNIER. Op. Cit., p. 20.

278

Ibid. p. 67.

279 Michel MAFFESOLI. Op. Cit., p. 36. 280

faisant partie d’association de promotion du metal par l’intermédiaire de fanzines ou d’organisations de concerts.281 En effet ces secoueurs de têtes ne se contentent pas d’être seulement des consommateurs de metal, ils embrassent leur passion de tout leur être et dépensent une énergie somptueuse au service d’un collectif dont les intérêts dépassent le niveau individuel.

Citons pour finir Jacques Attali qui fait remarquer que « La musique ne satisfait plus une demande de sacré ni même de spectacle, mais d’identité. »282

2.2.3. « La coutume » du metal

Par coutume, Michel Maffesoli entend « l’ensemble des usages communs qui permet qu’un ensemble social se reconnaisse pour ce qu’il est. » Dans le monde du metal, on retrouve ces « usages communs » sous les formes d’aller prendre un verre dans un bar spécifique, d’aller dans les cafés-concerts programmant ce genre de musique, de fréquenter un disquaire spécialisé, de parler des nouveaux albums ou de colporter les dernières anecdotes sur un artiste, de se retrouver à la maison pour regarder une vidéo, d’aller voir un film ayant un rapport plus ou moins direct avec la musique, etc. En faisant toute ces petites choses, les métalleux sont amenés à vivre ce que Maffesoli appelle « l’être-ensemble »283 qui contribue à l’idée de communauté.

2.3. Tribalisme

Après avoir développé les idées de « communauté émotionnelle », de « puissance souterraine » et de « socialité contre le social », Michel Maffesoli arrive au tribalisme.

Dans la mesure où la seconde partie de ce chapitre sera consacrée à cette notion, nous n’allons pas nous appesantir dessus dans cette section. Nous nous contenterons simplement de citer les propos de Walzer qui abondent dans le sens de notre idée de socialité liée au metal.

« Le metal fut pour eux la première occasion de rassemblement tribal. C’est un des facteurs importants d’adhésion, hormis la musique et l’imagerie. Les métalleux sont convaincus que leur musique est un puissant lien social qui les relie tous via un support audiophonique initial qui peut devenir une logique de vie totale. »284