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La critique de l’ « obsolescence programmée »

Dans le document Thèse de doctorat Présentée (Page 147-150)

économiques centrés sur l’usage

3.2. Soutenabilité environnementale

3.2.3. La critique de l’ « obsolescence programmée »

L’ « obsolescence programmée » désigne un procédé qui vise à accroître l’addiction à la consommation. L’accélération du rythme de renouvellement des biens enferme le consommateur dans le système économique qui le génère (Latouche, 2013). L’effet de l’obsolescence programmée sur l’environnement est de démultiplier les nuisances qui s’expriment tout au long du cycle de vie des biens de consommation : leurs phases de production, d’usage et de destruction sont consommatrices de ressources naturelles, génèrent des émissions de gaz à effet de serre (GES) et renforcent les préoccupations relatives à l’accumulation des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE). L’accroissement de la durée de vie des biens, pierre angulaire de l’approche de l’ « économie de (la) fonctionnalité » pour prendre le contre-pied de l’obsolescence programmée, présente toutefois des limites dans sa capacité à induire une consommation soutenable. Premièrement, la « dématérialisation » de la consommation (pour reprendre le

terme employé par Dominique Bourg et Walter Stahel152) n’est que partielle, y compris

152

« A dematerialization of the economy of industrialized countries can only be achieved by a change in course, from an industrial economy where success is measured in throughput and its exchange value, to a service economy where success is measured in wealth (stock) and its usage value. » (Stahel, 1997, p. 1309).

quand elle est relative à la consommation de contenus numériques (Mills, 2013). Ainsi, comme le pense Jean Gadrey (2008), une dynamique de « dématérialisation » - qui réside pour Walter Stahel dans la conversion d’une consommation de biens en consommation de services - n’est pas nécessairement synonyme d’absence de destruction de ressources ou d’émission de gaz à effet de serre.. En quête de preuves des vertus environnementales de l’approche d’ « économie de (la) fonctionnalité », plusieurs travaux en sciences de gestion soulignent la nécessité de recourir à des études de cas, qui, comme nous l’avons déjà mentionné, sont encore rares. Par ailleurs, les limites des dispositifs d’évaluation de l’impact écologique de la consommation font l’objet d’une vaste littérature qui émane à la fois de laboratoires d’ingénierie (Balin et al., 2012 ; Lelah, Bauer et Brissaud, 2015) et de gestion (Bellini et Janin, 2011) :

L’idée selon laquelle nous assistons à une “dématérialisation de l’économie” qui aurait notamment à voir avec l’expansion des services est une contrevérité. Un service est peut-être, comme on l’a écrit sur un mode plaisant, “un produit qui ne vous fait aucun mal quand il vous tombe sur les pieds”, mais sa production et sa consommation font parfois autant de mal à la planète que celles des autres produits. (Gadrey, 2008, p. 5).

Hélas, les exemples actuels et les cas concrets de vente fonctionnelle manquent souvent de preuves suffisantes quant à leur supériorité environnementale en comparaison avec les modèles traditionnels d’affaires. Boughnim et Yannou, 2006, p. 372).

Dans le cadre d’un échange entre particuliers, l’usage est relié à un bien de consommation traditionnel (cas des véhicules de particuliers qui composent la flotte rendue accessible par la plate-forme Blablacar). Dans les deux cas pourtant, les vertus environnementales de la mise à distance de la propriété individuelle sont contraintes par des pratiques sociales désignées par le terme « effet rebond » : le consommateur, équipé de technologies peu énergivores, qui pèsent moins sur son budget, a tendance à les surutiliser (Khazzoom, 1980). Bien que plusieurs études de cas relativisent sa part dans l’empreinte environnementale totale de la consommation (Berkhout, Muskens et Velthuijsen, 2000), ce phénomène représente une limite aux vertus environnementales des modèles socio-économiques centrés sur l’usage des biens.

L’hypothèse de consommation soutenable, véhiculée par les approches étudiées, participe à une puissante justification écologique d’une nouvelle forme de capitalisme. Mettant à profit le cadre conceptuel des économies de la grandeur (Boltanski et Thévenot, 1991), Claudette Lafaye et Laurent Thévenot (1993) décrivent le processus d’instrumentalisation dont la relation à l’environnement fait l’objet :

De plus en plus fréquemment, le recours au qualificatif “vert” est utilisé pour signifier la grandeur. [...] Est écologique ou vert ce qui est propre, biodégradable ou encore recyclable et s’oppose à ce qui pollue. Le fait de polluer est associé à l’état de petit. […] Certains êtres misérables comme les déchets peuvent changer d’état et accéder à la grandeur dès lors qu’ils sont recyclables. (Lafaye et Thévenot, 1993, pp. 512-513).

Ils remarquent que la spécificité de la question environnementale est d’échapper à la mesure, ce qui contribue à voiler le « mode d’évaluation du caractère écologique » des choses et des procédés (Ibid., p. 513). D’une part, l’accord suscité par l’argument environnemental contribue à légitimer une transformation institutionnelle. D’autre part, le mode d’évaluation qui s’impose au consommateur par le biais des institutions de la consommation permet de le conditionner. Les habitudes sont revisitées tout en maintenant les fondements de la société de consommation. Les comportements se transforment sous l’autorité du « développement durable », ce qui mène Yannick Rumpala à parler d’instrumentalisation du consommateur sous couvert de pratiques jugées écologiquement vertueuses :

L’idée de durabilité du développement est présentée et utilisée aujourd’hui par de nombreux groupes, organisations et institutions comme une nouvelle norme de justification des actions dans des champs variés comme le développement technologique et économique, l’expansion démographique, l’aménagement du territoire, l’utilisation et l’exploitation des ressources naturelles et la protection de l’environnement biophysique. (Godard (2004, p. 316).

Comme produit institutionnel, la problématique de la “consommation durable” tend en effet à engendrer une sorte de mélange entre des enjeux socio-économiques et des enjeux moraux. […] En tout cas, il n’est pas attendu de la population qu’elle sorte du vaste réseau de la “société de consommation”, mais qu’elle change la manière de s’y insérer, en adaptant pour cela ses pratiques quotidiennes. (Rumpala, 2009, pp. 993-994).

3.3. « Économie collaborative » et

resocialisation de l’économie

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