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Partie 1. Ouverture au changement de pratiques, de la prise de conscience au

2.2. La posture pédagogique

2.2.2. Styles, perspectives et postures d’enseignement

La compréhension de ce qui se joue en classe, passe par la posture de l’enseignant dans l’application des méthodes. Des concepts relativement proches fournissent une abondante littérature sur la question de la posture professionnelle de l’enseignant, de son action en rapport à ses conceptions pédagogiques, de son rôle et de sa personnalité. Plus

généralement, on parlera de style d’enseignement lorsque nous cherchons à caractériser un comportement du professionnel dans sa classe directement influencé par les idées qu’il se fait de son rôle. Il est d’autant plus important qu’il détermine la relation entre

l’enseignant et ses élèves, mais aussi avec la matière. Il incite les actions des élèves, leur motivation à s’engager dans leur apprentissage.

Les modèles fondateurs du style

Dans une revue de littérature sur le sujet, Karsenti (1994) rappelle que l’intérêt pour le style d’enseignement devient marqué à partir des années 60. Bien que les modèles soient nombreux, ils identifient des éléments similaires. Díaz Larenas et al. (2011) remarquent que le concept est défini de manières diverses selon les auteurs.

Un parti pris défendu par Ryans (1960) est de différencier des caractéristiques qui

déterminent le style de l’enseignant « à la fois par des facteurs personnels variant peu et des facteurs situationnels changeant constamment » (Karsenti, 1994, p. 56). Le style serait

une action en classe guidée par les croyances (Heimlich et Norland, 2002) et philosophie de l’enseignant (Brown, 2001). Oliver et Shaver (1966) différencient le but de mémorisation (style récitation) et le but de maïeutique (style socratique) desquels émanent les actions en classes. L’enseignant peut voir son rôle comme une dichotomie

autoritaire-démocratique en visant l'acquisition des connaissances ou un rôle humaniste (Campbell et Kryszewska, 1995) que l’on retrouve dans les douze styles que Bennett (1976) a arrangés dans un continuum d’informel à formel. Pour Antoniou (2013) qui cite Bibace (1981), les styles d'enseignement sont pour la plupart « un continuum où le style le plus centré sur l'étudiant (facilitateur) se trouve à une extrémité et le style le plus centré sur l'enseignant (assertif) se trouve à l'autre extrémité » [traduction] (p.1629), que l’on oppose souvent comme posture centrée sur l’enseignant et la matière ou centrée sur l’étudiant et l’autonomie.

Fig. 4 Schématisation du concept de style d'enseignement (Silver et Hanson, 1980) dans (Karsenti, 1994, p. 73)

Silver et Hanson (1980) s'appuient sur ces deux éléments du style (vision et application) pour schématiser le style d’enseignement (fig.4). Il serait identifiable par des

comportements observables. Ce serait notamment le cas pour la manière de planifier, communiquer, gérer qui in fine influencerait le climat de classe (Berliner, 1983). Ce même climat de classe dont Genoud (2004) expose dans sa thèse comme étant la rencontre entre les caractéristiques personnelles de l’enseignant et celle de ses élèves. Si certaines définitions ont cherché à déterminer des indicateurs multiples, tous ces éléments sont intimement liés à la relation entre le maître et ses élèves qui se construit à partir de la personnalité de l'enseignant et celles des élèves qui forment la classe.

Antoniou (2013), qui a étudié l’effet que peut avoir une formation sur les styles

d’enseignement auprès d’enseignants spécialisés, reprend la définition de Kaplan (1995) comme « les comportements personnels de l'enseignant et les supports utilisés en interaction avec l’apprenant » [traduction]. Il le qualifie en quatre caractéristiques : 1) Assertive (informe directement, guide et donne des feedbacks aux étudiants) ; 2) Suggestive (offre des opportunités de répondre de synthétiser et d’activer des connaissances antérieures) ; 3) Collaborative (écoute les expériences et explore les compréhensions des étudiants ; 4) Facilitative (facilitant l’expression et l’autonomie des étudiants).

Il est bien difficile d'appréhender tous les rôles de l'enseignant. Comme le présente Altet (1988), il s'active sur trois plans: 1) Didactique : Il est le médiateur entre l'apprenant et

l'objet d'apprentissage, il planifie. 2) Relationnel : Il est modèle et agent socialisateur.

