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Chapitre 2 : Didactisme et effets socialisateurs du metal

B. Les nouvelles tribus

3. Construction identitaire et bricolage culturel

3.2. Bricolages métalliques

Dans une logique postmoderniste, nous pouvons parfaitement assumer que le bricolage est devenu quasi-systématique. Faute de pouvoir créer des choses vraiment nouvelles, il y a donc presque toujours l’emploi, le détournement, le recyclage d’éléments préexistants. En lisant le court premier chapitre intitulé « Studying metal: The Bricolage of Culture » de l’ouvrage Heavy Metal de Deena Weinstein, on peut aisément comprendre en quoi le metal est une subculture bricolée à partir d’éléments d’autres cultures :

« Le style metal n’est pas composé de constituants arbitraires mais il n’est pas non plus unitaire. C’est un bricolage de ses cultures parentes avec ses propres ajouts particuliers afin de modérer les conflits liés à l’héritage. Les composants de ce style ont des fonctions sociales, socio-psychologiques et symboliques. »339 Cette section a pour but de mettre à jour les différents composants utilisés dans le bricolage de l’identité metal.

3.2.1. Uniformes

Deena Weinstein emploie le terme « uniforme » pour désigner la tenue typique du métalleux et nous trouvons cette appellation tout à fait pertinente dans la mesure où elle permet une identification instantanée de l’individu aussi bien pour les personnes extérieures que pour les membres de la tribu. En filant la métaphore, le paquetage métallique comprend des jeans, des tee-shirts noirs, des bottes ou des baskets, des vestes en cuir ou en jeans. Deena Weinstein fait remarquer que les baskets sont apparues vers 1980.

Les tee-shirts servent d’espace de personnalisation. En effet, non seulement ils servent aux groupes de support publicitaire mais en plus ils permettent à la personne qui le porte d’afficher la branche de la tribu à laquelle il appartient car au sein de la subculture metal il existe de nombreux courants constituant autant de sous-groupes. Il n’y a pas que les tee-shirts qui permettent cette identification. Il existe d’autres parures comme les dossards, les patches, les pins, les badges, les pendentifs et également la broderie en fils ou à clous qui assurent la même fonction : ils permettent d’orner des vêtements adaptés à la saison ou à la rigueur du climat. Dans le fait d’afficher son appartenance à telle ou telle tribu, Valérie Fournier fait enfin remarquer que « le facteur géographique est également un facteur déterminant : il est plus facile d’assumer un look voyant et hors-normes dans une grande ville que dans un petit village de montagne. »340

3.2.2. Cheveux

Bien que cela ait beaucoup changé à la fin des années 1990 lorsque les membres du groupe emblématique et séminal Metallica ont décidé de rendre visite à un coiffeur, pendant longtemps les secoueurs de têtes se devaient d’avoir les cheveux longs, très longs, et si possible mal peignés pour les styles roots. En effet, il existe également un courant appelé hair metal dont la caractéristique est le soin que ses musiciens apportent à leurs cheveux.

Comme on peut difficilement cacher sa chevelure, Deena Weinstein parle de « stigmate volontaire ».341 La sociologue insiste sur le fait qu’avoir les cheveux longs établit une très nette

338

“A ‘bricolage’ is a collection of cultural elements. It is not like a machine in which each part is specially adapted to contribute to the proper functioning of the whole. A bricolage is much looser than that. Its parts exist for themselves as much as they do for the whole. They are held together not by physical or logical necessity but by the interdependence, affinity, analogy, and aesthetic similarity.” Deena WEINSTEIN. Op. Cit., p. 5.

339

“Metal style is not comprised of arbitrary components but neither it is unitary. It is a bricolage of its parent cultures, with special additions of its own to mediate the conflicts within the inheritance. The components of the style serve social, socio-psychological and symbolic functions.” Ibid. p. 127.

340 Valérie FOURNIER. Op. Cit., p. XVI. 341

distinction entre les métalleux, chevelus purs et durs et ceux qu’elle qualifie de « guerriers du week-end »,342 c'est-à-dire les métalleux qui n’assument pas leur goût à l’école, au travail ou dans la vie de tous les jours. Il nous semble que Deena Weinstein a oublié de mentionner une coupe de cheveux très prisée notamment du côté de l’Allemagne et de la Scandinavie : le mollet. Il s’agissait d’avoir les cheveux longs dans la nuque avec une frange ou un bol sur la partie supérieure de la tête. Le mollet était le compromis entre les « guerriers du week-end » et les fanatiques. Cependant une autre coupe de cheveux a réussi à s’imposer dans la tribu : le crâne rasé. Valérie Fournier affirme que pendant longtemps, on s’est méfié de cette expression capillaire étroitement liée aux néo-fascistes. On doit sa popularisation dans les années 1990 à Phil Anselmo, le chanteur du très respecté groupe Pantera. Actuellement, ce sont Paul Di’Anno, le premier chanteur d’Iron Maiden, Kerry King du groupe Slayer et le guitar-hero Joe Satriani qui assurent la promotion de ce style.

