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Chapitre 3 : Le cas Iron Maiden

B. Le discours

En l’espace de vingt-huit années de contrats avec la maison de disque EMI, Iron Maiden a enregistré quatorze albums studio, sept albums live officiels et quarante simples. Cette production discographique inclut 136 chansons originales accessibles à un large public. Ce sont ces morceaux qui ont fait l’objet d’études, de critiques et de commentaires.

Nous allons voir dans la première sous-partie comment Le dit du vieux marin – poème épique de l’écrivain romantique anglais Samuel Taylor Coleridge – est devenu l’image d’Épinal qui colle au répertoire d’Iron Maiden.

Dans une deuxième sous-partie, nous aborderons un procédé d’écriture dont le groupe a abusé et qui est devenu sa marque de fabrique et enfin, nous ferons un rapide bilan sur les thèmes retenus par ceux qui écrivent sur le groupe.

1. Le dit du Vieux Marin : image d’Épinal du groupe

Nous verrons dans le sixième chapitre de cette étude qu’Iron Maiden s’est servi à plusieurs reprises de la littérature pour écrire ses chansons. Or sous l’éclairage de quelques ouvrages spécialisés sur le metal mentionnant le groupe, il semblerait qu’un seul nom revienne : celui de l’écrivain romantique britannique Samuel Taylor Coleridge.

1.1. Des références exclusives

 Dans « Le Hard Rock : continuité et évolution » de la publication : Le Rock. Aspects Esthétiques, culturels et sociaux,404 seuls Lovecraft, Poe et Coleridge sont évoqués405 pour mettre à jour le lien existant entre la littérature fantastique et le metal alors que nous verrons plus en détail dans le sixième chapitre qu’Orson Scott Card, Franck Hebert et Aldous Huxley sont tout aussi présents dans l’œuvre d’Iron Maiden.

 Dans Running with the Devil, Robert Walser fait remarquer que les fans de Maiden achètent et lisent les livres ayant inspiré des paroles de chansons mais il n’en cite que deux : la Bible et The Rime of the Ancient Mariner.406

 Dans le très complet The NWOBHM Encyclopedia,407 The Rime of the Ancient Mariner est la seule œuvre citée parce que Coleridge était un poète « camé ».408

 C’est une fois de plus Chuck Klosterman qui caricature en parlant d’Iron Maiden comme d’« obsédés de Samuel Taylor Coleridge »409 alors que l’auteur britannique n’apparaît qu’une seul fois dans le répertoire du groupe.

1.2. Une des chansons les plus longues de l’histoire du métal

« Il s’agit d’une magistrale évocation d’une œuvre d’ambiance complexe qui allait devenir la pierre de touche de nombreux concerts de Maiden dans les années à venir. »410

Mick Wall C’est à la technologie naissante que l’on doit la durée standard actuelle des chansons à la radio. En effet, les premiers disques ne permettaient pas d’enregistrer plus de trois minutes.

Ainsi cette limitation a eu des conséquences sur la composition et l’interprétation des œuvres. En effet, de nombreuses chansons ont été accélérées lors des sessions d’enregistrement pour que leur durée puisse arriver sous la barre fatidique des trois minutes. Comme l’écrit très

404 Anne-Marie GOURDON. Op. Cit. 405

Ibid. p. 42.

406

Robert WALSER. Op. Cit., p. 160.

407

Malc MACMILLAN. The N.W.O.B.H.M: New Wave Of British Heavy Metal Encyclopedia. Berlin : Iron Pages, 2001.

408

Ibid. p. 312.

409

“Samuel Taylor Coleridge-obsessed.” Chuck KLOSTERMAN. Op. Cit., p. 183.

410 “[…] it’s a masterful evocation of a complicated mood piece that would become the dramatic corner stone of the Maiden show for

justement Louis-Jean Calvet : « La chanson du XXe siècle se pliait à une exigence technique. […] la technologie a donné naissance à une loi du genre ».411

Fort heureusement, des artistes, généralement virtuoses ou possédant un excellent sens de l’improvisation ont fait voler en éclats sur scène cette durée restrictive.412 Puis quand les 33 tours longue durée ont permis de mettre plus de musique sur les disques, des auteurs et compositeurs peu soucieux des lois du marché ont laissé parler leur créativité pour accoucher de titres de plus en plus longs. Toutefois, des habitudes avaient été prises à la radio et à la télévision et plus de musique voulait dire moins de publicité et donc moins de recettes. Cela a eu pour conséquence d’empêcher tout titre qui n’était pas formaté de passer aux heures de grande écoute. Les artistes dépassant les limites imposées par les médias ne pouvaient espérer au mieux qu’un passage dans les émissions spécialisées passant tard dans la nuit.413

