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Partie 1. Ouverture au changement de pratiques, de la prise de conscience au

2.2. La posture pédagogique

2.2.1. Les méthodes pédagogiques

Le métier d’enseignant a ceci de particulier qu’il impose au professionnel d’avoir une double position d’exécutant (en appliquant des méthodes) et d’intégrateur (en évaluant ces méthodes). Un observateur externe et provocateur pourrait prétendre que les sciences de l’éducation faillissent à expliquer leur domaine. Puisque les méthodes parfois

contradictoires qui s’en inspirent sont rarement appliquées. Alors que la physique ou la médecine remplacent une connaissance par les nouvelles découvertes, la pédagogie les fait coexister. Que pouvons-nous conclure de ces contradictions ?

Des mouvements pédagogiques contradictoires

Conscients que nous prenons ici un raccourci en opposant les courants de la pédagogie traditionnelle et la pédagogie nouvelle (Grootaers, 2007), nous pensons qu’elles

représentent bien les antinomies insolubles auxquelles l’enseignant est confronté.

La pédagogie traditionnelle se concrétise par un enseignement simultané et magistral où l’enseignant est le tenant du savoir (Docq, Lebrun et Smidts, 2008). Il doit instruire ses élèves en leur transmettant de la connaissance. Cette pratique directive demande une certaine discipline pour que la classe fonctionne. C’est le modèle que nous avons dans la plupart de nos sociétés et qui se construit dès le XVe siècle avec les collèges et la

congrégation jésuites pour éduquer les jeunes à la foi chrétienne, puis les écoles du

peuple pour instruire les pauvres pour qu’ils s’insèrent dans la société avant les besoins de la révolution industrielle, suivie de l’école de Jules Ferry qui n’a que peu évolué depuis près d’un siècle et demi.

La pédagogie nouvelle prend sa source principalement chez Rousseau (Meirieu, 2011) qui oppose les rôles par l’image de l’enseignant remplissant un vase vide au jardinier qui cultive son jardin. En cela, il s’approche de la maïeutique de Socrate, en cherchant à ce que l’élève trouve les forces en lui pour se développer. La prise en compte d’un équilibre entre les forces et les besoins de l’apprenant est centrale. Nous pouvons considérer ces trois vecteurs que nommait Pestalozzi comme la tête (connaître), la main (pouvoir) et le cœur (vouloir) visant la liberté, comme principe fondateur de l’éducation nouvelle.

L’enseignant étant là pour accompagner les élèves dans une certaine construction individuelle, active et autodéterminée.

Bien qu’assez marqués, ces mouvements ne sont pas imperméables et nombre

d’enseignants vont puiser tantôt dans l’un, tantôt dans l’autre, à juste titre d’ailleurs (Tang et al., 2017). Aucune n’est irréprochable. La vision behavioriste et skinnerienne est

réductrice à un comportement de réponses aux stimulus (Lecomte, 2008; St-Yves, 1981).

Elle oublie complètement le besoin social de l’apprentissage des compétences de haut niveau. La vision socioconstructiviste fait perdre les entrainements indispensables à la mémorisation et les apports théoriques de base au profit d’une découverte chronophage.

Certaines pratiques sont plus adaptées à certaines situations ou à certains élèves. « Un enseignement directif semble plus efficace aux premiers stades de la scolarité, alors que plus tard, un enseignement moins directif s’avère plus productif » (Duru-Bellat, 2001, p.

324). Nous pensons que chacune de ces positions pédagogiques charrie son lot de difficultés, de limites et de risques. L’enseignement transmissif représente un défi au niveau de l’égalité des apprentissages. Si certains pourront apprendre dans ces conditions, cela leur demandera une attention ou un travail supplémentaire hors de la classe. Les difficultés ou les élèves qui ne suivent pas sont souvent identifiés très tard. Alors qu’un enseignement moins directif nécessite une structure claire et une implication des élèves qu’il faut construire et entretenir.

Nous pouvons trouver dans la littérature autant de tenants que d’adversaires d’un côté comme de l’autre. Un nombre croissant de recherches s’évertuent à montrer les bienfaits d’un enseignement centré sur les besoins de l’élève — les institutions montrent d’ailleurs un regain d’intérêt face aux compétences transversales (jugement critique, collaboration, etc.) — alors même qu’une partie des recherchent s’y opposent — allant jusqu’à douter de l’existence des compétences transversales — cherchant démontrer des effets opposés, comme l’augmentation des inégalités (Bissonnette et Boyer, 2018). Sous couvert

d’efficacité, il y a là un débat philosophique de société. Les détracteurs des pédagogies actives présupposent que la « réussite scolaire aboutira dans un second temps à une réussite sociale » (Talbot, 2012, p. 5). L’école est vue comme un instrument d’instruction.

Comme Talbot, nous pensons que ces recherches se trompent de cible en oubliant les autres missions de l’école et qu’elles « décrivent l’enseignant efficace et non les pratiques d’enseignement efficaces » (Ibid.).

Les objets consensuels de l’apprentissage efficace

Les désaccords entre ces multiples théories sont des richesses. Cependant, pour faire avancer la science, nous devons régler les contradictions et les incompatibilités.

Heureusement, dans ce foisonnement, des tentatives d’articuler le meilleur des deux mondes existent — c’est une des raisons de notre proposition de dispositif — mais quelles sont-elles ? Quels en sont les points communs et sur quoi les sciences de l’éducation sont actuellement d’accord ? Les quatre piliers de l’apprentissage (Dehaene, 2018) que les neurosciences nous posent offrent une bonne synthèse actuelle des éléments à promouvoir pour faciliter l’apprentissage, soit :

1) L’attention : C’est être concentré sur l’objet d’apprentissage en étant conscient que le reste lui échappe.

