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Partie 2. Trajectoires d’enseignants dans l’intégration d’un dispositif de VMC 139

5.2. Construction méthodologique

« Comme c'est souvent le cas lorsque les gens doivent faire face aux complexités de la réalité, le changement de méthodologie au fil du temps a surtout consisté à passer du positivisme à la recherche-action et du quantitatif au qualitatif » [traduction] (Dick, 1993).

Nous optons également pour ce glissement volontaire qui part d’une approche quantitative pour vérifier les données à plus large échelle, suivie d’une approche plus qualitative pour les dimensions plus fines, ce qu’Altet (2012) nomme processus interactifs-contextualisés. Nous commençons par utiliser le concept de style pédagogique comme un outil pour repérer les caractéristiques distinctives de chaque enseignant pour la réutiliser dans l’observation attentive des modifications de postures lors des expériences suivantes.

Cette approche mixte nous permet d’articuler les méthodes en fonction de leur portée.

Il nous semble utile de nous référer à Van Der Maren (2003) sur les spécificités de la recherche en éducation pour justifier une position principalement pragmatique dans l’analyse des besoins et la recherche d’amélioration tout en ayant un regard ontogénétique sur le développement personnel des enseignants. Même si nous nous rapprochons des principes de recherche en design, qui « peut être qualifiée d'interventionniste, itérative, orientée processus, orientée utilité et d'orientée théorie » [traduction] (McKenney, Raval et Pieters, 2012, p. 1), nous avons préféré ne pas utiliser cette méthodologie spécifique, car elle aurait nécessité ou interféré avec l’ensemble des recherches antérieures qui pourraient (devraient) être intégrées dans cette thèse. L’objectif à ce stade n’est pas de produire un design d’usage unifié ou concordant, mais de permettre aux enseignants de décider et choisir les manières de s’approprier le dispositif dans leur contexte complexe et d’en comprendre leurs choix et leur parcours. Cependant, notre recherche intervention suit les étapes telles que décrites par McKenney et Reeves (fig.69) avec une phase exploratoire (Etude 1), suivie d’un design et d’une évaluation (Etude 2), puis d’un nouveau cycle de desing-évaluation (Etude 3). La différence résidant dans l’objectif de répondre aux besoins des enseignants avant de penser à une diffusion ou la construction d’un nouvel artéfact.

Fig. 69 Organisation des trois études itératives de la recherche : Etude 1 : connaissance du terrain ; Etude 2 : première itération (it-1) avec une modalité step-by-step ; Etude 3 : deuxième itération avec adaptation all-in-one

Modalités

Notre problématique générale et la méthodologie choisie nous amènent à une articulation des méthodes et des revisites constantes des questions de recherche. Les études se réalisent en plusieurs temps et diverses modalités dont nous proposons ici une vision d’ensemble. Suivant la courbe J-Curve du changement de posture des enseignants, chaque étude se focalise sur trois temps de transformation (fig.69), (E1) avant la décision, (E2) de la décision à l’action et (E3) de l’action à la régulation du dispositif par les

enseignants.

Fig. 70Les trois études au fil de la transformation suivant le modèle J-Curve (Jellison, 2010) avec un centrage sur les liens.

Etude 1 : Avant le changement, quelle posture avant le changement et quelle résistance ou envie de changer.

Etude 2 : Quelles capacités à passer outre la résistance et se lancer dans le chaos et le vivre.

Etude 3 : Quelles transformations s’activent dans le chaos pour arriver à une intégration (adoption).

Le mixage de méthodes suit une logique d’approfondissement. Nous interrogeons le terrain par une étude quantitative à large échelle pour l’étude 1. L’étude 2 expérimente une première itération sur le terrain en testant une procédure pas à pas (step-by-step) dont les résultats sont à l’origine d’une nouvelle itération plus radicale (all-in-one) et d’une nouvelle procédure proposée et analysée. L’étude 2 est de type qualitatif et l’étude 3 est mixte.

