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Partie 1. Ouverture au changement de pratiques, de la prise de conscience au

4.6. Adoption et post-adoption

4.6.3. Changements autorégulés

Tout changement demande de construire une nouvelle habitude. Osatuyi et Qin (2018, p.

181) rappellent que l’affect (la satisfaction) joue un rôle capital dans comportements postérieurs d’usage. « La gratification utilitariste peut être conçue comme une évaluation qui suit une perspective de pensée rationnelle alors que les gratifications sociales et hédoniques suivent une perspective irrationnelle » (p.181). D’après Ye et Potter (2007), l’habitude — qui a un impact sur l’intention et le comportement — ne fait pas partie des mécanismes raisonnés. À partir de leur recherche, ils proposent un modèle de post-adoption de solutions alternatives dans les technologies (fig.66). Pour eux, les personnes qui ont une habitude seraient moins susceptibles de chercher une solution de rechange (P3) et moins susceptibles de les utiliser (P1). Leur modèle met en avant des facteurs d’incitation (Push) et de facteurs d’ancrage (Pull). Les facteurs d’incitations sont plutôt d’ordre des perceptions que l’individu se fait du nouvel usage (attitude). Les facteurs d’encrage seront plutôt contextuels (contrôle), les facteurs d’amarrage (Mooring) donnent l’attractivité (normes).

Fig. 66 Modèle de post-adoption de solutions alternatives dans les technologies (Ye et Potter, 2007, p. 11)

4.7. Conclusion

L’évolution des mentalités sur les actions à mener pour aider les individus à changer va dans le sens d’une plus grande responsabilité individuelle. D’une vision de résistance à éliminer, les conduites visent une action positive et systémique qui nous semblent aller dans le bon sens. Mais cela ne se fait pas sans poser de nouvelles questions sur les capacités, les envies et les parcours.

La multitude de modèles explicatifs, malgré leurs origines et leurs variations, relève de similitudes notables qui les rend assez compatibles. Suivant la structure de cette section, différents moments sont à interroger qui sont autant d’étapes de la courbe du

changement illustrée par la J-Curve. L’intention de s’engager dans le changement fait résolument référence aux trois éléments de la TCP, soit l’attitude, les normes subjectives et la perception de contrôle. Le comportement est alors déterminé entre résistance, ouverture et préoccupations pour qu’il se réalise par l’engagement. La TCI nous offre une vision sur les influences de maintien ou de rupture dans le chaos, telles que les habitudes ou conditions facilitantes.

Force est de constater que les connaissances actuelles semblent bien expliquer les intentions et les comportements à partir de celles-ci. Mais bien plus ardu de les prédire.

Plus nous avançons dans la courbe et plus la compréhension se complexifie au contact d’un système qui influence l’intention de départ et modifie l’imaginaire. Les questions d’affordance ne portent pas uniquement sur les outils ou même l’environnement, mais questionnent l’action située et socialement partagée. C’est là que nous voyons dans les émotions — et notamment la relation avec les élèves — des possibilités maintenir

l’engagement malgré les difficultés imprévues. En dépit de leur relative complexité et leurs limites, il n’est pas fortuit de retrouver les dimensions perception de maîtrise lorsqu’est ressentie la satisfaction dans l’ensemble des modèles d’adoption et post-adoption qui tentent d’expliquer le maintien. De sorte qu’un changement réussi est bien une construction personnelle qui s’accorde avec les valeurs des individus et leur contexte.

Nous gardons à l’esprit également que ce parcours qui peut sembler linéaire ne doit pas regretter ou craindre des retours aux habitudes ; rechutes à considérer comme une expérience formatrice plus qu’un échec ou une incapacité. Dès lors, elles deviennent sujettes à intérêt pour la compréhension.

Les méthodes passent généralement par des étapes de diagnostics et de stratégies qui ne sont pas inintéressantes, mais qui, malgré des prétentions d’intérêt et des déclarations d’obligation d’inclusion des utilisateurs, se heurtent à une structure très machinale du changement qui ne peut avoir lieu dans nos classes. Bien peu de ces méthodes nous semblent respecter la trajectoire J-Curve, autoriser les rechutes du TTM, inclure les aspects d’intention et d’action raisonnée. La méthode Conception Assistée par l’Usage pour les Technologies, l’Innovation et le Changement (CAUTIC) proposée par Mallein (1998) proposant de questionner les profils des utilisateurs et les critères de réussites

(significations d’usage) est peut-être celle qui s’apparente le plus à une compréhension des individus dans le changement. Elle propose les étapes 1) de compréhension et d’assimilation des usages 2) d’intégration dans les pratiques

quotidiennes 3) d’appropriation dans son identité 4) d’adaptation à son environnement.

Ses promesses (Anjembe, 2014) nous semblent proches de ce que notre revue de littérature suggère. Son caractère spécifique à l’usage des technologies constitue cependant un frein. Rappelons surtout notre conception d’un changement par

autonomisation des enseignants. Nous tenons à l’importance de comprendre les forces des individus dans un milieu complexe hors d’un carcan méthodologique pour eux. « Cette complexité nous conduit à conclure que l’objet le plus saisissable, mais aussi le plus intéressant, ce ne sont pas les innovations en elles-mêmes, mais les projets, les désirs, les stratégies d’innovation des acteurs, voire leurs peurs, résistances et les transactions tacites ou explicites qui s’engagent à ce propos. Cette approche résolument

constructiviste, interactionniste et anthropologique de l’innovation se situe

nécessairement dans le cadre d’une théorie de l’action » (Gather Thurler, 2004, p. 101).

La question de la méthode la plus appropriée est donc liée à l’autonomie des enseignants qui s’approprient une nouvelle posture, mais aussi à la force de la rupture nécessaire pour initier et maintenir le changement. Alors qu’Engeström (2017) s’oppose à Bryk (2017) en préconisant la transformation face à l’amélioration. Nous entendons les critiques lorsqu’il s’agit de trancher avec les pratiques actuelles. La science de l’amélioration pourra

difficilement s’émanciper du cadre dans lequel elle est mise en œuvre. Pourtant, elle nous semble très prometteuse pour améliorer les innovations qui ont besoin d’être consolidées.

De notre point de vue, il n’est donc pas tant important d’opposer les positions méthodologiques que de les inscrire dans un processus de développement. Une

compréhension des innovations et une première construction locale par un apprentissage expansif suivi d’une consolidation par de l’amélioration.

Partie 2. Trajectoires d’enseignants dans