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Partie 1. Ouverture au changement de pratiques, de la prise de conscience au

4.3. L’Intention de changer

4.3.7. L’affordance et expérience utilisateur

Les éléments personnels d’attitude, de norme et de perception de contrôle nécessitent d’être mis en perspective. Nous nous proposons de préciser la notion d’affordance qui offre un éclairage contextuel pour comprendre les intentions. L’affordance est comprise comme principalement centrée sur la capacité intrinsèque d’un outil technologique à réagir en adéquations aux anticipations des acteurs. Les principes d’ergonomie dont une frange de la psychologie s’est emparée se concentrent sur les approches d’utilisabilité et l’affordance fonctionnelle. L’exemple d’Allaire (2006) — de « l’animal qui, lors d’une poursuite, utilise un buisson qu’il croise, par hasard, pour se cacher d’un prédateur, car il

“sait“ que le buisson est suffisamment volumineux pour le protéger » (p.18) — démontre bien que « la théorie des affordances s’inscrit dans une perspective écologique » (Ibid).

Cette posture épistémologique d’affordance fondée sur l’écologie (Simonian, 2016)

« conduit à penser humains, objets et environnement comme un tout » (Lameul, 2016, p.

47). Comme illustré (fig.42), la zone d’affordance serait constituée de la réunion des trois environnements phénoménal-physique-socioculturel.

Fig. 42La zone d’affordance dans l’interaction des trois environnements (Simonian, 2016, p. 31).

Comme le présente aussi Cole (2013), l’affordance dépend des caractéristiques physiques, des capacités et de l’expérience de l’utilisateur. Ce dernier étant pour lui un facteur

important, car « déterminant les limites des capacités individuelles » (p.2). L’outil en soi ne porte pas toutes les caractéristiques, mais seraient guidées par la perception des

caractéristiques des objets (Allaire, 2006). Dans sa conception d’étapes de l’action, Hartson (2003) met en évidence quatre types d’affordances. 1) L’affordance fonctionnelle permet de se représenter l’aptitude de l’objet à accomplir une tâche. 2) L’affordance sensorielle permet de comprendre cette aptitude, de faire sens. 3) L’affordance physique guide l’action. 4) L’affordance cognitive permet d’informer sur la tâche que l’objet réalise.

Ce modèle permet d’identifier finement les nœuds de difficultés dans l’usage du dispositif.

Notre travail n’a pas la prétention d’agir à ce niveau, mais nous cherchons résolument où les affordances influent sur l’intention d’usage et de savoir ce qui rend le dispositif acceptable.

Tricot (2003) propose d’évaluer le rapport entre l’homme et la machine dans le cadre d’un usage d’apprentissage, qu’il nomme environnement informatique pour l’apprentissage humain (EIAH) d’après le modèle de Nielsen (1994) qui implique trois types d’évaluation (fig.43).

1) L’utilité désigne la capacité de l’outil à atteindre les objectifs définis pour

l’apprentissage ; 2) L’usabilité désigne la facilité d’utilisation, ce que l’on pourrait approcher du concept d’ergonomie ; 3) L’acceptabilité désigne la valeur que les utilisateurs donnent à l’outil pour atteindre l’objectif. « Les représentations de l’utilité et de l’utilisabilité d’un EIAH pouvaient être les variables d’acceptabilité les plus prédictives de la décision » (p.397).

Fig. 43 Le modèle d’évaluation d’EIAH de Nielsen (1994) dans Tricot (2003). Avec deux types d’acceptabilité (sociale et pratique) et deux types d’utilité (utilité théorique et utilisabilité).

L’acceptation d’un nouvel outil technologique dans les usages est dépendant de multiples facettes évaluatives. S’il est capable de rendre effectivement les services promis (utilité), si son utilisation est pratiquement envisageable (utilisabilité) et s’il s’insère dans les pratiques actuelles (acceptabilité). Bien que le modèle soit initialement prévu dans le cadre d’une

technologie, nous pensons qu’il est tout à fait pertinent dans le cadre d’une pratique innovante qui interroge ces éléments.