Une vision d’amélioration

D’après les travaux de Grol, Baker et Moss (2002), notre recherche se fonde sur au moins quatre des principes pour une approche de l’amélioration de qualité, soit 1) l’observation de processus de changement existants, 2) de recherche qualitative interrogeant les facteurs de succès et les barrières du changement 3) l’examen à la fois des stratégies et des influences des facteurs de changement 4) des échantillonnages et interprétations systémiques de l’expérience du changement. Lewis (2015) s’appuie sur la science de l’amélioration dans ce type de recherches faisant appel à des démarches et visant à la production de connaissance et le développement professionnel des enseignants (Martin et Clerc-Georgy, 2017), précisant alors un droit pour les praticiens d’utiliser les innovations disponibles avant qu’elles aient été validées ; à condition d’en maintenir une méthodologie précise, les sciences de l’amélioration représentent une voie intéressante de construction de connaissance dans un contexte local où le temps vient toujours à manquer, où les

innovateurs vus comme une menace et au mieux ignorés (Ibid.).

Axes de recherche

Pour une compréhension globale, nous donnons ici un court explicatif général de nos interrogations. Les méthodes et questions seront spécifiées dans chacune des études. En filigrane de ces questions se pose celle de l’évolution du dispositif et d’une

compréhension méthodologique capable d’être proposée à de futurs enseignants.

Étude 1 : Qui sont les enseignants désireux de modifier leur pratique ?

La première question qui nous occupe est de connaître au mieux les enseignants. La question est qui pourrait profiter de cette innovation. Ont-ils besoin de changer de pratique ? Ont-ils envie de la modifier ? Cette question s’adresse à l’ensemble du corps enseignant concerné. Nos recherches précédentes qui montraient une réussite ont été faites au secondaire I dans le canton de Vaud. Nous avons décidé de nous limiter à ce corpus. La recherche a logiquement été menée par un traitement quantitatif par questionnaire.

Étude 2 : Pour quoi s’engager ?

Les enseignants de la première étude qui ont fait état d’un intérêt pour le dispositif ont été invités à participer à la seconde. Nous leur avons proposé une démarche par étapes (Step-by-step) de type Agile. L’étude cherchait à mieux comprendre pour quoi (dans quel but) certains arrivent facilement s’engager et d’autres doivent se résigner. Elle se focalise sur le lien entre l’intention et l’action d’engagement. Le nombre de participants est plus limité.

Une étude type qualitative s’est logiquement imposée.

Étude 3 : Quelles sont les conditions permettant l’intégration ?

Nous avons essayé d’entrevoir des éléments qui ont servi à modifier la démarche en proposant une action plus radicale (All-in-one). Nous cherchons à la fois à entrer encore plus dans la globalité et dans la compréhension fine par quoi les enseignants passent pour intégrer le dispositif. Quelles conditions et comment vivent-ils l’engagement jusqu’à une certaine intégration ? Elle se focalise sur les liens de transformation. En interrogeant les enseignants, nous avons accès à leurs représentations. ; à leurs convictions plus qu’à des faits, ce qui nécessite l’usage d’observations et de données quantitatives en parallèle (recherche mixte).

Terrain d’enquête et éthique

Dans le canton de Vaud, l’accès au terrain est limité par la décision 102 du DFJC. Un comité de coordination de la recherche (CCR) a statué sur les implications de cette recherche pour les enseignants et leurs élèves. Il a donné son accord en juin 2016. Cette procédure montre la volonté de protéger les élèves. Il s’agit de s’assurer de l’éthique, des méthodes et de la portée de la recherche. Cet accès délimite en partie nos méthodes puisqu’il s’agit de pouvoir atteindre les enseignants concernés. À cette occasion nous avons découvert le

logiquement résulté des refus (6 %) et des non-réponses (51 %) de la part des

62 établissements contactés. Notre recherche s’est donc limitée à pouvoir contacter moins de la moitié (42 %) des enseignants par ce canal. Une estimation porte sur un premier contact pour l’étude 1 d’environ 1500 enseignants informés sur les quelques 4000 potentiellement visés. Si l’on ajoute que certaines directions ont géré la communication directement avec leurs enseignants en distribuant une information générale et connaissant la réalité du quotidien tendant à reporter ces tâches, nous comprenons le taux

relativement faible de pénétration de l’information dans le terrain.