3) Personnel : Il représente l'autorité et gère la classe.

Jorro (2002) donne 4 postures associées à 4 mondes selon les situations :

• L'instructeur dans le monde de la performance (réussite / classement)

• L'entraîneur dans le monde de la maîtrise (effort / progression)

• Le didacticien dans le monde de la construction (médiation)

• Le passeur dans le monde de la compréhension (altérité)

Ce style serait donc amené à évoluer selon le contexte. Bordeleau (1983) définit quatre stades qui tendent vers plus d'indépendance laissée par l'enseignant. Si les enseignants sont plutôt contrôlants de prime abord et centrés sur la structure et la matière, c'est par peur de perdre le contrôle. C'est seulement avec le temps qu'ils pourront créer un lien d'interdépendance et valoriser le développement des élèves. Les difficultés du contexte scolaire influencent le style pédagogique pour tendre vers un style managérial. Cette position que nous retrouvons aussi sous d'autres termes qui voient l'enseignant comme un expert transmetteur de connaissance.

À partir de ces conceptions, de nombreuses échelles proposent d’identifier le style. Grasha (1996) propose un modèle relativement consensuel dans différentes recherches. Le Grasha-Riechmann Teaching Style Inventory (TSI) comprend cinq styles liés à une orientation face à la connaissance (enseignant transmetteur de connaissances ou facilitateur d’une

construction par l’apprenant) et face à la structuration de l’autorité (enseignant tenant de l’autorité ou déléguant une autonomie aux étudiants). Les 5 styles d’enseignement d’après Grasha (1994) tiré de Mete et Bakır (2016) seraient 1) Expert : l’enseignant transmet la connaissance ; 2) Autorité formelle : il apporte des feedbacks positifs ou négatifs. Donne les objectifs ; 3) Modèle personnel : montre comment penser et se comporter ;

4) Facilitateur : va accompagner le développement de l’indépendance et la responsabilité ; 5) Délégant : laisse la responsabilité aux étudiants. Se considère comme

personne-ressource.

Stevenson (2014) a pour sa part relevé d’autres instruments, dont notamment le

Staffordshire Evaluation of Teaching Styles (SETS) (Mohanna, Chambers et Wall, 2007; Wall, 2007) qui comprend six dominantes en fonction de sa position vis-à-vis de la matière, de son enseignement plus ou moins frontal et sa relation avec les élèves. Le Teaching Goals Inventory (TGI) (Angelo et Cross, 2012) comprend cinq habillés tournées plus

spécifiquement vers le rôle des enseignants pour aider à améliorer l’efficacité ; tournées vers le raisonnement, la réussite scolaire, les valeurs, le futur professionnel ou le

développement personnel des étudiants.

Plus spécifiquement, Reeves (1994) s’est intéressé à l’enseignement par l’informatique computer-based education. Il en a tiré quatorze dimensions bipolaires (élève ou enseignant) allant de la philosophie de l’éducation (instruire ou construire) au contrôle exercé sur l’étudiant en passant par le statut de l’erreur.

La posture pédagogique

Pratt (2002) parle de perspectives d’enseignement (Perspectives on Teaching) plutôt que de style et les caractérise en « un ensemble interrelié de croyances et d'intentions qui donnent une orientation et une justification à nos actions » [traduction]. Dans leur modèle Teaching Perspective Inventory (TPI), Pratt, Collins et Jarvis-Selinger (2019) qualifient cinq perspectives et rappellent qu’elles ne sont ni bonnes ni mauvaises, mais simplement des orientations philosophiques.

• La perspective transmissive est l’idée qu’il faut transmettre un contenu d’une manière la plus structurée possible pour combler un vide.

• La perspective développementale, qui est d’orientation constructiviste qui vise d’abord à développer la réflexion, à résoudre des problèmes complexes et concrets.

• La perspective d’apprentissage, qui vise la transférabilité par des tâches authentiques dans des contextes réels.

• La perspective nourricière vise à former des apprenants plus autonomes et plus confiants, sans crainte de l’erreur. C’est la recherche d’un équilibre entre la bienveillance et le défi.

• La perspective de réforme sociale vise plus que l’apprentissage individuel par des modifications sociales. Ils amènent les apprenants à l’autonomie dans une

communauté. Pratt fait remarquer que les enseignants de ce type rencontrés étaient soit un leader, soit un rebelle.

