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Évolution des réseaux : configurations pré et post Grenelle

Dans le document Thèse de doctorat Présentée (Page 110-119)

Méthodologie : analyse de réseaux de recherche

2.1. Analyse dynamique de réseaux de chercheurs

2.2.2. Évolution des réseaux : configurations pré et post Grenelle

Chacun des réseaux d’auteurs cités dans les publications des deux ensembles « économie de la fonctionnalité » et « économie de fonctionnalité » est segmenté en deux sous-réseaux : pré (deux représentations ci-dessous) et post-Grenelle (deux représentations ci-après). Chaque nœud représente un auteur. La taille des nœuds est pondérée en fonction du nombre de citations recueillies par les publications - présentes dans les résultats de nos deux requêtes - de chaque contributeur. Les liens associent des auteurs qui ont co-écrit

certaines de ces publications125. Ainsi, un auteur non relié à une partie du réseau a publié l’ensemble de ses travaux sans collaborateur.

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Ainsi, un papier écrit à quatre mains donne lieu à un lien entre deux nœuds. Dans le cas d’une co-publication qui engage plus de deux contributeurs, ils sont tous reliés deux à deux.

La comparaison des sous-réseaux composés du nœud « Bourg » et de ses voisins nous permet d’observer l’impact des travaux menés au Grenelle Environnement sur les réseaux de contributeurs (en haut à droite des deux figures ci-dessus). Alors que le rapport issu du Chantier 31 du Grenelle Environnement (Bourg, Foltz, Nicklaus et Cros, 2008) est invoqué par les auteurs des deux communautés identifiées, il semble beaucoup plus présent dans les bibliographies de ceux qui utilisent la terminologie employée au Grenelle : « économie de fonctionnalité ».

Par ailleurs, et dans la même période, les acteurs du « club » alors encore émergeant de « l’économie de la fonctionnalité et du développement durable », présidé par Christian Du Tertre, produisent quelques travaux isolés (en bas à droite des deux figures ci-dessus) qui semblent avoir peu d’influence sur les deux ensembles de production. Ces tendances vont-elles s’affirmer à la suite du Grenelle Environnement ? Comment va évoluer l’influence de Dominique Bourg et de Christian Du Tertre dans les réseaux de contributeurs ? Les caractéristiques des publications de ces deux chercheurs peuvent-elles nous permettre d’identifier deux types de stratégies pour promouvoir un modèle socio-économique en question ?

Tout d’abord, la comparaison des deux périodes démontre que le volume de publications s’est globalement intensifié après le Grenelle Environnement, et ce en mobilisant davantage de contributeurs. Il semble ainsi que cet évènement ait contribué à multiplier les projets de recherche sur cette thématique, comme nous l’explique un chercheur du laboratoire G-SCOP, INP de Grenoble :

Aujourd'hui, en tout cas, c'est quand même tiré, un peu poussé par les universités quand même, toutes ces notions-là. Les industriels, ils y viennent petit à petit parce qu'il y a des trucs de l'ADEME ou l'ANR ou l'Europe qui poussent là-dedans. A. L.

Alors que les travaux de Dominique Bourg restent incontournables dans les deux ensembles, nous remarquons que plusieurs de ses co-publications (Bourg et Papaux, 2010 ; Bourg et al. 2015) sont particulièrement mobilisées par les auteurs qui emploient la terminologie « économie de la fonctionnalité ». Il semble avoir multiplié ses liens avec d’autres auteurs, ce qui contribue à étendre le réseau des contributeurs cités. En revanche, bien que notre étude de terrain nous fasse conclure à une forte influence de Christian Du Tertre - et du cabinet ATEMIS - sur le sens conféré à la terminologie « économie de la

fonctionnalité », nous sommes étonnés de ne pas voir son autorité augmenter.

