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Partie 1. Ouverture au changement de pratiques, de la prise de conscience au

3.2. Validation mutuelle des compétences (VMC)

3.2.1. Les arbres de connaissances (ADC)

Les arbres de connaissances (ADC) sont la réponse de Michel Authier et Pierre Lévy (1999) pour cartographier la connaissance d’une communauté (fig.10). Ils ont vu le jour peu avant la mission unité de France qui se voulait promouvoir la formation ouverte à distance conduite par Michel Serres en 1992. « Le principe est de pouvoir représenter

graphiquement les connaissances d’une communauté. Une sorte de cartographie cognitive sous l’apparence d’un arbre » (Ruffieux, 2008).

Fig. 10 L’arbre des compétences dans Gingo

source : http://groupejarc.pagesperso-orange.fr/images/blason.gif

Il rend visible la richesse des savoirs et permet de les identifier, de se situer et d’organiser les échanges entre les apprenants. En somme, et c’est précisément ce qui fait son intérêt, tout tourne autour d’une reconnaissance communautaire par la promotion de la

collaboration entre individus. Une terminologie accompagne le système des ADC (fig.11).

Le blason représente les compétences des individus. Elles sont identifiées dans l’arbre par des brevets. Pour en acquérir de nouvelles, c’est l’expert qui a déposé le brevet qui doit la valider. L’ensemble des brevets forment l’arbre de la communauté.

Fig. 11 Schématisation du principe des arbres de connaissance (Lévy, 1996)

Le brevet est au centre des actions et organise les échanges (fig.12). Il décrit les objectifs à atteindre pour maîtriser une compétence. Un brevet (B) déposé par un expert (E) pour la communauté pourra être consulté par un apprenant (A). Celui-ci va alors solliciter un expert pour développer la compétence. S’ensuit un processus d’étayage (Bruner et Deleau,

2002) pour accompagner cet apprentissage. L’élève plus avancé prend le rôle de tuteur pour engager son pair dans la tâche, l’accompagner par des actions diminuant les difficultés rencontrées. Une fois que l’apprenant pense avoir compris, il va pouvoir

exécuter les tâches demandées par l’expert dans le brevet. Une fois validé, il devient à son tour expert, authentifié par le brevet ainsi acquis.

Fig. 12 Les interactions induites par les brevets (Ruffieux, 2012, p. 9)

Au cours des différentes recherches (Ruffieux, 2004, 2008, 2012), nous avons alors

librement adapté les principes des ADC afin qu’ils s’insèrent dans notre classe, les rendant compatibles à la forme scolaire et aux impératifs de l’institution. L’arbre était notamment déterminé par le curriculum. La reconnaissance des savoirs non institutionnels a été abandonnée, préférant profiter des arbres de connaissances pour mettre en actions les élèves dans leurs apprentissages disciplinaires. Nous avons également donné un nouveau sens au brevet. Dans sa conception originelle, une connaissance (ou un savoir, une habileté) était représentée par un brevet unique dont les indicateurs (l’épreuve) étaient fixes et uniques. Dans une approche vygotskienne, nous voulions promouvoir les

réflexions métacognitives autour de la zone proximale de développement (ZPD) (Vygotski, 1997).

Les élèves devenus experts étaient invités à créer leur propre brevet pour la compétence acquise (fig.13). Le brevet devient alors l’épreuve de validation plus que la représentation de la compétence.

Fig. 13 Exemple de brevet créé par un élève-expert pour valider la compétence des 4 opérations avec les fractions proposée à ses camarades.

L’intention de passer d’une logique d’instruction à celle d’une construction de

connaissances au sens de Bereiter (2005) se formalise par ces échanges qui construisent un savoir commun, une culture sociale de classe. Nous partageons les convictions

qu’Artigue (1994) qui disait que « le maître doit organiser le processus de mathématisation de validation par les enfants entre eux : mais il ne faut pas espérer de la méthode de la découverte » (p.133). L’évaluation par les pairs autour du brevet le permet.

Une autre inspiration, plus diffuse, vient de la pédagogie de la maîtrise (Allal et al., 1988).

