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Partie 1. Ouverture au changement de pratiques, de la prise de conscience au

3.2. Validation mutuelle des compétences (VMC)

3.2.3. Apports et limites de la VMC

Le potentiel d’une validation mutuelle

Dans un enseignement classique, le maître est non seulement porteur du savoir qu’il va plus ou moins transmettre, mais aussi garant de la gestion de la classe, des échanges entre les élèves, du curriculum, des temps scolaires, des feedbacks et évaluations. Toutes ces responsabilités lui confèrent une autorité, mais aussi restreignent la liberté de choix ou d’action des élèves. Pire, elle induit un contrôle par l’enseignant plutôt que par la tâche qui encourage les remises en question et autres confrontations. Dans la VMC, l’acte

d’apprendre n’est plus déclenché par l’enseignant, mais par le parcours que l’élève doit suivre et par les liens sociaux entre les élèves. Le triangle pédagogique n’est plus constitué entre savoir-enseignant-élève, mais comme dans le tétraèdre de Lombard (2003), dans un triangle savoir-dispositif-élève. Les recherches autour du dispositif depuis une quinzaine d’années (Ruffieux, 2004, 2008, 2012, 2017) ont mis en avant les avantages d’une telle méthode.

Les régulations qui suivent les conflits cognitifs lors des apprentissages (Buchs et al., 2008;

Doise, 1991) se font d’une manière épistémique et non relationnelle (Darnon et al., 2008;

Schwarz et al., 2010). Le rôle pour la motivation est fondamental, puisque l’élève qui ne sait

pas ne craint pas le jugement (ou les moqueries), mais sera encouragé à s’améliorer. Cela n’est possible qu’en l’absence de compétition (Butera, 2006). Les buts

d’accomplissements ont été largement étudiés (Quiamazade, Mugny et Butera, 2014;

Quiamzade, Mugny et Butera, 2014) et les avantages d’un environnement encourageant les buts de maîtrise ne sont plus à démontrer. Ces éléments ont aussi été relevés dans nos recherches antérieures (Ruffieux 2004-20012). Lors de ces échanges entre pairs, il a été relevé une plus grande implication, un meilleur sentiment d’efficacité personnel et une vision métacognitive encourageant l’autonomie. Bien que ce ne fut pas la problématique, des compétences transversales (collaboration, écoute, entraide, usage du numérique) ont été travaillées en parallèle des mathématiques, discipline utilisée lors de ces recherches (Ibid.).

Au cours du processus de création, de correction et d’explication des concepts amenés dans les brevets, nous y voyons surtout les avantages du peer tutoring, identifiés par Damon (1984), qui se rapprochent des idées constructivistes de Piaget (1975) ; par un rééquilibrage majorant, par le concept d’étayage (Bruner et Deleau, 2002). Ce dernier concept est

fondamental dans la VMC. Parce qu’il met en jeu le discours — soit une médiation sociale permettant de réduire la difficulté pour l’apprenant — pour qu’il puisse réaliser seul la tâche. Cela implique un travail de simplification de la part de l’expert. Le tuteur « doit aussi réinvestir ce qu'il sait, se livrer à un travail d'explicitation en direction du tutoré (Baudrit, 2003, p. 52). Cette verbalisation fait directement et fondamentalement référence aux théories sociocognitives de Vygotsky (Ivic, 1994; Schneuwly et Bronckart, 1985). Non seulement l’apprenant va profiter de l’expert qui est par construction dans sa zone proximale de développement ; mais l’expert qui explique va approfondir sa connaissance par la verbalisation de ce qui est parfois encore fragile (Piot, 2005). Comme le dit un élève lors d’un entretien (Ruffieux, 2008) “quand on sait expliquer la chose c'est qu'on a vraiment bien compris“. Il se mettra en quête de compléments lorsqu’il ressentira le besoin de pallier à des faiblesses de compréhension ou des manques. Fiorella (2013) a relevé plusieurs études montrant que « le tutorat par les pairs peut conduire à des gains d'apprentissage à la fois pour le tuteur et le tutoré » (p.283). Même s’il semble difficile de déduire quand et

comment l’environnement du tutorat par les pairs appuie l’apprentissage du tuteur, « les activités d'apprentissage qui exigent des élèves qu'ils préparent et produisent des explications pour les autres peuvent mener à une meilleure compréhension à long terme » (p.287). Comme le nomment Barnier (2001) ou Bachelet (2010), l’effet-tuteur, qui serait le bénéfice apporté par le fait d’être dans le rôle de l’apprenant-tuteur, apporterait deux avantages. Une meilleure assimilation que les étudiants tutorés et un développement des compétences transversales. « L’acte d’enseigner demande non seulement

d’apprendre, mais aussi de retravailler et de réorganiser la connaissance, ce qui fait intervenir des compétences particulières : reformuler des idées, clarifier des points compliqués, donner des exemples, se décentrer pour comprendre le point de vue d'un tiers » (Ibid., p.7). Baudrit (2003) semble même indiquer que cet effet-tuteur serait effectif bien avant la confrontation concrète avec le tutoré, mais dès la préparation, grâce à une communication anticipée que fait le tuteur en préparation à ses explications. Ces échanges naturels et portés par des buts de maîtrise (Darnon et Butera, 2005) construisent une interdépendance (Johnson et Johnson, 2009) dans une communauté d’apprenants qui