Nous observons en revanche une triade se former autour de lui, unie par des liens dont le poids est élevé. Elle correspond à la publication d’un ouvrage collectif qui émane du Club de l’Économie de la Fonctionnalité et du Développement Durable. Par conséquent, et si l’on en croit nos résultats, Dominique Bourg contribue à étendre le réseau d’auteurs qui influencent académiquement les productions, alors que Christian Du Tertre semble rassembler des acteurs déjà actifs sur la thématique. Si l’absence de liens entre Dominique Bourg et Christian Du Tertre, et entre leurs co-auteurs respectifs, conforte les conclusions du premier chapitre de ce manuscrit, quant aux divergences théoriques des approches de ces derniers, elle semble faire écho à d’autres types d’explications. En effet, d’après un

verbatim, les deux chercheurs semblent en désaccord dès les balbutiements des travaux de Christian Du Tertre :

C’est ce projet de 2005, […] qui était donc avec Moati, Hubault, Christian [Du Tertre] et moi-même, quoi. Parce qu’il avait une ancienne étudiante à GDF. […] Qui lui avait justement demandé de travailler cette notion de fonctionnalité que Christian ne connaissait pas. Il l’a vraiment découverte à travers cette commande, en lisant Dominique Bourg, puis très vite, il l’a réinterprétée à sa sauce. M. Z.

[…] j’ai croisé Christian et j’ai contribué à faire le lien entre, tu vois, le courant historique, on peut dire, porté par Dominique [Bourg] dont je connaissais les travaux et tout ça et Christian [Du Tertre] qui se mettait sur la question parce que GDF les interpellait. […] Et qui sentait bien qu’il y avait des liens avec l’économie des services dans cette histoire. […] et moi, j’avais organisé une rencontre entre Dominique Bourg et Christian Du Tertre et ça avait pas accroché, quoi. M. Z.

Aborder le déroulement du Grenelle Environnement avec plusieurs chercheurs qui travaillent, ou ont travaillé, sur le concept d’ « économie de fonctionnalité », nous a permis de revenir sur les tensions qui clivent le réseau de contributeurs autour de deux pôles. Ainsi, alors que Christian Du Tertre nous livre sa vision du Grenelle Environnement, il en vient rapidement à faire le lien avec la nature - et l’inertie - des partis politiques. Au-delà de ruptures théoriques, c’est sans doute dans les positions politiques126 des deux chercheurs que peuvent s’expliquer leurs divergences.

Donc, il y a un problème de révolution intellectuelle chez les écologistes, […]. Il y a un problème de révolution intellectuelle chez les socialistes, et on n’est pas prêt. Moi je pense que la droite n’a aucune pensée sur les questions écologiques, ni sur les questions de l’inégalité sociale, donc, le développement durable, c’est un mot creux chez eux, […]. C. D. T.

Christian Du Tertre va constituer un premier groupe de réflexion où quatre chercheurs vont pouvoir partager leurs connaissances et poursuivre leurs recherches. Parmi eux, un seul, co-fondateur d’ATEMIS, participe toujours aux réunions du Club de l’Économie de la

Fonctionnalité et du Développement Durable.

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A ce propos, remarquons notamment que Dominique Bourg a co-dirigé un ouvrage collectif dont le premier chapitre est signé par Nicolas Hulot (Hulot, 2010). Par ailleurs, notons que Jacques Chirac a préfacé un de ses ouvrages (Bourg, 2003).

Les premiers chercheurs que j’ai regroupés, […] il y avait François Hubault qui est un ergonome, parce que j’ai toujours considéré que ça posait des problèmes de travail ce modèle économique et c’est un des fondateurs d’ATEMIS, Philippe Moati, parce qu’il se pose des questions sur les modes de consommation, […] et donc j’avais demandé à un autre chercheur, qui est maintenant professeur au CNAM, Manuel Zacklad, de se joindre à nous. Donc, on a formé une équipe de quatre. C. D. T.

