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Cartographie des approches théoriques identifiées

Dans le document Thèse de doctorat Présentée (Page 129-134)

es approches d’« économie de (la) fonctionnalité », d’« économie collaborative » sont fréquemment associées du fait de leur logique commune de remise en question de la propriété individuelle (Robert, Binninger, et Ourahmoune, 2014). Pour autant, ces approches n’émergent pas des mêmes sphères d’activité. Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, « économie de fonctionnalité » et « économie de la fonctionnalité » sont des désignations qui ont été élaborées - et sont promues - en grande partie par des chercheurs français en sciences humaines et sociales (économistes, sociologues, philosophes, etc.), et ce depuis le début des années 2000.

La désignation « économie collaborative », quant à elle, émerge plus récemment, et en premier lieu de la sphère économique (cabinets de conseil, think tank, start up, etc.) au travers de plusieurs concepts anglo-saxons tels que la « collaborative consumption » (Botsman et Rogers, 2011). La typologie établie par Rachel Botsman - qui assurera sa promotion - et Roo Rogers est rapidement mobilisée pour distinguer les champs majeurs de ce que désigne l’ « économie collaborative ». Ce terme regroupe le financement collaboratif (crowdsourcing), la production collaborative (fab labs, logiciels open source, le coworking dans une certaine mesure, etc.) et la « consommation collaborative » (collaborative consumption). Cette catégorie occupe la majeure partie des débats publics liés à l’ « économie collaborative » : la désignation déferle dans les médias. Les articles de

périodiques se multiplient, des documentaires et des débats télévisés sont diffusés massivement.

L’évolution de l’intérêt pour les recherches qui mentionnent ces termes, sur le moteur de recherche Google, donne une idée de la popularité de chacun d’entre eux dans le temps. La désignation « collaborative consumption », et sa traduction française « consommation collaborative », se détachent fortement de la tendance centrale à partir de 2011, année de parution de l’ouvrage cité précédemment.

Figure 14: évolution de l’intérêt pour les désignations dans le monde Google trends, capture d’écran [consulté le 07/05/2016].

Nous avons utilisé les traductions qui font consensus : « collaborative economy » et « collaborative consumption ». Les tendances correspondent au nombre de requêtes effectuées sur une désignation par rapport au nombre total de recherches effectuées sur Google, en base 100.

Plus qu’un effet de mode, ces différentes terminologies renvoient à des modes de production et de consommation qui transforment soudainement le tissu socio-économique. La montée en puissance des échanges entre particuliers fait émerger une nouvelle forme de concurrence, parfois qualifiée de déloyale compte tenu de la diminution des coûts que suppose ce processus de désintermédiation, qui déstabilise les acteurs historiques de plusieurs secteurs d’activité (logement, mobilités, etc.). Alors que lors de son émergence la désignation générique d’« économie collaborative » renvoyait à un imaginaire quasi

onirique, où régnait l’entraide et la sympathie, les effets de son déploiement ont contribué à alimenter les doutes sur ses vertus socio-économiques.

Ce flou est entretenu par la diversité des pratiques rangées derrière la bannière commune d’ « économie collaborative ». Elle désigne tantôt un « nouveau modèle de création de valeur », tantôt un « contre-modèle coopératif et communautaire » (Auray et Kessous, 2015, p. 15). D’un côté, l’ « économie collaborative » incarne une adaptation du capitalisme aux capacités productives inédites fournies par les technologies du numérique. D’un autre côté, les promoteurs de pratiques rangées derrière la désignation « peer-to-peer » (Bauwens, Iacomella et Mendoza, 2012 ; Bauwens, 2015) s’efforcent de faire tendre cette partie de l’économie numérique vers une dynamique qui soit davantage sociale et solidaire.

Notre étude des modèles socio-économiques centrés sur l’usage, découplé de la propriété individuelle du bien qui le supporte, nous permet de distinguer trois types d’approches.

D’une part, dans la partie précédente, nous avons distingué deux courants théoriques rangés derrière la terminologie « économie de (la) fonctionnalité » : l’ « économie de fonctionnalité » (Bourg et al., 2008) et l’ « économie de la fonctionnalité » (Gaglio, Lauriol et Du Tertre, 2011). Le courant de l’ « économie de la fonctionnalité » renvoie lui-même à deux stratégies de développement économique des territoires. Le « stade 1 » se confond avec la logique de consommation « à l’usage » propre à l’ « économie de fonctionnalité ». En revanche, le « stade 2 » est focalisé sur la coopération entre entreprises locales qui n’implique pas nécessairement une migration vers un mode de consommation détaché de la propriété individuelle : les compétences spécifiques d’acteurs pourtant hétérogènes, une fois associées, peuvent répondre à des besoins transsectoriels tels que l’éducation, la santé, la mobilité, etc. L’accroissement escompté des échanges vise une revitalisation sociale des territoires par la création d’emplois de services de proximité. Si la territorialisation de l’activité économique est au centre du cadre conceptuel de l’ « économie de la fonctionnalité », l’absence de cas d’étude en rend les mécanismes peu tangibles. En quelques années, ce second degré d’ « économie de la fonctionnalité » est

devenu le fer de lance de cette approche, se distinguant ainsi des modèles socio-économiques fondés sur un usage des biens qui ne suppose pas leur acquisition.

Figure 15: typologie des formes d’ « économie de la fonctionnalité »

D’après la distinction présentée sur le site dédiée à cette approche [consulté le 07/05/2016] :

http://www.club-economie-fonctionnalite.fr/accueil/d%C3%A9finition-de-l-%C3%A9conomie-de-la-fonctionnalit%C3%A9/

D’autre part, la désignation « économie collaborative » recouvre deux formes d’échange entre particuliers, qui diffèrent largement dans la nature du dispositif reliant ses parties prenantes : dans un cas, leur gestion est assurée par une communauté d’usagers, dans l’autre, leur encadrement revient à une entreprise privée du secteur dynamique de l’économie numérique. Les réseaux d’acteurs qui défendent ces différentes approches mobilisent plusieurs principes qui divergent, et qui témoignent de deux manières de concevoir les relations qui associent les sphères économique, sociale et environnementale. Plus qu’une terminologie, chaque désignation incarne - sous la forme d’un système de représentations - un ensemble de prises de position jugées en phase avec les enjeux auxquels sont confrontées les sociétés post-industrielles.

Figure 16: typologie des modèles socio-économiques centrés sur l’usage

Dans une première partie, nous montrerons que les cadres conceptuels respectivement reliés à ces trois modèles socio-économiques, tous centrés sur l’usage des biens, divergent largement dans leurs manières d’appréhender l’activité économique. La grande diversité des pratiques associées aux logiques d’ « économie de (la) fonctionnalité », d’ « économie du peer-to-peer » et d’ « économie collaborative » intermédiée par une entreprise, permet de dresser un panorama de plusieurs formes d’économie des services. Ces approches se distinguent clairement dans leurs manières d’articuler la croissance économique avec le développement du territoire, de concevoir le travail ou encore de mobiliser les innovations technologiques. Dans une deuxième partie, nous nous attacherons à restituer leurs visions de ce à quoi peut correspondre une activité économique soutenable du point de vue de l’environnement. Dans une troisième partie, nous nous focaliserons sur les spécificités des sociabilités - parfois qualifiées d’éphémères - qui soutiennent les différentes formes d’échange reliées à la désignation « économie collaborative ».

Méthodologie : revue de littérature et observations

Dans le document Thèse de doctorat Présentée (Page 129-134)