Beaucoup de groupes de metal dans les années 1980 s’orientèrent vers des compositions plus longues, plus progressives dont la durée moyenne était proche des six minutes.414

Que dire alors d’une chanson frôlant les 14 minutes ? Beaucoup de fans de metal saluèrent la démarche radicalement anti-commerciale affichée dans cette composition bien que Steve Harris ait, par la suite, déclaré que le groupe ne chronométrait jamais la durée de ses morceaux lorsqu’ils étaient en train d’être écrits et c’est seulement lors de l’enregistrement que les musiciens découvraient la durée.415 Le bassiste savait que le morceau était long mais il n’imaginait pas qu’il flirtait avec le quart d’heure.

La succession d’ambiances très différentes donne à ce morceau une dynamique toute particulière qui en a fait, comme l’écrivait très justement Mick Wall, « la pierre de touche » pour de nombreux concerts. D’ailleurs sur la tournée Somewhere Back in Time en 2008, ce morceau était l’un des plus attendus par le public.

2. Références et sources d’inspirations

Nous n’allons pas évoquer dans cette partie les vraies références et sources d’inspirations qui ne peuvent être mises à jour que par une analyse profonde et détaillée du répertoire. Nous allons simplement présenter brièvement ce qui se dit et se répète à ce sujet.

Tout d’abord, le battage fait autour de Samuel Taylor Coleridge indique clairement qu’il existe une influence de la littérature dans l’écriture. Le douzième album du groupe « Brave New World » rappelle également aux anglophones natifs l’œuvre éponyme d’Aldous Huxley.416

Sans qu’il y ait la moindre précision, c’est ensuite la mythologie qui revient souvent. Il faut en effet avouer qu’avec une chanson intitulée le « vol d’Icare »417 et la pochette de Powerslave mettant en scène la mascotte du groupe au temps de l’Egypte des pharaons, il est très facile d’imaginer que les mythologies grecques et égyptiennes puissent avoir été une source d’inspiration.

Bruce Dickinson étant un des rares chanteurs de metal diplômés d’une université, les journalistes et ceux qui écrivent sur le genre ont rarement manqué l’occasion de faire remarquer cette chose anormale dans un univers estampillé prolétaire. Ainsi il est aisé de penser que des paroles viennent en grande partie des enseignements académiques que le chanteur a suivis. Enfin avec un monstre comme mascotte, il est facile d’imaginer que le groupe puisse trouver son inspiration dans tout ce qui touche au domaine de l’horreur comme le cinéma par exemple.

411 Louis-Jean CALVET. Op. Cit., pp. 87-88. 412

Nous pensons ici à des groupes comme Led Zeppelin ou Pink Floyd capables de faire durer une chanson près de 20 minutes.

413

Pour le rock dur et le metal, nous pensons ici en particulier à des émissions comme le célèbre « Friday Rock Show » de Tommy VANCE sur la BBC 1 ou « Wango Tango » de Francis ZÉGUT sur RTL.

414

En regardant de plus près les chansons d’Iron Maiden, on pourra noter ce phénomène à partir du Number of the Beast.

415

Interview de Steve Harris sur le DVD bonus de la réédition en 2008 du Live After Death. EMI.

416 Il s’agit en français du Meilleur des mondes. 417

D’autre part la pochette futuriste de Somewhere in Time n’est pas sans rappeler l’univers de la science-fiction popularisé dans les années 1980 avec des films comme Blade Runner.

Enfin, Chuck Klosterman explique que la focalisation interne dont abuse le groupe est un moyen d’aborder l’occultisme, un sujet qui, comme nous l’avons déjà mentionné, avait déclenché les plus vives critiques chez les opposants au metal.

3. Thèmes abordés

Pas très éloignés des sources d’inspiration, au point d’en faire un amalgame comme le font Jeffrey Jensen Arnett et Fabien Hein, les thèmes abordés du groupe se retrouvent de façon cristallisée ou anecdotique dans plusieurs ouvrages, contribuant ainsi aussi aux représentations sociales entourant le groupe.