Au moment où Christian Du Tertre est sollicité par une entreprise pour réfléchir à une offre

de « solution »127, Dominique Bourg poursuit ses travaux sur le même objet d’étude. Un chercheur membre de l’équipe de Christian Du Tertre va tenter de faire converger leurs efforts, en vain128. D’après ce même chercheur, Dominique Bourg et Christian Du Tertre ont des cadres théoriques incompatibles. En effet, l’analyse de l’économiste hétérodoxe se focalise sur le rôle des institutions alors que celle du philosophe environnementaliste insiste sur le potentiel de la technologie. Ainsi, l’approche de Christian Du Tertre déroute les chercheurs qui se réfèrent aux travaux de Walter Stahel, tant la distinction entre les terminologies « économie de fonctionnalité » et « économie de la fonctionnalité » passe inaperçue.

Non, alors ça, c'est un point de friction avec Christian par contre. On n'est pas d'accord [sur la

définition de l’économie de fonctionnalité]. […] Vous avez senti129 comment ça frittait entre nous. […] On fritte. Tous les deux, on fritte. P. M.

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Concept mobilisé par Christian Du Tertre pour désigner une offre intégrant biens et services, dans une perspective de reterritorialisation des activités.

128 Notons que la personnalité des deux acteurs n’a - semble-t-il - pas facilité la symbiose : « Donc, en tout cas, ça n’avait pas fonctionné. Je pense que c’est deux très fortes personnalités, qui aiment bien être un peu leaders. », M. Z.

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L’interviewé fait ici référence à l’intervention de Christian Du Tertre au Colloque « Consommations émergentes » organisé par l’ObSoCo, le 21 janvier 2014. Il y a fortement critiqué la possibilité d’un capitalisme plus vertueux : « On a du mal à se parler. Ça monte très vite, le ton entre nous. (rire) Donc, voilà fondamentalement, la différence, elle est là. […] Et pour Christian [Du Tertre], il y a une dimension un peu politique dans cette économie. Il voit sans le dire aussi crûment une sorte d’alternative au capitalisme. Ça s’est vu pendant le colloque. », P. M.

Progressivement ruptures conceptuelles et tensions organisationnelles vont reconfigurer, puis stabiliser, un réseau d’acteurs autour des activités du cabinet ATEMIS. Bien que la thématique de l’économie des services, chère à Christian Du Tertre, ait attiré plusieurs contributeurs, l’absence de prise en compte de la technologie dans l’analyse, ainsi qu’un faible intérêt pour les enjeux environnementaux du modèle socio-économique pionnier (Giarini et Stahel, 1989), vont inciter plusieurs chercheurs à quitter - ou à ne pas rejoindre le groupe de travail.

Donc, l’économie de fonctionnalité, moi, ça a été très lié à ma découverte de l’économie des services, que j’ai faite vraiment grâce à Christian. J’ai une très grosse dette, tu vois, vis-à-vis de lui d’un point de vue formation sur ce domaine. M. Z.

Au lieu de vendre des produits, ils vendaient des solutions et pour vendre une solution, il fallait agréger des biens et des services complémentaires dans l’usage. Donc moi, je suis parti de là. D’ailleurs, j’ai fait un bouquin sur les questions qui s’appelle L’économie des bouquets [2008]. Voilà ! Et quand on est là, on est très près de l’économie de la fonctionnalité. P. M.

Alors que Dominique Bourg considère la technologie comme constitutive de la société, Christian Du Tertre la critique fortement, comme nous avons eu l’occasion de le constater dans le premier chapitre de ce manuscrit130. Un de nos interviewés précise ainsi que le potentiel des TIC (technologies de l’information et de la télécommunication) n’est par exemple pas pris en compte dans l’analyse de l’ouvrage collectif émanant du Club de l’Économie de la Fonctionnalité et du Développement Durable (Gaglio, Lauriol et Du Tertre, 2011).

