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3. Conceptions et pratiques déclarées de professeurs d‟économie-gestion de BTS en Guadeloupe,

3.4. Discussion partielle

Dans le chapitre 2, nous avons présenté une double manière d‟analyser l‟ancrage contextuel

des prescrits des BTS du secteur tertiaire. Dans la première approche, un référentiel est dit

ancré contextuellement si des éléments évoquent un échelon géographique (local, régional,

national, européen, international), et incitent à une comparaison entre ces échelons, au niveau

des savoirs-associés aux enseignements. L‟ancrage contextuel métier complète cette analyse

en s‟intéressant davantage aux éléments contextuels qui interagissent directement avec les

métiers. Il peut ainsi exister une présence de références à l‟environnement local dans la

description des métiers ou activités professionnelles (que l‟on trouve au sein du référentiel des

activités professionnelles). Ces références peuvent aussi être présentes au sein du référentiel

de certification, qui décline le RAP en termes de compétences à acquérir l‟étudiant pour

exercer les missions, activités et tâches.

Le croisement de ces deux approches nous a permis d‟établir une grille de lecture de l‟ancrage

contextuel des prescrits de chacun des BTS du secteur tertiaire. Nous nous sommes basés sur

cet outil pour enquêter les pratiques de professeurs intervenants en BTS assistant de manager,

dont les prescrits sont peu ancrés contextuellement et d‟un BTS du secteur tourisme (le BTS

animation et gestion touristiques locales en début d‟enquête, intégré au nouveau BTS

tourisme) qui présente un profil opposé.

Ce cadre d‟analyse théorique va maintenant être confronté aux données présentées et

analysées dans les parties précédentes (2.2 et 2.3). Repérons-nous des pratiques de

contextualisation différentes sur ces deux BTS ? Nous discuterons d‟abord nos données pour

chacun des deux BTS avant de relever des éléments communs relatifs aux limites et enjeux de

la contextualisation pour les deux objets de notre enquête.

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3.4.1. Le BTS du secteur tourisme

Dans notre classification des BTS, ceux du secteur tourisme apparaissent comme possédant

des prescrits ancrés contextuellement. Les données de l‟enquête montrent effectivement des

pratiques de contextualisation dans ce BTS que nous allons chercher à mieux caractériser.

Comme l‟indique le professeur L-HT3, il est en effet plus facile de travailler avec les

étudiants sur des éléments qui les « concernent, qui leurs sont proches ». Ce même professeur

note l‟importance du secteur du tourisme en Guadeloupe : « c‟est quand même un vecteur

important ici en Guadeloupe ». Ce poids économique du secteur est présenté comme « […] un

environnement qui nous oblige à la contextualisation » (L-HT3). Le nom de la formation

(animation et gestion touristiques locales au moment du début de l‟enquête), est également un

élément incitateur à la contextualisation. La professeure L-HT1 prend ce nom comme un

symbole des demandes des référentiels définissant le diplôme : « on le fait souvent parce que

c‟est l‟animation locale ». Le stage est lui-même présenté comme nécessairement

contextualisé. Il est ensuite fortement exploité lors du retour des étudiants au lycée : « on

parle énormément de ce qu‟ils ont entendu pendant leur stage. Donc si c‟est les stages ici, on

parle […] des clients en agence de voyage. Donc là c‟est contextualisé tout à fait ! » (L-HT1)

Pour autant, les professeurs interrogés sont conscients qu‟ils ne forment pas des techniciens

préparés à exercer spécifiquement dans le lieu de déroulement de la formation : « Il faut

quand même qu‟on soit un petit peu ouvert et qu‟on n‟ait pas des visières nous enfermant

dans […] notre village ! » (L-HT3). Ce professeur complète son propos en indiquant que le

technicien doit, au contraire, pouvoir transférer ses compétences dans d‟autres contextes :

« Le BTS Animation et gestion touristiques locales […] ne doit pas être conçu comme un BTS les préparant à accueillir et à valoriser les ressources de la Guadeloupe hein, mais les ressources de quel que soit l‟endroit j‟allais presque dire du monde ! Mais au moins du territoire Français, de France, où il se trouve. Donc, ces compétences peuvent être appliquées en Guyane, elles peuvent être appliquées en Picardie, en Corse ou ailleurs! ». (L-HT3)

Ce professeur ajoute que cet exercice qui consiste à construire chez l‟étudiant des

compétences contextualisées mais transférables est difficile. Il évoque ainsi l‟exemple fictif

d‟un jeune diplômé qui serait formé dans l‟Hexagone et amené à exercer dans les villages

guyanais (territoire dont ce professeur est originaire). Il se demande si un médiateur

touristique non diplômé mais formé sur le terrain ne serait pas plus efficace que le jeune

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diplômé. Ceci amène ce professeur à considérer que les compétences professionnelles de la

personne non diplômée pourraient être reconnues par la validation des acquis et de

l‟expérience.

