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Stahel et l’économie de l’accès

Dans le document Thèse de doctorat Présentée (Page 60-64)

Méthodologie : revue de littérature et démarches qualitatives

1.1.3. Stahel et l’économie de l’accès

Pour fournir une voie de résolution à la problématique exposée dans Limits to growth

(Meadows et al., 1974a), le Club de Rome va formuler une proposition potentiellement en mesure de réduire l’impact environnemental du modèle industriel. Alors qu’au cours des Trente Glorieuses la croissance économique n’a cessé de s’intensifier, la raréfaction des ressources naturelles représente une limite à son augmentation continuelle. Comme nous l’avons vu, le premier rapport du Club de Rome démontre les limites d’une croissance

72 « La modélisation économique est explicitement un outil de démonstration publique et de concertation politique, outil qui permet de choisir le meilleur des mondes possibles. », (Muniesa et Callon, 2008, p. 13).

économique73 que les analystes pensaient « exponentielle ». Si la technologie y est vue comme décisive dans la perspective d’une production attentive à son impact environnemental (recyclage, contrôle de la pollution, etc.), elle doit faire l’objet d’une attention particulière quant à ses effets sur la société : « Pas d'opposition aveugle au progrès, mais une opposition au progrès aveugle »74. Un deuxième rapport du Club de Rome va préciser les alternatives à une croissance économique indexée sur la consommation de matières premières : The limits to certainty. Facing risks in the new service economy (Giarini et Stahel, 1989). Orio Giarini et Walter Stahel vont ainsi prolonger Limits to Growth en définissant une approche de l’économie a priori compatible avec les contraintes environnementales des sociétés post-industrielles, telles que dépeintes par le « rapport Meadows ». Ces auteurs ont pour point commun d’être chacun toujours à la tête de deux instituts genevois créés dans les années 1980. Giarini, économiste, dirige le Risk Institute depuis 1986. Symétriquement, Stahel, consultant en gestion d’entreprise, pilote le Product-life Institue75 dès 1982.

Aux sources de la démarche, les travaux d’Orio Giarini (1980), toujours à destination du Club de Rome, introduisent l’idée d’un découplage entre la croissance économique et la consommation de ressources. D’une part, la maturité de la révolution industrielle et l’hégémonie de la société de consommation sont à l’origine d’un gaspillage des ressources et d’une production croissante de déchets. D’autre part, la prise de conscience de la gravité de la crise écologique émerge à une période où le secteur des services prend de l’importance dans l’économie. Les travaux qui émaneront ensuite du Product-life Institut - depuis la seconde moitié des années 1980 à aujourd’hui - s’attacheront continuellement à souligner la nécessité de refondre la manière d’appréhender les richesses : les sociétés

73 En réponse au « rapport Meadows » du Club de Rome, Hirsch (1978) publie un ouvrage qui explique que la principale limite de la croissance économique est de nature sociale. Bien que l’épuisement des ressources naturelles contraigne le modèle industriel, son essoufflement s’explique par la dégradation des fruits de la croissance (Gadrey, 2013). La généralisation de la richesse matérielle dénature la satisfaction des acteurs économiques : la valeur d’un bien ou d’un service est alors fonction de leurs consommations par d’autres.

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« Not blind opposition to progress, but opposition to blind progress. », (Meadows et al., 1974a, p. 154).

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industrielles sont contraintes de trouver un mode de conciliation entre création de valeur économique et diminution de la consommation de matières premières.

Cette conciliation est fondée sur une substitution : l’accès à une offre de biens et services vient remplacer l’achat d’un produit (Giarini et Stahel, 1989). La définition76 de l’ « économie de fonctionnalité » (« functional economy » dans sa version originale) de Stahel (1995) met l’accent sur l’allongement espéré de la durée de vie des produits manufacturés. Alors que le concept d’ « économie de fonctionnalité » avait pour ambition de renouveler l’industrie en bénéficiant du dynamisme du secteur des services, il s’est heurté à des freins qui ont modifié sa vocation. A l’origine proche d’un modèle socio-économique de consommation à l’accès de biens durables intégrant des services (Giarini et Stahel, 1989) - où la durabilité et la production en « boucle fermée » ne sont qu’une composante - l’ « économie de fonctionnalité » semble se revendiquer depuis le tournant des années 2010 de l’« économie circulaire ».