D’après ces auteurs, les deux éléments (utilité et utilisabilité) détermineraient les intentions d’usage. C’est la base du modèle d'acceptation des technologies technology acceptance model (TAM) (Davis et Venkatesh, 1996) qui précise les facteurs d’acceptation de la technologie sur lequel nous reviendrons au chapitre suivant.Il met en lumière la

nécessité d’acceptation, mais il peut engendrer un effet pervers. En effet, une position instrumentaliste a vite fait de conclure qu’il suffit d’introduire une technologie simple à utiliser et qui améliore le quotidien pour favoriser les intentions d’usage, voir accompagne par elle-même ces nouveaux comportements. En somme, un système affordant suffirait à accompagner le changement de posture. Barrère (2013) pointe cette dérive d’un

changement induit par l’outil. « Les dispositifs sont alors censés « faire faire » en dehors de toute adhésion puisqu’il suffit et que leurs acteurs plient leurs conduites à des chemins techniquement ou organisationnellement tracés pour que l’action et la coordination aient lieu » (p.195).

Ce serait oublier que l’évaluation ne se fait pas à froid, ni n’est le résultat d’une balance entre le pour et le contre. D’après nous et d’après Tricot, « selon le modèle de Dillon et Morris (1996), il faut introduire la notion d’attitude de l’utilisateur (perception, affects) pour pouvoir comprendre les relations entre utilité, utilisabilité et acceptabilité » (p.398). Cet aspect hautement humain, subjectif et émotionnel est d’ailleurs ce qui rend si difficile la prédiction des comportements. Brangier (2010) partage cet avis en affirmant que

« l’acceptation des technologies – c’est-à-dire l’étude des conditions qui rendent une nouvelle technologie utilisable et acceptable ou non et qui amènent à l’intégrer à nos propres comportements – ne rend plus suffisamment compte des caractéristiques de la relation entre l’humain et la technologie » (p.130). Kirschner (2004) nous éclaire en proposant une intégration du concept d’affordance avec les notions d’acceptabilité, d’utilité et d’utilisabilité destiné spécifiquement au monde de l’éducation. Il différencie trois affordances dans un système complexe et écologique qui n’est pas uniquement instrumentale ; elle est éducationnelle et sociale. Le modèle d’affordance pédagogique, sociale et technologique Pedagogical, Social and Technological affordance (PST) (Wang et Woo, 2008) présente ces trois composantes clefs à prendre en compte dans l’usage de

nouvelles technologies dans l’enseignement (fig.44).

Fig. 44 Le modèle PST : Pedagogical, Social and Technological affordance (Wang et Woo, 2008)

Le dispositif est évalué à l’aune de ce qu’il peut apporter dans des objectifs multiples. 1) Educationnal affordances. Améliorer les situations d’enseignement-apprentissage, de soutenir

des pratiques. 2) Social affordances. Améliorer les comportements, de soutenir les relations sociales. Ce lien entre les l’activité et les objectifs visés sont de l’ordre de l’utilité qui s’ajoutent à l’affordance technologique de l’outil. 3) Technological affordances. Améliorer la simplicité d’usage.

Le système est aussi ouvert sur un environnement (fig.46) dont les relations nécessaires pour atteindre les objectifs ont été modélisées par Bétrancourt (2007). L’évaluation de cette relation entre l’activité, les objectifs et le système sont de l’ordre de l’utilisabilité. Soit de répondre à la question. L’utilisation de la proposition dans ces conditions peut-elle permettre d’atteindre les objectifs ? Mais le système est plus grand. Il doit aussi pouvoir être accepté dans sa relation avec l’environnement dans son entier.

Fig. 45 Le modèle relationnel entre l’individu et le système : entre utilisabilité - utilité - acceptabilité (Bétrancourt, 2007).

Comme les auteurs précités et suivants, nous pensons que le caractère émotionnel est important. Pour Jordan (1999) trois types de besoins hiérarchisés seraient en action. 1) La recherche de fonctionnalités ; 2) la recherche d’utilisabilité ; 3) la recherche de plaisir qui serait lui-même découpé en quatre catégories : plaisirs physiques (stimulation),

psychologiques (accomplissement), sociaux (appartenance, relations) et idéologiques (valeur, appartenance). La prise en compte du plaisir serait alors complémentaire à l’aspect ergonomique et déterminant dans l’investissement de l’utilisateur.