Au-delà de ces cinq perspectives éclairantes, le concept de posture pédagogique nous semble fondamental parce qu’il considère l’influence des croyances et des intentions sur le style d’enseignement. Nous conservons la définition de posture de Lameul (2006), qu’elle définit elle-même proche de celle de Pratt, comme « la manifestation d’un état mental, façonné par nos croyances et orienté par nos intentions qui exerce une influence directrice et dynamique sur nos actions, leur donnant sens et justification » (p.3).

Le style interventionnel, une posture qui se joue en classe

Les styles ont un intérêt pour l’enseignant réflexif qui pourra adapter sa pratique en fonction de ses buts. L’objectif étant de comprendre et modifier sa posture à fin d’amélioration de son action en interaction avec la classe. Les recherches se sont intéressées aux styles pour comprendre le lien avec leur efficacité auprès de leurs étudiants (Davis-Langston, 2012), leur performance (Deci et al., 1982), de leur effet sur l’engagement des étudiants (Reeve, Jang, et al., 2004) et leurs relations affectives (Bujod et Saint-Pierre, 1996).

Si nous approuvons les définitions précédentes de Pratt et Lameul sur la posture quant à l’importance des croyances et des intentions sur les actes pédagogiques, ils restent difficilement identifiables. Le style d’intervention apporte une dimension d’actes

observables. D’après Bujod (1996), le style interventionnel est une manière personnelle de se comporter, de traiter la matière, d’organiser et même d’entrer en relation avec les étudiants. À la lumière de ces éléments, nous pouvons proposer une première définition du style interventionnel comme la manifestation observable des comportements de

l’enseignant en classe, orienté par la perspective de sa posture professionnelle et adapté dans une relation vécue avec ses élèves. Pour faire court, nous déclarer que le style interventionnel de l’enseignant prend sa source dans un idéal pédagogique qui doit pouvoir s’exprimer au quotidien de la classe.

Paquette (1985) définit l’intervention comme un acte volontaire qui comprend « une recherche d’effets, anticipés ou non anticipés » (p.1) et qui influencent le développement de l’apprenant. L’enseignant peut agir pour, sur, par, avec et contre l’apprenant (Ibid.). Ce lien avec l’apprenant est tellement important, que l’on associe le style et sa composante motivationnelle auprès d’élèves, appelé style motivationnel. De par son style, l’enseignant induirait des comportements autodéterminés en satisfaisant les besoins psychologiques fondamentaux des élèves (Escriva-Boulley, 2015). Nous nous retrouvons dès lors à

répondre aux tenants de l’instruction directe qui ne peut malheureusement pas répondre à ces besoins de motivation autodéterminée des élèves. Et nous appuyons sur la nécessité d’avoir un style soutenant l’autonomie des élèves (Reeve, Deci et Ryan, 2004).

Le soutien à l’autonomie

Nous pouvons comprendre l’impossible position des enseignants qui n’arrivent pas à sortir du paradoxe. L’apprenant a besoin d’être autonome et autodéterminé pour s’investir dans la tâche, mais il ne peut s’en arranger seul. Nous pouvons comprendre le paradoxe de l’autonomie (Fortin, 2005; Raab, 2016) que vit l’enseignant au quotidien. Il a envie que ses élèves deviennent autonomes autant qu’il a besoin de se sentir indispensable.

La difficile question de l’autonomie a largement été débattue. Nous ne sommes pas étonnés de retrouver les mêmes auteurs qui se sont penchés également sur la motivation.

Deci et al. (1982) ont qualifié deux types de comportements des enseignants. Le style contrôlant, qui pousse « (les gens vers des résultats précis, les privant ainsi de l'expérience de leur choix, minent leur motivation intrinsèque) » et le style informationnel qui fournit

« (aux gens une rétroaction significative dans le contexte d'un choix améliore la motivation intrinsèque) ». Ils ont montré que ce comportement de l’enseignant se répercutait sur l’environnement de la classe. Dans un environnement plus contrôlant, les enseignants parlaient plus, étaient plus critiques et les élèves avaient un sentiment d’efficacité plus faible et étaient moins motivés. Cette vision dichotomique a été critiquée, notamment par Jang (2010) ou Amoura (2015). D’après eux, il serait possible, voir nécessaire de supporter l’autonomie sans enlever le contrôle. Une certaine structure semble aidante à condition que l’autonomie soit possible. Sarrazin (2006) propose un cadre distinguant les

dimensions relatives à la structure et au contrôle deux à deux (fig. 5).