3.2.3. Tatouages

Valérie Fournier nous dit au sujet du tatouage qu’il « […] a fait son apparition dans nos sociétés il y a quelques siècles déjà, importé de lointaines îles du Pacifique par des officiers de marine. Condamné par l’Église catholique, il devient très vite l’apanage de milieux marginaux à forte connotation : prostituées, bagnards, légionnaires. »343

Du fait qu’il soit permanent, il est anti-mode344 et il est un symbole de fidélité envers la subculture.345 Deena Weinstein insiste sur le fait que la taille et la visibilité sont proportionnelles au degré d’allégeance.346 Enfin Valérie Fournier fait remarquer que

« Le tatouage fait office de rite de passage et marque l’entrée dans un sous-groupe particulier, dans une tribu, et ce pour deux raisons : en tant que marquage indélébile qu’il faudra assumer toute sa vie et parce qu’il faut souffrir pour le mériter. »347

3.2.4. Le « secouage de tête » et les « coups de bras »

Dans leur contre-culture, les punks s’étaient débarrassés de la socialité de la danse pour la remplacer par la pratique individuelle du pogo. Le metal, héritier du downer rock348 et subculture où le mâle domine, ne pouvait pas conserver cette forme de mise en mouvement du corps. Aussi a-t-il adopté deux autres formes le : « secouage de tête », traduction littérale du terme headbanging349 ainsi que les « coups de bras », francisation d’arm thrust, qui consiste à lever son bras dans l’air en le bougeant au rythme des pulsations de la musique.

3.2.5. Les cornes du Diable

Très proche des coups de bras, un des signes de reconnaissance de la tribu sont les cornes du Diable. L’origine et l’explication de ce geste sont expliquées par Ronnie James Dio dans une interview conduite par Sam Dunn au festival de Wacken.

« Je suis d’origine italienne. Et ma grand-mère, mon grand père, du côté maternel et paternel sont venus d’Italie en Amérique. Et ils avaient des superstitions et je verrai toujours ma grand-mère quand j’étais enfant, vous voyez en train de me tenir la main en marchant dans la rue, elle voyait quelqu’un et allez ! [il fait le geste]. Oh, qu’est-ce que c’est que ça ? J’ai finalement appris que c’était le "malike" et un "malike" c’était jeter le mauvais œil à quelqu’un. Ainsi elle nous protégeait contre le mauvais œil ou tu peux aussi le jeter à quelqu’un. Alors l’avoir inventé, non. Mais l’avoir perfectionné et l’avoir rendu important, oui, parce que je

342 “Weekend warriors” Ibid. p. 129. 343

Valérie FOURNIER. Op. Cit., p. 38.

344

« […] le tatouage est par définition anti-mode puisqu’il est définitif. » Ibid. p. 40.

345

Deena WEINSTEIN. Op. Cit., p. 129.

346

Valérie FOURNIER. Op. Cit., p. 40.

347

Ibid. p. 41.

348 Deena WEINSTEIN. Op. Cit., p. 108. 349

l’ai fait si souvent en particulier dans le cadre du très grand Black Sabbath qui jouissait d’une incroyable réputation, et cela l’a associé avec ce que les gens pensent que c’est. »350

3.2.6. Bière

Bien que tous les métalleux n’en boivent pas systématiquement, la boisson reine associée à ce style musical est la bière. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord il s’agit d’une boisson bon marché ; certaines d’entre elles sont moins chères que des jus de fruits ou des eaux minérales. Ensuite le degré d’alcool, exception faite de certaines bières tchèques et belges, est généralement assez faible ; entre quatre et cinq degrés d’alcool en moyenne. Donc l’ivresse n’est pas aussi rapide qu’avec les spiritueux. Enfin, le conditionnement sous la forme de bouteilles ou de cannettes vendues le plus souvent en packs ou en caisses permet un partage plus visible qu’avec d’autres boissons qui nécessitent des verres pour être consommées. Nombreuses sont les stars du metal se faisant photographier ou filmer une bouteille de bière à la main.351

3.2.7. Drogues

À tort ou à raison, le metal est un style associé à la consommation de drogues. Il y a deux principales explications à cela. La première vient du fait que le metal prend ses racines dans le downer rock, un style musical qui accompagnait la prise d’hallucinogènes. La seconde est liée à toutes les histoires d’overdoses qu’ont vécues des figures métalliques emblématiques dont les plus célèbres sont Nikki Sixx du groupe Motley Crüe, Dave Mustaine de Megadeth, et Phil Anselmo de Pantera qui avaient été déclarés cliniquement morts avant de revenir miraculeusement à la vie quelques minutes plus tard.

Deena Weinstein affirme que la consommation est courante, mais elle tempère son propos en insistant sur le fait qu’il s’agit souvent de drogues dites douces et que contrairement à la culture hippie, elles ne sont pas un élément fondateur de la subculture.