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Ajoutons cet extrait de verbatim qui précise l’intérêt marginal de Christian Du Tertre pour les questions d’innovation technologique : « Après le rapport que j’avais fait [pour le Conseil Régional Du Nord-Pas de Calais], j’ai proposé de réorganiser la direction de l’environnement. Parce que si tu veux, à la direction de l’environnement, tu n’avais pas de contacts avec les entreprises, t’avais une partie des écolos qui étaient sur des petites questions technologiques, sur l’innovation technologique, mais qui ne se posaient pas les questions économiques. », C. D. T.

[…] je suis toujours très marqué par ce qu’il dit [Christian Du Tertre], mais je pense que c’est pas assez étayé, notamment par les éléments d’innovation […] C’est un peu la limite de Christian. […] La technologie doit être un acteur majeur dans cette économie servicielle puisque globalement, on a basculé dans une économie fortement drivée par les usages numériques et digitaux. M. Z.

Non, c’est eux, ils se sont dits, on ne peut pas bosser ensemble. Parce que ouais, non, ça a pas fonctionné. Ils sont vraiment sur des postures différentes. En particulier, le reproche que fait Christian à Dominique, c’est le côté trop croyant à des solutions techno. Il lui fait deux reproches. Il lui faisait un premier reproche qui disait, il surfe sur l’angoisse écologique. M. Z.

Christian Du Tertre et Dominique Bourg n’ont pas les mêmes attentes vis-à-vis du concept d’« économie de (la) fonctionnalité ». Les enjeux environnementaux131 de la consommation ne sont pas abordés de front par le Club de l’Économie de la Fonctionnalité et du Développement Durable, ce qui est notamment à la source du désintérêt d’autres chercheurs, pourtant actifs sur des thématiques connexes, pour ce groupe de pensée. Enfin, l’omniprésence de la personne morale ATEMIS dans les travaux de cette communauté de pensée semble avoir repoussé une partie des chercheurs en-dehors de ses réseaux de recherche.

Nous, l'économie de fonctionnalité, c’est un peu comme Walter Stahel l'avait initié, c'est-à-dire par rapport aux enjeux environnementaux, en particulier. Et il y a des choses qui ressemblent à l'économie de fonctionnalité, mais qui n'ont aucun impact politique sur l'environnement. Parce que moi, je m’intéresse pas à l’économie de fonctionnalité en tant que telle, moi ce qui m’intéresse, c’est en quoi ça peut être intéressant par rapport aux enjeux du développement durable, un peu comme Dominique Bourg. […]. Moi ce qui m'intéresse, c'est le développement durable, ce qui l'intéresse lui, c'est l'économie de services, ce qui est très bien, mais… N. B.

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Rappelons l’extrait de verbatim cité dans le premier chapitre de ce manuscrit : « Il est rentré là-dedans en, je dirais, en désécologisant, en ne voyant que tout ce que ça apportait dans la manière de repenser la relation contractuelle, etc., ce qui était pas du tout idiot, et pas mal. […] Donc moi, vraiment, j'ai abordé ça dans le cadre des contraintes environnementales et dans le cadre des stratégies de dématérialisation. […] Pour moi, c’est un aspect fondamental [la non-cession de la propriété], parce que justement, j'ai toujours la réflexion de l'environnementaliste […]. », D. B.

Et ensuite, très vite, il a monté sa boîte. […] Donc en fait, lui du coup m’a réembarqué de manière sympa dans ce côté un peu boîte, autour de cette prestation GDF. […] Ouais, c’était ATEMIS. […] C’est ça. Et en fait, autour d’ATEMIS que s’est construit vraiment… enfin autour de cette prestation sur GDF… que s’est construit tout son intérêt… Simplement, après on a un peu divergé parce que c’était ATEMIS qui contrôlait tout. Et moi, je voyais un club plus réparti entre mes thèmes. […] Donc voilà, donc le fait qu’ATEMIS contrôle tout, c’est compliqué comme configuration. J’avais pas envie de devenir consultant d’ATEMIS. M. Z.

2.2.3. Le développement du cabinet ATEMIS

Dans le document Thèse de doctorat Présentée (Page 110-119)