Norman (2004) met en avant l’aspect émotionnel parallèlement à l’aspect cognitif dans l’utilisabilité dont les traitements seraient de trois niveaux : viscéral (réflexe),

comportemental (procédures et habiletés) et réflexif (conceptualisation) pouvant influencer les réactions. « On peut les classer en fonction de leur attractivité (niveau viscéral), leurs fonctionnalité et utilisabilité (niveau comportemental) ou leur prestige (niveau réflexif). De la même manière, on pourra identifier le type d’utilisateur en fonction de ses réactions : les personnes viscérales vont être influencées par l’apparence, les

comportementales par les fonctions et l’utilisabilité, et les réflexives par le prestige, les valeurs que le produit véhicule et l’image qu’il renvoie » (Barcenilla et Bastien, 2009, p. 322). Il serait intéressant alors d’adapter le produit en fonction de l’utilisateur.

Des critiques à ce propos ont fait apparaître les influences du « contexte et l’expérience de l’individu sur les réactions affectives » (p.323) (fig.46). Les émotions seraient plus un

« élément antécédent à l’usage qu’un produit ». Le langage courant parle d’expérience utilisateur, se rapportant aux « caractéristiques non instrumentales […] apparence,

esthétique, plaisir, émotion, etc. » (p.319) même si les aspects fonctionnels n’en sont pas tout à fait détachés. Nous reprenons la définition de Hassenzahl et Tractinsky (2006) de l’expérience utilisateur comme « la conséquence de l’état interne de l’utilisateur

(prédispositions, attentes, besoins, motivations, humeur, etc.), des caractéristiques du système (par ex. complexité, objectif, utilisabilité, fonctionnalité, etc.) et du contexte (ou environnement) dans lequel ont lieu les interactions » [traduction] (p.95).

Fig. 46 Modèle des composantes de l’expérience utilisateur (Barcenilla et Bastien, 2009, p. 325) d’après (Mahlke, 2008)

Nous touchons ici à la complexité d’une construction personnelle du caractère d’un produit qui est modérée par la situation d’usage. « Dans cette perspective, le postulat d’Hassenzahl et Tractinsky est que les utilisateurs construisent leurs perceptions vis-à-vis des propriétés d’un produit en combinant les caractéristiques du produit avec leurs attentes personnelles et des aspects contextuels » (Février, 2011, p. 100). En se référant à ces auteurs, cette chercheuse identifie deux groupes de propriétés. Les propriétés (ou qualités) pragmatiques et les propriétés (ou qualités) hédoniques. La première s’intéresse à la tâche et l’ergonomie, la deuxième qui s’intéresse aux valeurs (stimulation,

identification et évocation).

Bien que les systèmes soient encore envisagés comme source d’influence des

comportements, « la recherche et la conception ne peuvent pas se limiter à la prise en compte de l’expérience en laissant de côté les questions liées à l’acceptation » (Février, 2011, p. 123). Nous nous plaçons résolument dans ce mouvement en interrogeant les préoccupations et les intentions des utilisateurs. Si les systèmes portent des principes de pensée, ils peuvent utilisés à d’autres fins qu’attendu ; comme les jeux vidéo ou la

navigation web à la maison. « Les systèmes hédoniques visent à fournir une valeur

autoréalisatrice à l'utilisateur, par opposition aux systèmes utilitaires, qui visent à fournir une valeur instrumentale à l'utilisateur » (Van der Heijden, 2004, p. 696). Krönung et Eckhardt (2011) ont montré que les perspectives d’usage d’une technologie (utilitaire ou divertissant) impliquaient une attitude spécifique (cognitive ou affective) impactant l’appropriation, qui gagnaient à être alignées. Une attitude tournée vers un processus cognitif utilisant une technologie d’usage hédoniste a tendance à diminuer la réponse comportementale. Nous voyons là une similitude avec le dispositif proposé qui tend à recréer un cadre agréable d’apprentissage pour lequel des enseignants qui y chercheraient uniquement une réponse utilitariste pourraient ne pas s’identifier.