Selon le PMRC, Iron Maiden vendait Satan aux enfants aussi bien avec ses pochettes qu’avec un album et une chanson évoquant le nombre de la Bête de l’Apocalypse que l’on retrouve dans l’Évangile de Saint-Jean.418

Jeffrey Jensen Arnett avait souhaité tempéré cette vision en écrivant :

« Ainsi, les chansons d’Iron Maiden semblent plus parler de Satan qu’être une glorification de Satan. L’attitude vis-à-vis de Satan est négative ou ambiguë. »419

Robert Walser évoque pour sa part la dimension philosophique et métaphysique des paroles. Ce que confirme Jeffrey Jensen Arnett lorsqu’il parle des « luttes existentielles ».420

La guerre est également un des thèmes récurrents pointé par Robert Walser et Philip Bashe. Contrairement aux textes de groupe de metal tels qu’AC/DC dont les paroles sont souvent légères, celles d’Iron Maiden et des styles durs du genre sont souvent très noires car comme le rappelle très justement Chuck Klosterman :

« La tristesse et le mal sont toujours plus crédibles que le bonheur et l’amour. Quand un critique de cinéma dit qu’un film est "réaliste", tout le monde sait ce que ça veut dire – ça veut dire que le film se termine mal. »421

Enfin, Maiden n’a jamais été classé dans la catégorie du porn rock caractérisé par des paroles sexuellement explicites. Il est vrai que ce sont plutôt les groupes américains qui cartonnent dans le genre et c’est peut-être à la culture britannique que l’on doit une certaine forme d’autocensure quant à ce sujet.

4. « Perspectives songs » / focalisation interne

La focalisation est un terme qui est utilisé dans l’analyse de textes. Elle désigne le point de vue depuis lequel un récit est écrit. On peut également l’employer dans le domaine de la chanson. Nous allons voir quels sont les types de focalisation avant de voir celui qui est principalement utilisé chez Maiden.

4.1. Les trois types de focalisation

 La focalisation externe : le narrateur-témoin, limité à sa propre perception, ignore les pensées et les sentiments des autres personnes. Son vocabulaire reste neutre. Il semble être objectif.

 La focalisation interne : le narrateur se fond dans la vision d’un seul par des verbes de perception et des modalisateurs. Il est subjectif.

418

Sur The Number of the Beast. EMI, 1982.

419

“The Iron Maiden songs then, seem to be about Satan rather than a glorification of Satan. The attitude expressed toward Satan is negative or ambiguous.” Jeffrey Jensen ARNETT. Op. Cit., p. 52.

420

Ibid. p. 50.

421 “Sadness and evil are always more believable than happiness and love. When a movie reviewer calls a film “realistic,” everyone

 La focalisation omnisciente également appelée focalisation zéro : le narrateur, plus qu’un témoin capte tout (pensées de tous les personnages, événements simultanés dans des lieux différents, passé, avenir…). Il est omniscient.

4.2. Emploi par Iron Maiden

Un aspect fondamental de l’écriture de Maiden repose sur le choix d’une narration faite selon Chuck Klosterman « du point de vue de ». En effet, l’auteur, dans son Fargo Rock City, insiste sur cet aspect dans les pages qu’il consacre à Maiden. Klosterman utilise le terme de « perspective songs »422 pour désigner le type de focalisation – en l’occurrence interne – dont sont friands les auteurs de la Vierge de Fer.

Voici ce que Klosterman nous dit de ce procédé :

« Cela permettait aux groupes de chanter sur n’importe quel sujet imaginable sans assumer la responsabilité personnelle de leurs paroles ; ce qui était particulièrement important pour les groupes qui souhaitaient aborder l’occultisme à la première personne. Pendant cinq minutes, le chanteur devenait l’équivalent d’un personnage de roman, et le public était censé considérer le sujet abordé avec la même distance esthétique. »423

5. Synthèse

Même si Iron Maiden est un nom qui revient régulièrement dans les écrits sur le metal, son discours n’est caractérisé que de façon superficielle ou anecdotique. Selon leur sensibilité, les auteurs aiment souligner une des caractéristiques lyriques et discursives qui lui sont propres. Le dit du vieux marin est un des monuments de la littérature britannique, aussi le nom de son auteur ne manque-t-il pas d’apparaître sans pour autant que des explications soient données comme si cette évocation suffisait à elle seule à conférer de la valeur et de la légitimité au groupe.

Le discours de Maiden souffre donc d’une réelle présentation dépassant le cadre des apparences, aussi la présente étude trouve-t-elle sa légitimité.

422

« chansons écrites du point de vue de ».

423

“This allowed bands to sing about virtually any subject imaginable without personal responsibility for what they said, which was especially important to groups who wanted to specifically address occultism in the first person. For five minutes, the singer became the equivalent of a character in a novel, and the audience was supposed to view the espoused subject matter with the same kind of aesthetic distance.” Chuck KLOSTERMAN. Op. Cit., pp. 139-140.