En résumé, les professeurs de ce diplôme rapportent des pratiques qui semblent relever de la

contextualisation pédagogique (Delcroix et al. 2013) ou « authentique » (Sauvage-Luntadi et

Tupin, 2012 ; Vercruysse, Carlier et Paquay, 2007) au sens où ces professeurs n‟oublient pas

l‟objectif de la formation (former des techniciens de l‟animation touristique locale) en ayant

recours, pour atteindre cet objectif à l‟environnement local de la formation. Une première

motivation des professeurs, pour pratiquer ce type de contextualisation provient de

l‟environnement de la formation lui-même : le secteur du tourisme est important pour

l‟économie de la Guadeloupe ce qui incite à l‟utiliser en formation. La seconde motivation

vient des prescrits (depuis le nom du diplôme) qui sont incitateurs de cette forme de

contextualisation. Ainsi, pour cette formation, il semble exister un accord entre l‟ancrage

contextuel de la formation et les pratiques des professeurs.

3.4.2. Le BTS assistant de manager

Comme il résulte des analyses menées dans la première partie, le BTS assistant de manager

possède des prescrits sans ancrage contextuel. Pour ce type de BTS, nous avons indiqué que

l‟enseignement en économie-gestion possède une visée générale et contribue à la construction

intellectuelle et à la formation citoyenne de l‟étudiant. Qu‟en est-il aux dires des professeurs

interrogés ?

En première approche, ces trois professeurs sont sur une ligne proche de celle de leurs

collègues intervenants dans les BTS du secteur tourisme pour définir la contextualisation

pédagogique. Pour eux, contextualiser un enseignement revient à l‟adapter à un

environnement proche de celui de l‟apprenant : « je suppose que par là on veut dire que

l‟enseignement devrait être adapté, à la situation de nos étudiants, à la situation du pays, […]

de manière à ce qu‟il passe mieux » (L-PB3). Ainsi que l‟analyse des résultats le montre, ces

professeurs possèdent une pratique contextualisée pour « toucher un point clé » dans une

optique de motivation des étudiants.

Cependant, en accord avec l‟absence d‟ancrage contextuel des prescrits, les professeurs

interrogés portent un regard peu contextualisé sur ce BTS. C‟est ainsi que la professeure

L-PB1 indique que ses pratiques sont beaucoup plus fréquemment contextualisées « avec des

élèves de Première et de Terminale » qu‟avec les étudiants de BTS assistant de manager. En

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effet, l‟échelle géographique du référentiel de la formation est internationale : « le référentiel,

en gros, nous place des situations d‟apprentissages, d‟études, de découvertes, avant tout dans

des contextes internationaux » (L-PB1). Ceci peut être mis en rapport avec l‟origine du BTS

assistant de manager issu de la fusion à partir de 2008 (DGES, 2008), des BTS Assistant de

direction et Assistant secrétaire trilingue, dont les compétences étaient, en particulier pour le

second, centré sur la maitrise de langues vivantes étrangères.

Or, comme nous l‟avons vu dans la présentation de l‟économie de la Guadeloupe, les

entreprises sont en majorité des très petites entreprises possédant peu de relations

internationales. Cet élément est très présent dans les propos des professeurs, constituant une

difficulté pour eux, surtout en relation avec les terrains de stage :

« En BTS assistant de manager précisément nous exigeons de nos élèves qu‟ils puissent être dans un contexte international, qu‟ils puissent réaliser des activités dans un contexte international. Le contexte international nous le trouvons très peu dans les entreprises en Guadeloupe puisque très peu d‟entreprises ont véritablement un contact avec l‟international hein. Nous avons un bassin d‟entreprises vraiment de petites PME-PMI. » (L-PB2)

Faute de pouvoir trouver localement des entreprises ouvertes sur l‟internationale, les

professeurs imposent aux étudiants de partir à l‟étranger, une obligation non prévue par

le référentiel du diplôme aux dires des professeurs :

« […] nous exigeons à ce moment-là qu‟ils puissent partir à l‟étranger. Ce qui n‟est pas obligatoire et qui n‟est pas […] cité dans le référentiel comme une obligation. […] Nous exigeons à ce moment-là à ce que le stage soit fait euh… dans un pays de la Caraïbe voir dans un pays d‟Europe où ils seront à même à parler la langue puisque euh… ce stage va devoir être je dirai le terrain euh… un outil pour la préparation à une épreuve qui est l‟épreuve E4 à l‟examen, qui est une épreuve de communication professionnelle où l‟élève va devoir en quelque sorte […] parler la langue ! » (L-PB2)

Le contexte géographique et socio-économique de la Guadeloupe entre en confrontation avec

la dimension internationale du BTS qui se manifeste par la demande de maîtriser deux

langues vivantes étrangères en compétence professionnelle. Nous voyons vivre, au sein de la

formation BTS assistant de manager, une forme de contextualisation qui nous semble

originale, que nous allons maintenant tenter de caractériser. Comme le contexte

d‟apprentissage ne permet pas aux étudiants, de développer la compétence exigée par le

référentiel du diplôme, un dispositif de stage obligatoire à l‟étranger est mis en place pour