échangent naturellement grâce à l’outil qui permet de structurer ces échanges. La VMC n’est en soi pas l’unique moyen de construire un environnement d’apprentissage actif, mais il est un formidable système qui organise les échanges, redéfinit les rôles,

notamment celui de l’enseignant. L’aspect communautaire apporte alors à son tour, par les responsabilités partagés un sentiment d’appartenance et de connexion sociale dont

Walton (2012) a montré les effets sur la persistance dans les tâches scolaires en mathématiques.

La VMC profite du potentiel numérique de Sqily1 externalise l’expérience hors de la classe et tend à l’éducation aux médias nécessaire à l’éducation moderne. Il devient le média et le médiateur des relations comme facteur de soutien dans les échanges et dans la construction d’une communauté décentralisée (Ruffieux, 2012). En accord avec Bates (2016) selon le modèle de communauté d’informations (Garrison, Anderson et Archer, 2000), une communauté se matérialise et s’enrichit des apports de chacun des pôles pour former l’expérience éducative (fig.17).

Fig. 17 Le Community of Inquiry Model (Col) : (Garrison et al., 2000) représente la communauté d’apprentissage en trois éléments : La présence sociale et les relations interpersonnelles, la présence de l’enseignant comme source du design

pédagogique, la présence du savoir construit par la communauté, dans (Bates, 2016, p. 130)

Contingences assumées

De nombreuses études et méta-analyses se sont employées à démontrer les faiblesses de l’enseignement centré sur l’élève (Kirschner et al., 2006). Gauthier (2007, 2009; 2005) se réfère aux résultats de l’expérience américaine Follow Through lancée en 1967 et confrontant des méthodes auprès d’élèves de milieux socio-économiques défavorisés. Les

comparaisons penchaient en effet largement en défaveur des pédagogies ouvertes et montraient des performances nettement supérieures de l’instruction directe. Pourtant, nous voyons deux éléments qui relativisent ce regard tranché. Le premier est de connaître les conditions d’évaluation de ces connaissances. L’alignement pédagogique (Biggs et Tang, 2011) doit être respecté pour que les résultats soient valident. Et ce n’est pas une surprise si les élèves réussissent mieux lorsqu’ils ont été entrainés de la même manière qu’ils sont évalués. Ainsi nous pensons que des compétences acquises ne sont pas

1 Sqily est la plateforme développée avec la HEP pour l’usage spécifique de la VMC. Elle est détaillée dans un chapitre dédié. Accès : https://www.sqily.com

valorisées dans ces études. Deuxièmement, nous pensons que les compétences travaillées seront des compétences de plus bas niveau (Biggs et Collis, 2014). Ainsi pour nous il n’est pas constructif d’opposer ces méthodes sans les replacer dans le contexte de leur cadre d’action. L’enseignement direct reste utile lorsqu’il s’agit d’instruire des compétences de base, mais ne permet pas d’obtenir la connaissance en profondeur nécessitant

l’autonomie et la réflexion sur ces erreurs.

Les détracteurs des pédagogies actives insistent avec véhémence sur de réelles faiblesses.

Celle de nécessiter plus de temps pour des résultats moins nets. Bissonnette (2008) appuyait justement sur ce point en citant Mellouki (2006, p. 159). « Cette vague s’appelle le constructivisme. Parmi les moyens d’enseignement que le constructivisme prône, la pédagogie de la découverte et la pédagogie de projet, ses versions les plus populaires occupent une place de choix » (p.153). Or, toutes les pédagogies actives ne sont pas de la découverte au sens où l’entendent les tenants de l’instruction directe, mais peuvent être structurées pour accompagner l’apprenant. Il y a effectivement deux limitations : 1) le temps nécessaire à l’action réduit la quantité de contenu qui peut être couvert et 2) les étudiants qui ne sont pas assez familiers avec la matière réduit leur capacité à interagir et avec leurs pairs (Owens et al., 2017). Pourtant — contrairement à l’enseignement explicite

— « l'ensemble de la documentation sur l'apprentissage actif suggère que, par rapport aux méthodes d'apprentissage traditionnelles centrées sur l'enseignant, les méthodes

d'apprentissage actif améliorent les attitudes et la motivation des élèves à apprendre » [traduction] (Ibid.).