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Partie 2. Trajectoires d’enseignants dans l’intégration d’un dispositif de VMC 139

5.4. Le contexte scolaire des enseignants du canton de Vaud

Nous avons traité la question de la situation des enseignants au quotidien. Nous

présentons ici quelques précisions sur les spécificités du contexte scolaire dans le canton de Vaud représentant notre terrain. Non pas que leur travail soit tellement particulier, mais cela pourrait permettre de mieux comprendre la relation avec la recherche qui s’est construite.

Historiquement, l’institution a régulièrement mené différentes réformes qui tentent de pallier aux échecs scolaires. La réforme EVM (école vaudoise en mutation) qui mettait l’accent sur une pédagogie différenciée s’est confrontée à des résistances de tous bords (parents, enseignants, politiques) qui s’est soldée par une initiative populaire (École 2010 - Sauver l'école) qui, pour simplifier, demandait un retour de la sélection et de l’instruction (retour des notes, séparation des élèves, etc.). Finalement, le contre-projet du

gouvernement (LEO1) a été adopté en 2010 dans un compromis sans relief (deux voies, retour des notes). Sans rentrer dans une analyse complète, il est intéressant de relever l’influence du politique sur la vie scolaire dont les débats se font principalement à un niveau structurel plutôt que pédagogique avec des allers-retours entre cloisonnement et voie unique (Revaz, 2020). Il n’est alors pas étonnant que les professionnels rentrent timidement dans ces réformes.

En 2009 est entré en vigueur le plan d’harmonisation de la scolarité obligatoire en Suisse (HarmoS2) sur une durée de six ans qui visait à une harmonisation de la structure (degrés, âge d’entrée, organisation des voies), de la finalité et des instruments de mesure en qualité. Pour le canton de Vaud, une harmonisation des enseignements au niveau romand (plan d’étude, moyens d’enseignement, etc.) a été élaborée dans cette optique. Ces éléments de centralisation indiquent une volonté d’uniformisation de la structure scolaire.

Pourtant, les spécificités régionales pour le plan d’études sont admises et l’autonomie pédagogique et organisationnelle des établissements y est affirmée (LEO Art.38). Une certaine détermination pédagogique est façonnée par le système scolaire coordonné par l’État (fig.95). Il impose sélection par des voies différentes en fonction de niveaux, malgré une certaine perméabilité entre ces voies. La VP (voie prégymnasiale) prépare à l’entrée future au gymnase, la VG (voie générale) regroupe les autres élèves avec des niveaux différenciés dans les disciplines maths, allemand et français. Cette sélection se réalise en 8e année lors des ECR (épreuves cantonales de références) qui sont coordonnées par l’État. Si l’on ajoute les régulières intrusions de tests PISA, il est aisé de comprendre les différentes pressions subies par l’enseignant vaudois malgré sa grande liberté d’action dans sa classe. Cette responsabilité de résultats poussant parfois le professionnel à prioriser l’entrainement intensif pour la note (Yerly, 2014). Ces éléments sont moins flagrants dans l’enseignement spécialisé (pour les élèves en situation de handicap), puisqu’ils n’ont pas à rendre ces comptes.

1 Voir : https://www.ape-vaud.ch/loi-sur-lenseignement-obligatoire-leo/

2 Pour des précisions sur HarmoS, voir : https://www.edk.ch/dyn/11737.php

Fig. 95 Le système éducatif du canton de Vaud (simplifié) Composé d’un socle commun en primaire, puis d’une sélection en 8P qui détermine des parcours orientés métier (VG, apprentissage) ou menant aux études (VP-gymnase-université). D’autres voies

(enseignement spécialisé, écoles professionnelles) et nombreuses passerelles ne figurent pas sur ce schéma simplifié1.

Cette surveillance régulière des résultats vient ajouter des contraintes temporelles et structurelles qui augmentent l’effet de rémanence d’une école traditionnellement élitiste malgré des déclarations d’intention d’une pédagogie plus constructiviste (Périsset, 2007).

La réalité rattrape bien souvent l’enseignant vaudois, quand bien même il serait encore novice.