Fig. 5 Le cadre 2 x 2 du style qui différencie la structure et le contrôle de Sarrazin (2006) d’après (Reeve, Deci, et al., 2004)

Ce que Reeve (2009) appellera même le teacher’s motivating style tellement il influence la motivation des élèves ; l’estimant comme un composant fondateur de l’éducation « parce que les élèves fonctionnent de façon plus positive lorsque les enseignants soutiennent leur autonomie plutôt que de les contrôler et de faire pression sur eux pour qu'ils adoptent une façon particulière de penser, de sentir ou de se comporter » (p.163).

Plusieurs recherchent (Reeve, Bolt et Cai, 1999; Roth et al., 2007; Wang et al., 2016 ) ont montré des effets de l’autonomie laissée aux apprenants sur leur implication. En

s’appuyant sur la théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 1985), les chercheurs ont montré que les élèves ont des besoins fondamentaux pour s’engager. Toujours inspirés par la psychologie positive, et plus précisément par la théorie des besoins psychologiques fondamentaux (Ryan et Deci, 2000; Ryan et La Guardia, 2000), les auteurs dans leur théorie de l’autodétermination, relèvent que nous avons trois besoins psychologiques

fondamentaux pour pouvoir nous engager pleinement dans une tâche. Le besoin d’autonomie, le besoin de compétence et le besoin de proximité sociale. Ils seraient à l’origine de notre bien-être.

Fig. 6 Modèle d'autodétermination montrant des relations entre le soutien à l'autonomie, la satisfaction des besoins intrinsèques, l'engagement dans les tâches et deux aspects du bien-être (Deci et al., 2001, p. 932).

La recherche de Deci et Ryan (2001) montre une influence du support de l’autonomie sur les besoins psychologiques fondamentaux (fig.6). D’après eux, ces besoins conditionnent l’envie de s’engager et seraient un indicateur du bien-être (anxiété et l’estime de soi). Le Learning Climate Questionnaire (LCQ) permet de mesurer le sentiment d’autonomie (Deci, 2015).

La solution semble connue. Lorsqu’un élève a le sentiment de prendre part aux décisions,

« sa motivation à l'école sera plus grande, et cela aura un effet positif sur ses résultats scolaires » (Karsenti, 1994, p. 91). Dans le cadre de notre recherche, nous ne rentrons pas dans des considérations de conditions optimales des tâches sur le sentiment

d’autodétermination des élèves (défi, feedbacks, etc.) ; préférant nous concentrer sur l’influence de l’enseignant favorisant l’autonomie dont les élèves « ont plus de chance d'être motivés intrinsèquement que ceux d'un maître plus contrôlant, et cet état semble perdurer » (Karsenti, 1994, p. 84). Mais dans les faits, les enseignants peinent à “lâcher du lest“. Bozack et al. (2008) ont montré une influence de ce style sur leur implication,

notamment par la prise de parole et l’activité. Donner la possibilité aux élèves de poser des questions, d’interagir nécessite pour nous la mise en retrait de l’enseignant. Les deux ne pouvant pas prendre le devant de la scène en même temps. L’espace occupé mérite d’être interrogé. Huot (2002) dans son article “L’art d’enseigner, c’est d’abord l’art de se taire“

partage ce point de vue en utilisant les métaphores d’Aylwin (1994), comme celle du « chef d’orchestre qui ne joue pas à la place des musiciens » pour illustrer ce que nous

considérons comme un biais de l’enseignant. Celui d’occuper tout l’espace, parfois par peur de perdre le contrôle du moment présent.

Pour nous, ce soutien à l’autonomie est central dans la posture de l’enseignant. C’est un besoin psychologique fondamental (Gillet, Rosnet et Vallerand, 2008; Vallerand et al., 1989 ) qui doit impacter l’orientation pédagogique de l’enseignant et qui détermine le style d’enseignement. Les dimensions entre structure et contrôle proposées par Sarrazin (2006) ont l’avantage de rendre compte d’un nécessaire équilibre entre liberté (responsabilité) de l’élève et structure (guidage) pédagogique.