2) L’engagement actif : C’est faire l’effort de se questionner, d’émettre des prédictions, de produire.

3) Le retour sur erreur : C’est échouer et recevoir des feedbacks constructifs pour réguler.

4) La consolidation : C’est créer des automatismes pour libérer des ressources pour d’autres apprentissages

En filigrane de ces quatre piliers, nous retrouvons des impératifs constituant la

métacognition, l’implication des élèves et l’apprentissage social. Dans sa méta-analyse, Hattie (2008) présente les mêmes constats et relève des besoins pour l’apprenant de savoir ce qu’il apprend et pourquoi. De pouvoir être corrigé par des feedbacks formatifs et d’apprendre par les pairs. Autant ces éléments renforcent la justesse d’une action

behavioriste, autant ils sont valides dans une vision plus constructiviste des connaissances.

La différence se situant dans la source (de l’attention et des feedbacks) qui est soit la source du savoir (l’enseignant, une machine), soit l’échange avec les pairs (construction du savoir) et dans les buts d’accomplissement plutôt axés sur la performance (répondre juste) ou la maîtrise (confronter des doutes).

Encore une fois, ce consensus sur le fonctionnement de l’apprentissage se heurte à l’opposition des méthodes à appliquer. Aux méthodes constructivistes, notamment celles basées sur l’enseignement mutuel sur lesquelles nous reviendrons largement, où l’élève apprend avec l’objectif de pouvoir réexpliquer ce qu’il a appris, s’opposent les méthodes progressistes, comme l’enseignement explicite (Rosenshine, 2012) où l’enseignant dirige chaque étape de l’apprentissage. L’application d’une méthode plutôt qu’une autre va immanquablement influer sur sa manière d’enseigner. Elle pose la question centrale du rôle de l’enseignant. Elle pose et oppose les questions de guidage (Kirschner, Sweller et Clark, 2006) qui est encouragé (autonomisation) ou craint (perte de repères).

Un décalage entre posture idéale et posture réelle

Les enseignants désireux de pouvoir agir au mieux se heurtent à ces propositions des méthodes, mais aussi à des oppositions dogmatiques sur la finalité de l’école et à leurs propres contradictions et déviances dans leur application concrète en classe.

Même lorsque les enseignants indiquent leur attachement de principe à l’enseignement centré sur l’élève, les recherches constatent des décalages avec leur pratique. Les enseignants vivent aujourd’hui un conflit cognitif entre une formation qui prône les bienfaits des pédagogies sociocognitives et un environnement résolument tourné vers la transmission. Un rapport de l’OCDE (2015) relève cette contradiction des enseignants qui

« s’accordent en général à dire que l’enseignement doit donner un rôle actif aux élèves » (p.4) et appliquent pourtant des pratiques plutôt passives. Chbat (2004) fait le même constat, mais note aussi que les enseignants s’efforcent de se distancer d’une approche magistrale et cherchent à modifier de leurs pratiques. « Toute initiative occasionnant une interruption du monologue du maître est interprétée comme une transformation radicale de l’approche magistrale en une approche mixte justifiant la classification de la méthode globale comme non magistrale ou comme magistrale interactive » (p.150). Dans sa recherche plus de la moitié seulement des enseignants (34/61) affirment pratiquer une approche mixte, alors qu’une petite minorité (11/61) déploie une méthode résolument non magistrale. Mais les déclarations d’intention peinent à être transformées en actes. Polly et Hannafin (2011) ont, par exemple, suivi pendant un an une cohorte d’enseignants qui suivaient des ateliers de formations pour changer leur pratique.

Ils ont relevé « un manque d'alignement entre les pratiques observées par les enseignants et celles mises en évidence lors des ateliers de travail » [traduction] (p.126). Finalement, moins de 14% du temps était réellement dévolu aux tâches centrées sur l’apprenant et

aligné avec la pédagogie promulguée par le projet. Le reste du temps, l’enseignant restait dans une posture d’enseignement directif. Par contre, ils ont relevé une certaine

conscience des enseignants à ne pas avoir atteint leur objectif pédagogique et des pistes d’améliorations possibles. Un des décalages notables a été que les enseignants pensaient la moitié du temps avoir une posture centrée sur l’apprenant en leur offrant des conditions de manipuler du matériel, alors qu’ils fournissaient des directives explicites. Ils relèvent aussi qu’une partie des individus ne s’est pas engagée dans ces pratiques actives alors qu’une autre s’est concentrée sur ses actions sans interroger sa posture qui restait directive. Ils ont également pointé du doigt l’environnement scolaire, notamment pour maintenir l’ordre dans la classe (élèves à besoin particulier, problèmes de comportement).

Ce glissement lors de la pratique en classe aurait plusieurs causes. D’une part, la structure historique de l’école. D’après Houssaye (2014), « c’est dans la première moitié du XXe siècle que tout s'est joué. Les progressistes administratifs ont écrasé les progressistes pédagogiques » (p.29). Dans ces conditions, seuls les plus téméraires ont réussi à articuler pédagogie centrée sur l'élève et école centrée sur l'enseignant ; dépendamment des impératifs du quotidien sur lequel nous nous attarderons dans les chapitres à venir. Il s’agit surtout d’appréhensions, parce que les enseignants « craignent que le temps

d’apprentissage soit trop long et que les problèmes organisationnels (gestion de la classe, temps de préparation et complexification de la tâche de l’enseignant) soient

insurmontables » (Delémont, 2006, p. 11) et de retour à la sécurité d’un cours magistral qui

« sert de filet de sécurité si le dialogue ne prend pas, s'il faut accélérer par rapport au programme ou s'il faut tenir une classe difficile » (Houssaye, 2014, p. 33).