À ce propos, nous pouvons noter que la formation duale est représentative de cette double contrainte. Se référant aux théories étudiées qui doivent prendre place dans la leçon pratique, l’étudiant qui articule les concepts en se conformant aux préoccupations prosaïques de son PraFo2 (praticien formateur) est l’illustration du porte-à-faux des pédagogies nouvelles avec « les conceptions traditionnelles de la connaissance et de la réalité » (Philippe Jonnaert dans Gather Thurler et Maulini, 2007, p. 84). Néanmoins, cette alternance entre stages de terrain et réflexion sur les pratiques professionnelles semble un moyen de créer un lien entre théorie et pratique (Taddéi et al., 2012). Puisque le travail enseignant est moitié organisé, moitié organisant (Gather Thurler et Maulini, 2007, p. 124), il y a là une opportunité de « fondre l’ingénierie didactique dans l’ingéniosité de l’action pour trouver le bon rapport entre ressources disponibles et solutions idéales » (Ibid. p.145) ; à condition de revendiquer un certain contrôle pour circuler dans le programme. Nous devons encore préciser à ce titre que les collaborations sont autant un soutien pour oser se distancier de certaines normes que des contraintes selon qu’elles se forment sur des affinités ou des prescriptions (Maulini, 2010). Lorsqu’il s’agit de produire des tests

1 Voir : https://edudoc.educa.ch/static/web/bildungssystem/VD.pdf pour une structure détaillée.

2 Les Praticiens formateurs sont des enseignants formés pour accompagner des stagiaires qui vont intervenir

communs avec une classe parallèle (de même niveau), rien ne présuppose des affinités pédagogiques. Les enseignants du canton de Vaud font face à ces impératifs réguliers qui sont autant de retenues institutionnelles. En conséquence, ils s’éreintent à répondre à ces injonctions à moins qu’ils ne parviennent à s’en distancier au prix d’un certain risque ; notre proposition allant dans ce sens.

À l’inverse, ils peuvent s’appuyer sur les déclarations d’intention du Conseil d’État soutien une prise en compte de l’égalité des chances accrue, dont le Concept 3601 représente un des axes récemment entré en action (2019). Il s’agit pour simplifier de mesures socio-éducatives pour l’inclusion des élèves à besoins particuliers dans les classes régulières.

L’éducation numérique fait également partie de ces indicateurs forts d’une volonté institutionnelle de mener des modifications concrètes dans les classes. Sur ce point particulier, le constat est régulièrement fait du peu d’intégration dans les cours au profit d’une logique de survie dans les différents cantons (Boéchat-Heer, 2011). Les PRessMITIC (personnes-ressources en MITIC) actifs dans certains établissements et la récente

formation initiale en HEP (depuis 2015) appuient également cette volonté. La question de formation au numérique porte gentiment ses fruits (Baumberger et al., 2008), même s’il faut accepter une transformation progressive qui s’avère lente (Coen, 2007, p. 134). Depuis des années, l’intégration du numérique fait partie du cahier des charges de l’enseignant sans pour autant qu’il apparaisse comme une injonction auprès du plus grand nombre d’enseignants en fonction. Notre proposition est à double tranchant. Permettant aux enseignants désireux de se lancer d’y voir une solution compatible avec ce récent mouvement institutionnel, mais à contrario source supplémentaire d’une pression à laquelle ils cherchent à échapper le plus longtemps possible.

Enfin, rappelons que l’autonomie des établissements inclut la gestion des finances du matériel. Si l’équipement de base est bien financé par le canton (ordinateurs), des disparités d’investissements technologiques entre les communes sont notables, provoquant un certain désarroi des nouveaux enseignants. Le milieu est aussi fait de directeurs encourageant les collaborations et les projets, de bâtiments connectés au réseau ou de salles agréables, de concierges conciliants, etc. ; et bien sûr de collègues curieux. Toutes ces composantes très locales ne sont pas prévisibles avant notre intervention et peuvent avoir quelques influences sur la sensibilité vis-à-vis de notre proposition. La compréhension du terrain, qui est nôtre depuis des années, est d’ailleurs une raison de proposer cette voie — parmi d’autres — pour relever ce défi d’une évolution de l’enseignement, entre autonomie de la classe et prescriptions institutionnelles.

1 https://www.vd.ch/themes/formation/scolarite-obligatoire/concept-360/

6. Qui sont les enseignants désireux de modifier leur pratique ? (Étude 1)

« On n'attaque pas de front un problème, mais on l'enveloppe et le dissout dans une marée montante de théories générales »

— A. Grothendieck

6.1. Introduction

6.1.1. Objectifs de l’étude

Notre expérience d’enseignant nous a mis face à quelques collègues demandeurs de solutions pour améliorer leur enseignement, à la fois curieux des pratiques innovantes et crispé à l’idée de se lancer dans une nouvelle difficulté. Ces quelques cas ont été à l’origine de notre problématique de départ. À savoir s’il était envisageable de soumettre notre pratique innovante pour aider une population d’enseignants. Envisageable dans le sens qu’il serait possible de les aider à changer leur posture, mais aussi souhaitée par un nombre important d’enseignants.

