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3. Conceptions et pratiques déclarées de professeurs d‟économie-gestion de BTS en Guadeloupe,

3.3. Analyse transversale des résultats

3.3.3. Stages et insertion professionnelle des étudiants

Nous avons choisi d‟analyser ces résultats de manière séparée pour chaque BTS, des

différences étant apparues dans les réponses des professeurs en fonction du BTS dans lequel

ils exercent. Pour chaque BTS nous analysons d‟abord les réponses relatives aux stages puis

celles relatives à l‟insertion professionnelle.

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3.3.3.1. Le BTS assistant de manager

L‟élément dominant pour le BTS assistant de manager, relevé par les professeurs, concerne la

situation économique de la Guadeloupe qui impacte à la fois l‟organisation des stages et

l‟insertion professionnelle des étudiants.

Les stages

Comme nous l‟avons vu au chapitre 1, la Guadeloupe se caractérise par une structure

économique marquée par une grande majorité de très petites entreprises. D‟après l‟IEDOM

(2016), 81% des établissements recensés en 2014 n‟ont aucun salarié et 2,7% en ont plus de

neuf (1.2.2.3). Cette situation peut provoquer une limitation dans le nombre de terrains de

stages disponibles, mais également ne pas permettre de trouver des stages qui offrent toutes

les richesses qu‟il faut à l‟étudiant. Les missions de l‟assistant de manager, telles que décrites

dans le référentiel sont inscrites dans un contexte international (1.1.2.1). Compte tenu de la

situation du terrain, l‟étudiant n‟a pas nécessairement cette opportunité en Guadeloupe,

d‟autant plus que les relations entre les entreprises de Guadeloupe et celles des autres îles de

la Caraïbe ne sont pas encore totalement développées :

« Nous exigeons de nos élèves qu‟ils puissent être dans un contexte international, qu‟ils puissent réaliser des activités dans un contexte international. Le contexte international nous l‟avons très peu dans les entreprises en Guadeloupe puisque très peu d‟entreprises ont véritablement un contact avec l‟international hein. Nous avons un bassin d‟entreprises vraiment de petites PME/PMI ». (L-PB2)

C‟est notamment le cas pour la pratique d‟une langue vivante étrangère en contexte

professionnel, pratique pour laquelle les stages locaux ne répondent pas aux attentes du

référentiel : « nous exigeons à ce moment-là qu‟ils puissent partir à l‟étranger. Ce qui n‟est

pas obligatoire et ce qui n‟est pas euh… je dirai cité dans le référentiel comme une

obligation » (L-PB2). Ainsi, bien que les instructions officielles prévoient explicitement

« d‟encourager les étudiants à réaliser leur stage à l‟étranger » (DGESIP, 2008, p.108), les

professeurs soucieux du développement des compétences de leurs étudiants, exigent des

étudiants qu‟ils effectuent un stage à l‟étranger.

L’insertion professionnelle

Selon les professeurs enquêtés, les difficultés d‟insertion sont principalement dues à la

situation socio-économique locale : « je trouve que les difficultés d‟insertion des jeunes ici

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sont liées vraiment à l‟étroitesse du marché de l‟emploi.» (L-PB1). Les dires du professeur

sont corroborés par les propos du sociologue et démographe Claude-Valentin Marie,

interviewé dans l‟hebdomadaire « Le Nouvel Observateur

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» : « 50% de tous les jeunes

Guadeloupéens de 18-34 ans qui ont un emploi l‟exercent en France hexagonale » (2013).

Certes, les étudiants peuvent se voir proposer des postes, mais cela de façon limitée :

« Les propositions de postes ne viennent pas forcément parce que bon, le marché étant ce qu‟il est, le chômage comme on le sait est très élevé. Les entreprises n‟ont pas forcément un besoin d‟assistants de manager, mais quand ils en ont besoin, ils n‟hésitent pas à faire effectivement appel à nos étudiants. Ça c‟est clair ! ». (L-PB2)

En effet, au dire des professeurs, les employeurs voient de façon positive les potentiels de

certains étudiants :

« Les tuteurs nous ont carrément dit hein, nous disent carrément que… ils sont étonnés par la maitrise professionnelle d‟un certain nombre de compétences de nos étudiants. Euh, cette année il y en a plusieurs qui se sont vu carrément proposé d‟intégrer l‟entreprise -en gros- c‟était : mais tant pis pour votre diplôme, intégrer tout de suite ! Evidemment, non ! ». (L-PB1)