Dans une procédure d’enseignement habituelle, la matière est morcelée en unités

capitalisables. C’est-à-dire que l’élève va pouvoir suivre à son rythme une suite de petites unités qui seront évaluées de manière formative. Il reçoit des feedbacks sur les objectifs (atteints / non atteints) et peut alors y remédier avec des moyens différenciés. À la fin de la séquence, une évaluation sommative est proposée qui devrait se solder sur une majorité importante de réussites. Enfin, si elle est moins centrale dans la méthode, la

métacognition est de fait un élément fondamental de la VMC en permettant aux différents acteurs de se positionner par rapport au savoir et à la communauté (fig.14). C’est parce que le système offre une représentation des acquis et donc des lacunes qu’elle promeut l’envie d’en obtenir d’autres. Les élèves se mettent alors à désirer apprendre, et d’activer les collaborations pour obtenir de nouvelles compétences.

Fig. 14 Parcours dans une communauté : la séquence sur les fractions avec cinq unités capitalisables. Egaliser → Changer de code → Représenter & Egaliser → Multiplier → 4 opérations avec les fractions.

Cette implication est d’autant plus importante, qu’il y a projection d’un nouveau rôle. Il ne s’agit pas uniquement d’apprendre pour savoir, mais de se préparer à enseigner. Cette posture va permettre à l’élève « d’améliorer son apprentissage, par la synthèse des points critiques à apprendre, l'identification des concepts clés, la recherche de relations entre les idées et l'organisation mentale de l'information » [traduction] (Nestojko et al., 2014). Leur recherche a montré que l’anticipation à devoir expliquer une notion (expect to teach) améliorait la compréhension en profondeur (fig.15). Nous nous rappelons ici l’erreur

relevée précédemment par les tenants de l’enseignement explicite qui met l’accent sur les détails au détriment de la compréhension générale et approfondie des points essentiels.

Fig. 15 Comparaison de restitution selon la posture de l’apprenant qui s’attend à enseigner ce qu’il apprend « expect to teach » et celui qui s’attend à être interrogé « expect to test » (Nestojko et al., 2014)

Le brevet prend le plus souvent une forme écrite spécifiquement préparée par l’expert qui doit se questionner sur la manière d’interroger la connaissance. Dans des cas très

occasionnels, il peut aussi être issu d’un échange oral autour d’une situation. L’expert réinvestit la connaissance par le contenu de l’épreuve qu’il anticipe, mais également par l’évaluation qu’il doit rendre. En effet, l’élève se retrouve confronté à différentes difficultés lors de ces interactions. La plus fréquente est de devoir trancher si l’épreuve est validée ou non. Dans une visée formative, il ne doit pas s’appuyer sur des seuils ou des échelles, mais s’assure de la compréhension du pair à partir d’un dialogue. Comme l’expert n’est que légèrement plus à l’aise (ZPD), son effort est conséquent et il n’est pas rare que les conflits sociocongitifs engendrent des ajustements par les experts. Rappelons à ce stade que ces brevets ont fonction de rendre visibles les élèves-experts dans la communauté, les valoriser et rassurer sur les compétences acquises. Dans un but de maîtrise (Darnon, Butera et Mugny, 2008), ils n’ont pas fonction de certification. Cela n’aurait pas non plus de sens par une conception qui doit rester à la portée des élèves-experts, volontairement limités à des procédures simples et mono-compétence de type compétence-outil. Un travail plus transversal sur des situations problèmes est alors engagé par d’autres tâches scolaires, externe au dispositif.

La posture spécifique de l’élève qui prend en charge l’évaluation nécessite de sa part un regard méta sur sa propre connaissance et l’invite à réfléchir pour la création de l’épreuve (brevet) par rapport à l’objectif à atteindre. Il en construit une compréhension plus

profonde qu’il va encore améliorer en verbalisant son savoir lorsqu’il devra expliquer à l’apprenant ce qu’il reste à apprendre. Ainsi l’arbre de connaissance devient un système gravitant autour des brevets parce que cet arbre « n’est pas un outil fondamental de

représentation de savoir, mais un outil de médiation sociale et sémiotique » (Ruffieux, 2012, p. 10) citant (Peraya et Meunier, 1999). L’évolution sur la méthode et les buts premiers a été accompagnée d’une modification du terme ADC, pour devenir la validation mutuelle des compétences (VMC).