Au-delà de l’allongement de la durée de vie des produits, selon Stahel, la non-cession de la propriété est fondamentale pour envisager une croissance soutenable. En effet, dans un modèle de production de masse, les coûts d’utilisation des produits, tels que l’énergie ou les dépenses liés à la maintenance et à l’entretien, sont à la charge du consommateur. Parallèlement, les coûts liés à la destruction des produits obsolètes ou défectueux, puis ceux liés au traitement des déchets ne reviennent pas non plus au producteur. On constate alors que l’industriel produit des externalités négatives puisqu’il génère des coûts économiques et environnementaux qu’il fait supporter à un tiers.

Plutôt que de chercher a posteriori à faire prendre en charge ces externalités par l’entreprise (par la fiscalité par exemple), dans une logique d’ « économie de

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« A functional economy, as defined in this paper, is one that optimizes the use (or function) of goods and services and thus the management of existing wealth (goods, knowledge, and nature). The economic objective of the functional economy is to create the highest possible use value for the longest possible time while consuming as few material resources and energy as possible. This functional economy is therefore considerably more sustainable, or dematerialized, than the present economy, which is focused on production as its principal means to create wealth and material flow. », (Stahel, 1995, p. 91).

fonctionnalité » l’exploitant assume la responsabilité de l’ensemble des impacts économiques et environnementaux du cycle de vie des produits puisqu’il en reste le propriétaire. Les prestataires de services intègrent dès le départ dans le coût de revient des produits, les coûts de fonctionnement, de maintenance, d’entretien et de destruction. Ce qui constitue une formidable incitation à limiter leur dépense énergétique, depuis la conception du produit jusqu’à sa réintroduction sur le marché. Cette compensation s’opère lorsque le prestataire de services peut considérer ses produits comme une forme de capital, et a tout intérêt à assurer une maintenance régulière afin de pérenniser l’investissement lui permettant de capter la valeur.

Par ailleurs, cette approche offre la possibilité à l’industrie de s’ouvrir au secteur tertiaire, dont le dynamisme s’est intensifié continuellement depuis la fin des Trente Glorieuses, comme l’illustre la densité de la production des économistes sur cette thématique. Ce

corpus permet de reconstituer une partie des débats qui se déploient simultanément aux différentes étapes de l’élaboration du modèle d’ « économie de fonctionnalité ». Victor Fuchs (1968) constate une forte croissance des services dans l’économie américaine qui suit la Seconde Guerre Mondiale : une enquête de terrain lui démontre que les emplois du secteur secondaire se déversent progressivement dans le secteur tertiaire. Il compare cette dynamique à la redistribution du poids des secteurs générée par la Révolution Industrielle.

L’hypothèse d’un déversement des emplois dans les services a fait l’objet d’autres travaux. Daniel Bell (1973) soutient que les achats se portent successivement sur les biens primaires, puis sur des biens manufacturés, et enfin sur les services. A pouvoir d’achat croissant, la « loi d’Engel » permet de conjecturer un développement constant des activités de service. Parallèlement, la théorie du déversement d’Alfred Sauvy (1981) s’appuie sur les gains de productivité générés par le progrès technique, notamment dans le secteur agricole, pour expliquer l’accroissement de la demande en services. Le mécanisme à l’origine du transfert des emplois du secteur secondaire vers le secteur tertiaire est identique : l’innovation permet de réduire le coût des activités industrielles et ainsi de permettre à la demande de s’orienter vers la consommation de services. Alors que Jay Gershuny (1978) s’appuie également sur la « loi d’Engel », il rejette l’hypothèse de

déplacement du pouvoir d’achat de secteur en secteur au profit d’un mouvement animé entre des familles de satisfactions, de besoins ou de fonctions (Gadrey, 2003). L’ « économie de fonctionnalité » de Giarini et Stahel est donc proposée dans un contexte où la thématique des services retient l’attention des chercheurs en sciences économiques et sociales.

1.1.4. Prolongement de l’approche et porosité avec l’

Dans le document Thèse de doctorat Présentée (Page 60-64)