La formation dispensée aux étudiants est donc reconnue et certifie d‟une acquisition de

compétences :

« C‟est vrai que lorsque nous faisons un retour en arrière et que nous interrogeons les anciens étudiants, tous n‟ont pas euh… ne sont pas dans le… le métier d‟assistant de manager […]. Le BTS « assistant de manager » leur permet […] d‟avoir un passeport pour d‟autres métiers. » (L-PB2)

Nous rappelons qu‟au plan national une minorité de lauréats de STS (14%) contre 42% pour

les DUT, poursuivent leurs études vers des diplômes d‟un niveau plus élevé (Grelet, Romani

et Timotéo, 2010). Les étudiants de BTS s‟insèrent en majorité immédiatement après leur

formation (Céreq, 2004, 2010). En Guadeloupe, compte-tenu de la faiblesse du marché de

l‟emploi local, les lauréats du BTS assistant de manager poursuivent souvent leurs études,

notamment en licence professionnelle, études dans lesquelles ils peuvent valoriser les

compétences acquises :

77 Cette étude réalisée par Arnaud Gonzague est partiellement reprise en ligne :

http://tempsreel.nouvelobs.com/regions/20130314.OBS1957/avoir-20-ans-en-guadeloupe-partir-ou-rester.html, consulté le 18 juillet 2013.

Page 164 sur 603 « […] Les étudiants après ce BTS ne… ne postulent pas forcément pour un poste d‟assistant de manager. Alors en poursuivant un cursus en licence professionnelle, ils se dirigent vers autre chose et les… les connaissances et compétences acquises sur cette formation, vraiment leur permet de réussir dans ce qu‟ils font après ! Voilà ! Donc très peu, je dirai rentrent en vie professionnelle je dirai juste après le BTS ». (L-PB2)

Comme il n‟existe que peu de licences professionnelles en Guadeloupe, les étudiants sont

souvent amenés à la quitter et la professeure L-PB1 nous renseigne sur leurs choix :

« La plupart du temps maintenant nos étudiants ont envie justement de poursuivre leurs études en métropole lors d‟une troisième année de licence professionnelle. Et ils… et elles vont avant tout en région parisienne, parce que le bassin d‟embauche il est-là ! ». (L-PB1)

Ainsi compte-tenu de l‟étroitesse du bassin d‟emploi (faible demande en AM), de la situation

socio-économique (taux d‟emploi de 48,1% des 15-64 ans), les professeurs enquêtés

indiquent que les étudiants prennent parfois conscience de la nécessité de poursuivre leurs

études et/ou d‟un avenir professionnel qui s‟effectuera en dehors de la Guadeloupe (Treyens

et Tantin Machecler, 2015).

Au moment de la réalisation de cette enquête (2013) auprès des professeurs, cette question

avait fait l‟objet d‟articles dans l‟hebdomadaire « le Nouvel Observateur », au travers

d‟encarts spéciaux pour la Guadeloupe et la Martinique. Il en ressortait que 56% des jeunes

étaient prêts à partir pour trouver un emploi. Mais ces jeunes ne l‟envisageaient qu‟à

condition de pouvoir revenir un jour en Guadeloupe. Au chapitre 4, nous confronterons les

conceptions des professeurs sur l‟insertion professionnelle de leurs étudiants à ce qu‟en disent

les étudiants eux-mêmes.

3.3.3.2. Les BTS du secteur tourisme

Rappelons que notre enquête se déroule au moment où se met en place le BTS tourisme en

remplacement des BTS ventes et productions touristiques et BTS animation et gestion

touristiques locales comme nous l‟avons indiqué au chapitre 1. Les remarques, formulées

pour ces deux anciens BTS, nous semblent rester valides pour le BTS issu de leur fusion, les

débouchés des deux anciens BTS se retrouvant en grande partie dans le nouveau. Au moment

de l‟enquête, les professeurs se réfèrent à leur expérience relative aux anciens BTS, mais leurs

propos nous semblent rester valides pour le BTS tourisme, notamment parce que les

débouchés ont peu changés dans cette refonte. Si la situation économique difficile de la

Guadeloupe est souvent évoquée, comme pour le BTS AM, les éléments relevés concernant

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les stages et l‟insertion professionnelle sont nuancées en fonction des métiers visés par les

diplômes.