Notre revue de littérature nous a permis de spécifier les contours définissant la posture, soit une relation de croyances, d’intentions et d’actions concrètes (Lameul, 2006; Pratt, 2002). Les connaissances actuelles sur les conduites du changement en éducations ont confirmé notre conviction que la réforme doit se conduire par l’appropriation des

enseignants de ces nouvelles pratiques (Barrère, 2017). Avant de pouvoir éventuellement adapter une réponse adéquate aux besoins du terrain, nous devions nous assurer de la validité de ces aspects théoriques et les micro-identifications d’expériences sur notre champ d’action, soit les enseignants du canton de Vaud. En d’autres termes, nous avons mené cette 1re étude pour comprendre leur ancienne posture et les résistances aux changements (fig.96) et confirmer 1) que les enseignants du canton de Vaud n’enseignent pas tous selon leurs convictions 2) qu’ils ressentent le besoin de changer de posture.

Fig. 96 L’étude (E1) se concentre sur l’état avant le changement. Il s’agit de comprendre la posture précédant le changement (ancienne posture), les intentions (attitude, normes, contrôle) qui peuvent être source de résistance.

Cela afin d’assurer que notre intervention corresponde à un besoin. Notre recherche se focalise sur la question de qui pourrait profiter de cette innovation. Qui sont les

enseignants du canton de Vaud ? Quelles sont leurs pratiques actuelles ? Comment vivent-ils leur métier ? Qui serait enclin à changer ? Quelles sont leurs intentions et résistances dans ces changements proposés ? Notre focus se porte sur la première partie de la courbe de changement, soit de caractériser de la posture avant le changement et d’identifier les résistances (saines et fictives) éventuelles.

6.1.2. Rappel théorique

La posture de l’enseignant est un concept complexe qui s’articule entre croyance, intention, orientation et action (Lameul, 2006; Pratt, 2002). De plus, il existe un décalage entre posture idéale et posture réelle (Chbat, 2004; OCDE, 2015 ).

À ce stade et dans une perspective d’identification des pratiques du terrain, nous avons utilisons le terme “traditionnel“ qui a été discuté au chapitre sur les méthodes en nous appuyant sur de nombreux auteurs ayant traité de cette question épineuse (Docq et al., 2008 ; Grootaers, 2007 ; Houssaye, 2014; Meirieu, 2011 ), pourtant représentative

d’incidences sur les situations d’apprentissage et d’enseignement, quand bien même le professionnel tente de s’en distancier (Tang et al., 2017).

D’après nous, l’enseignant traditionnel s’appuie sur 1) une intention de transmission de la connaissance avec 2) des méthodes directives centrées sur l’enseignant et 3) une

acceptation de la forme scolaire. Un enseignant non traditionnel s’appuie sur les méthodes nouvelles et 1) une intention de développement (maïeutique) en collaboration, 2) des méthodes centrées sur l’autonomie de l’apprenant et 3) une prise de liberté face à la forme scolaire.

6.1.3. Questions de recherche

Nous savons qu’il est difficile de garder une posture en accord avec ses principes. D’une part, le professionnel est mis à mal par les contradictions théoriques et de l’autre, il doit réussir à jongler avec le quotidien, entre forme scolaire, gestion de classe et autres aléas.

Nous pensons que :

1) Les enseignants du canton de Vaud n’enseignent pas tous selon leurs convictions.

Pour répondre à cette question, nous interrogeons les styles pédagogiques autant idéologiques que pratiques.

Hyp1) La proportion d'enseignants traditionnels est majoritaire.

Hyp2) Les enseignants sont plutôt insatisfaits. Ils ont une autodétermination plutôt faible, notamment en ressentant une pénibilité de leur travail au quotidien.

Hyp3) Les enseignants appliquent les méthodes traditionnelles par défaut, sans en être vraiment conscients ou convaincus.

2) L’intention d’utiliser une pédagogie nouvelle dépend de l’attitude des enseignants, de leur sentiment de contrôle et de leur perception du contexte.

Hyp4) Les enseignants de type traditionnels sont moins ouverts à la modification de leur pratique et donc au changement.

Hyp5) Les enseignants plus traditionnels ont un SEP général et spécifiquement au numérique plus faible.

Hyp6) Les enseignants moins traditionnels ont une vision plus positive de leurs élèves.

Ils ont plus de plaisir à enseigner.