Valérie Fournier témoigne :

« En réalité, les seules "drogues" dont on abuse volontiers dans nos tribus sont la bière et la cigarette, qui ont une véritable fonction de sociabilité. On s’offre des cigarettes et on se paie des bières par tournées, entre amis et même inconnus, alors peut-être de futurs amis. »352

Ayant baigné dans la subculture metal, il nous semble que la consommation de haschich et de cannabis est très courante, alors qu’en près de vingt ans, nous n’avons jamais été témoin de la consommation de drogues dures du fait notamment que ce sont des substances dont le prix est indéniablement prohibitif et exclusif.

3.2.8. Littérature

Jack Kerouac et William Burroughs sont indéniablement les auteurs de la Beat Generation. Valérie Fournier note au sujet de la tribu gothique que cette dernière a plusieurs livres de chevet comme Les fleurs du mal de Baudelaire, L’étranger d’Albert Camus, Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, ainsi que des auteurs fétiches comme Gérard de Nerval, le Marquis de Sade ou encore Edgar Allan Poe.353

350

"I’m of Italian extraction. And my grand mother, my grand father, on both side from my mother’s and my father’s side came to America from Italy. And they had superstitions and I was always seeing my grand-mother when I was a little kid, you know her holding my hand walking down the street she would see someone and go [il fait le geste]. Oh what’s that? And I eventually learnt it was the “malike” and a “malike” was someone giving us the evil eye. So she was giving us protection against the evil eye or you can give someone the evil eye too. So invented it, no. But perfect it and make it important yes because I did it so much especially with the confine of that great band Sabbath which had this incredible name already and put that together with what people think it is. […]" In A Headbanger’s Journey. Op. Cit.

351

Une fois de plus nous pensons au groupe Metallica filmé en train de voler des bières dans une supérette au commencement de la vidéo Cliff’em all. À cause de sa surconsommation de boissons alcoolisées, le groupe a été surnommé « Alcoholica ».

352 Valérie FOURNIER. Op. Cit., p. 46. 353

Du côté de la tribu metal, c’est l’étude de Robert Culat qui est sans doute une des plus instructives. La septième question de son enquête demandait aux métalleux de citer un titre de livre et (ou) un film en rapport avec la « culture metal ».354

Le genre le plus cité est l’heroic fantasy avec 43.50% des réponses. Viennent ensuite la science- fiction avec 23.87%, l’horreur avec 12.73%, et la philosophie avec 9.28%.355

Les auteurs cités sont Tolkien, Lovecraft, Baudelaire, Nietzsche, Anton La Vey, le Marquis de Sade, le Comte de Lautréamont et Huysmans.356

Nous sommes surpris de ne pas retrouver Stephen King qui avait réalisé en 1986 un film de série B dont la bande originale avait été réalisée par le groupe AC/DC. Cela étant dit les genres et les résultats semblent refléter de manière juste les lectures de la tribu.

3.2.9. Cinéma

Toujours grâce à l’enquête de Robert Culat, nous avons des indications sur les films cultes de la tribu. Pour le 7e art, c’est l’horreur qui arrive en tête avec 33.21% suivi de l’heroic fantasy avec 27.86% et de la science fiction avec 18.70%.

Les titres de films les plus cités sont Dracula, L’exorciste, Matrix, Orange mécanique, Braveheart, Conan le barbare, Evil Dead et Brain Dead.

À cette liste nous pourrions ajouter le mocumentaire357 This Spinal Tap de Rob Reiner largement inspiré des mésaventures de Judas Priest ainsi qu’une comédie bouffonne de Pénélope Spheeris358 intitulée Wayne’s World sorti en 1992 dont on doit l’adaptation française aux comiques Les Nuls.

3.2.10. Philosophie

De toutes les tribus, il en est une dont l’adhésion dépasse très largement les apparences et les quelques récupérations culturelles légitimantes : il s’agit de la Hardline, une branche du mouvement Straight Edge au sein de la tribu hardcore. Il existe une véritable philosophie qui illumine la vie de tous ses membres. Mais c’est une exception pour ne pas dire un extrême. Concernant le metal, Valérie Fournier déclare que c’est un genre qui est « […] plus radicalement musical, accessoirement vestimentaire, mais [qui] n’implique aucun mode de vie particulier, aucune philosophie n’est revendiquée. » Et il est vrai qu’il n’y a pas de grandes lignes directrices clairement affichées. Selon les artistes, nous pourrons trouver des discours marqués par des préoccupations particulières mais pas au point d’aboutir à une doctrine. Bien sûr, il y a chez les musiciens certains héritages du « sexe, drogues et rock’n’roll » mais on ne peut en aucun cas parler de philosophie. Tout au plus, on peut retrouver un refus du « ronron de la société »,359 un certain désir de jouissance du jour présent, le carpe diem d’Horace ; avec l’idée d’une mort jeune comme l’indique le célèbre adage « Live fast, die young » (vivre rapidement, mourir jeune), mais cela ne va pas plus loin.