Les stages

Pour les BTS du secteur touristique comme pour le BTS assistant de manager, les professeurs

ont indiqué que les terrains de stages locaux n‟offrent pas toujours aux étudiants la possibilité

d‟exploiter et/ou de développer leurs compétences : « nous avons des petites entreprises, un

marché étroit et des personnes qui sont venus au tourisme sans être formées finalement »

(L-HT2). Plus précisément, les difficultés concernant les stages se rencontrent davantage pour les

métiers de la vente (ancien BTS ventes et productions touristiques) que pour les métiers de

l‟accueil et de l‟animation (ancien BTS animation et gestion touristiques locales), ce que la

professeure L-HT1 décrit avec précision (c‟est nous qui soulignons) :

« […] en BTS animation et gestion touristiques locales pas vraiment, je trouve qu‟il y a des stages très intéressants, que ce soit au parc national, que ce soit chez des réceptifs, il y a des choses passionnantes à faire. En BTS ventes et productions touristiques c‟est un petit plus compliqué parce qu‟en agence les élèves […] à l‟aéroport, auprès des compagnies aériennes les stages ne sont pas tellement enrichissant pour des BTS ventes et productions touristiques. […] » (L-HT1)

Cette professeure illustre son propos en rapportant les retours négatifs d‟étudiants ayant

effectués des stages en agence de voyage, qui ont finalement eu à vendre essentiellement des

vols secs Paris-Pointe-à-Pitre et non des produits plus complexes, ce qui rend le stage peu

formateur.

Au moment de l‟enquête, le secteur touristique dans toute sa globalité est en pleine mutation :

« le travail en face à face dans les agences ne vas pas générer d‟emplois puisque les gens ne

viendront plus dans les agences, autant être billettiste par exemple sur un plateau d‟affaires,

c‟est-à-dire travailler avec le téléphone et des mails » (L-HT1). On notait, également, ce qui

est moins vrai à l‟heure actuelle, une différence entre les comportements des clients locaux et

ceux de la l‟Hexagone : « en Guadeloupe, il y a un décalage par rapport à la Métropole, parce

que le Guadeloupéen aime encore se rendre en agence de voyage, il aime le face à face. »

(L-HT1). En d‟autres termes, il y a un décalage transitoire entre l‟évolution du secteur touristique

dans son ensemble, et la situation du terrain local.

Les étudiants peuvent parfois avoir l‟impression de ne rien apprendre en stage : « les stages ne

portent pas autant aux étudiants qu‟ils devraient leur porter ! » (HT2). La professeure

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HT1 en tire une conclusion qui va plus loin en préconisant : « qu‟il faut leur conseiller d‟aller

faire des stages ailleurs un stage hein, pas tous hein […] au moins un stage en Métropole et je

voudrais quand même que les moyens financiers soient dégagés » (L-HT1).

Ainsi, pour les BTS du secteur touristique, la situation est plus contrastée que pour le BTS

assistant de manager. Si, dans les métiers de la vente, les stages locaux peuvent être, aux dires

des professeurs, décevants pour les étudiants et peu formateurs pour les métiers de

l‟animation ou de l‟accueil. Par ailleurs, l‟enquête se déroule au moment où l‟institution prend

en compte les mutations du secteur touristique, en fusionnant deux BTS pour créer le BTS

tourisme. Nous mesurerons au chapitre 4 si la cohorte enquêtée (une des toutes premières

cohortes du nouveau BTS tourisme en Guadeloupe) possède une représentation des stages

analogue à celle de leurs professeurs.

L’insertion professionnelle

Comme pour les stages, les difficultés liées à l‟insertion professionnelle diffèrent en fonction

des métiers.