Sur un plan éthique et plus personnel, nous nous sommes assuré du respect de la mission des enseignants et de l’éducation de leurs élèves. La première assurance consiste à leur proposer un dispositif de VMC testé et validé par des recherches antérieures. La seconde est la liberté fondamentale des enseignants dans l’introduction et la modification du dit dispositif ou de le retirer complètement. Cette liberté est une variable de notre recherche (dont nous discuterons dans un prochain chapitre), mais c’est aussi la garantie que les professionnels gardent toujours le contrôle dans leur classe et s’assurent de leur mission.

Nous avons clairement communiqué sur l’objectif de notre recherche quant à la

compréhension de leurs actions et qu’un retour en arrière ou un abandon serait tout aussi riche pour la recherche qu’une réussite. Nous voulions libérer le plus possible les

participants d’une certaine pression qu’ils auraient pu s’auto-infliger. La commission d’éthique de l’université de Genève a également donné son aval en octobre 2017 sur les méthodes, la gestion des données et les documents s’y rapportant. Les données des enseignants ainsi que les parents et les élèves selon leurs accords ont été inclus dans la recherche. Lors des premières prises de données, nous nous sommes présentés à la classe et nous avons présenté rapidement le but de notre présence en insistant sur le fait que les élèves étaient moins au centre de nos observations que les enseignants et qu’ils n’étaient pas jugés sur des critères de réussite, mais que nous étions simplement là en tant qu’observateurs. Nous avons insisté sur le fait de rester naturel et que même s’ils avaient donné leur accord en début de recherche, ils restaient libres et propriétaires de leur image. Ils gardaient alors le droit de refuser ou de demander l’effacement d’un moment qui leur paraissait gênant. Nous avons rencontré certaines réticences de la part de quelques parents ou de leurs enfants. L’actualité mettant régulièrement en avant des problèmes de fuites de données et autres détournements de celles-ci n’aide pas à opérer dans un climat serein pour les familles. Ainsi une des classes n’a pas pu faire l’objet de l’observation prévue dans l’étude 3.

Un point important dans notre contexte était d’éviter au maximum l’effet Hawthorne (Bk, Reddy et Pathak, 2019). Ce biais peut se produit lorsque le sujet d’une expérience adopte son comportement en fonction de ce qu’il sait être attendu. Nous avons pris les

dispositions les plus grandes dans ce sens. Il a été répété à chaque rencontre l’objectif de la recherche était une observation des comportements des enseignants sans aucun critère de réussite. Nous avons expliqué que la recherche s’enrichirait autant d’une application, d’un abandon ou d’une modification de ce qui était proposé. Nous avons également passé sous silence nos indicateurs dans nos observations (à part les questionnaires de fin de leçon), ce qui a même provoqué des interrogations auprès des enseignants sur nos

objectifs de recherche, s’inquiétant de savoir si nous avions de quoi l’alimenter.

Néanmoins, nous sommes conscients que cet effet ne peut être complètement annihilé.

« Tous ceux qui participent à l'expérience ont conscience de faire l'objet d'une attention spéciale et travaillent avec plus d'ardeur pour que l'expérience réussisse » (Huberman, 1973, p. 96). Par exemple, en provoquant des élans d’intérêt, simplement par le fait que c’était une recherche sérieuse, puisque menée dans le cadre d’un doctorat dans une grande université.

Pour nous assurer de l’anonymisation des données, nous avons remplacé les noms des participants par des noms fictifs d’origine anglo-saxonne non genrés1. L’usage du masculin dans le texte a été préféré puisque les noms réfèrent autant au masculin qu’au féminin.

Bien que les photos illustrant les situations de classe recèlent uniquement les enseignants et élèves qui ont accordé ce droit explicitement, nous avons préféré flouter ou appliquer un léger filtre afin de maintenir l’anonymat et l’uniformité du genre. Les participants à plusieurs études gardent leur nom d’emprunt, nous permettant de les suivre.