Nous rappelons ici que l‟enquête s‟est déroulée en 2013 soit quatre années après le

mouvement social de 2009 (chapitre 1). La situation économique est estimée peu

satisfaisante : « les difficultés sont liées euh, à un contexte économique qui n‟est quand même

pas fleurissant ! » (L-HT3). L‟étroitesse du marché de l‟emploi apparait comme étant la

principale cause des difficultés des étudiants pour leur insertion professionnelle. Un autre

aspect, déjà présent pour les stages, apparait qui est celui d‟un secteur peu structuré, peu

professionnalisé, en dehors de quelques grands groupes (c‟est nous qui soulignons) :

« Alors l‟étroitesse du marché de l‟emploi […] effectivement, j‟ai évoqué cette question-là parce que […] elle explique les difficultés des étudiants ! Et puis surtout […] la non professionnalisation des acteurs. C‟est-à-dire que euh… ce que je veux dire, on a l‟impression qu‟on fait du tourisme euh, comme papa faisait du tourisme […] Je ne vais pas dire que c‟est un manque de confiance ! Je vais dire que c‟est… c‟est… on fait du tourisme comme on fait…de la menuiserie ici ! C‟est-à-dire que bon voilà, on « tchoke78 » ! » (L-HT2)

Comme pour ce qui a été noté pour les stages, les choses se passent relativement bien dans les

métiers de l‟animation et de guide (c‟est nous qui soulignons) : « je trouve que là, il y a une

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passion pour le territoire, une passion pour une expression de l‟identité devant les touristes de

manière positive et enrichissante pour tout le monde. Ça, ça me plait beaucoup ! » (L-HT1).

Ainsi, cette professeure indique que le contexte culturel, historique, sociolinguistique,

patrimonial de la Guadeloupe sont des points positifs que les étudiants savent valoriser et

qu‟il peut s‟agir d‟un vecteur d‟insertion.

En revanche, les difficultés sont plus fréquentes pour les métiers liés à la vente : la

professeure L-HT2 note qu‟« il y a une espèce de désespérance qui est dans l‟air quoi ! »,

compte tenu des décalages déjà mentionnés dans l‟évolution du secteur en Guadeloupe et

dans l‟Hexagone. Selon les professeurs, ces difficultés agissent sur la motivation des

étudiants :

« C‟est important. Pour moi c‟est important parce que je crois que… cela agit sur les gens quand vous dites qu‟il n‟y a pas de travail etc. cela agit sur la motivation, il faut toujours que vous soyez comme un coach après vos élèves pour leur dire « non, il faut continuer ! Il faut continuer ! Il faut tenir ! ». (L-HT2)

Ceci conduit les professeurs à travailler sur la motivation de leurs étudiants et sur leur

sentiment d‟échec : « il faut, il faut en permanence effectivement euh… les re-booster et… et

les intéresser. Certains ont l‟impression d‟avoir un petit peu rater leur vie professionnelle »

(L-HT3). Par ailleurs, certains étudiants ne prennent peut-être pas conscience de leurs

potentiels et de la richesse que peuvent leur apporter cette formation : « on a quand même

l‟impression par rapport aux premières promotions que j‟ai pu encadrer, qu‟il y a moins la

vision claire de l‟intérêt de cette formation pour des débouchés immédiats en termes

professionnels » (L-HT3).

Quoi qu‟il en soit, après l‟obtention du BTS, les étudiants n‟intègrent pas directement le

marché de l‟emploi et poursuivent leurs études. Comme pour leur camarade de BTS assistant

de manager, les professeurs les voient prendre conscience d‟un avenir professionnel qui ne

s‟effectuera pas forcément en Guadeloupe :

« On a affaire positivement à une génération de personnes aussi qui […] voient leur avenir non plus seulement en Guadeloupe mais de par le monde entier je crois ! Ils n‟ont pas peur d‟imaginer qu‟ils vont habiter ailleurs ! » (L-HT2).

L‟un des interlocuteurs relie ses départs des jeunes au problème démographique exposé dans

le chapitre 1 : « les dernières études démographiques sur la Guadeloupe montrent […] qu‟on a

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une pyramide des âges qui ressemble de plus en plus à un champignon atomique ! [Rires].

[…] Parce que, justement, les jeunes partent ! » (L-HT3).

En définitive, aussi bien pour les stages que pour l‟insertion professionnelle, les professeurs

possèdent une représentation plus contrastée de la situation des BTS du secteur tourisme. Les

points positifs sont reliés pour l‟insertion professionnelle dans certains métiers, au contexte de

la Guadeloupe. Il semble, également, que les étudiants de BTS tourisme sont également

davantage conscients d‟un avenir professionnel en dehors de la Guadeloupe. Nous vérifierons

au chapitre 4 si ces caractéristiques sont confirmées par les étudiants eux-mêmes.