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pallier cette difficulté d‟ordre pédagogique. Ainsi il s‟agit à coup sûr d‟une contextualisation

pédagogique. Mais il s‟agit aussi d‟une demande portée collectivement par l‟équipe

pédagogique intervenant sur ce BTS : il s‟agit d‟un choix institutionnalisé au niveau de

l‟établissement lui-même. En revanche, cette demande d‟effectuer un stage à l‟étranger n‟est

pas institutionnalisée au niveau de l‟académie. Il s‟agit donc d‟une forme particulière de

noocontextualisation, opérée par l‟établissement scolaire, sous l‟effet de contraintes externes

(plutôt liées à l‟environnement du lieu du déroulement de la formation). Elle n‟est pas

reconnue ou échappe aux niveaux académique et national.

Ainsi, il nous semble au final que les professeurs du BTS assistant de manager possèdent une

pratique moins affirmée de la contextualisation pédagogique que leurs collègues des BTS du

secteur tourisme. En revanche, ils ont développé une adaptation originale du cadre national de

la formation, pour pallier une difficulté rencontrée dans l‟environnement de la formation.

3.4.3. Limites et enjeux de la contextualisation

Lorsqu‟on aborde les questions sur la contextualisation, certains professeurs évoquent

spontanément leurs conceptions sur les disciplines enseignées au regard de la

contextualisation, comme l‟a montré l‟analyse des résultats. C‟est par exemple ce qu‟exprime

le professeur n‟intervenant que dans les matières du domaine général, particulièrement en

économie-droit, au sein du BTS assistant de manager (L-PB3). Pour lui : « en économie en

particulier, ça s‟y prête particulièrement » alors qu‟en droit « c‟est un petit peu plus délicat ».

Sur ce plan, les conceptions semblent voisines entre les professeurs des deux BTS, comme le

montre l‟exemple du professeur L-HT3 qui évoquait l‟enseignement de gestion. Les

ressources disponibles (il évoquait en particulier les manuels) l‟obligent à travailler des

« sujets qui sont plus généraux ». En mercatique, en revanche, la contextualisation lui semble

plus facile, puisqu‟il indique partir des exemples. Ces professeurs sont rejoints par le chargé

de mission E-CM qui affirme que dans certaines disciplines, la question de la

contextualisation se pose moins par exemple dans les disciplines très « calculatoires ».

Un facteur limitant les pratiques contextualisantes apparait, dans les déclarations du

professeur L-HT3, celui des ressources disponibles. Il est rejoint par un professeur de BTS

assistant de manager qui estime que ce qu‟il peut trouver au niveau des manuels « ne se

retrouve pas au niveau des entreprises [locales] » ce qui créé une « différence ». Ces

contraintes, constatées par les professeurs enquêtés, viennent en écho à ce qu‟indiquaient

Delcroix et al. (2013) : pour ces auteurs, les contraintes didactiques concernant la

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contextualisation sont souvent dues « aux connaissances en contexte que possède

l‟enseignant » dépendant elles-mêmes des outils (manuels, ressources de la bibliothèque) dont

il dispose et des consignes, issues de la hiérarchie ou des prescrits qu‟il reçoit.

L‟autre facteur limitant, largement présent dans les réponses des professeurs, est celui du

cadre national de la formation. Nous rappelons, à ce sujet, qu‟il n‟est pas prévu d‟adaptation

de la formation de BTS au lieu de déroulement de la formation, à l‟inverse de ce qui est

possible pour les diplômes universitaires de technologie. A ce caractère national du cadre de

formation correspond, comme indiqué précédemment, des examens nationaux. En

contextualisant, le professeur craint de défavoriser ses étudiants ce qui se traduit par des

remarques comme « mais on n‟a pas à trop contextualiser puisque c‟est un enseignement,

c‟est un examen national. [Il] faut faire attention à ce qu‟on fait oui, aussi ! » (L-HT1), « on

est partagé entre une forte contextualisation et la préparation à des examens qui sont

nationaux ! Donc […] c‟est un peu compliqué» (L-HT3). Cette contrainte a également été

identifiée par Delcroix et al. (2013) qui font remarquer qu‟elle se retrouve dans tous les

concours nationaux, par exemple ceux de l‟enseignement.

Nous allons examiner les conséquences de cette absence à la contextualisation sur l‟exemple

de la TVA évoqué précédemment. Même si nous avons vu précédemment que les pratiques

divergent, les professeurs interrogés vont néanmoins plutôt utiliser les taux de TVA en

vigueur dans l‟Hexagone (« On utilise des taux de TVA qui sont utilisés en Métropole alors

que ce ne sont pas les mêmes qu‟on a ici », L-HT3) et ne parleront pas d‟octroi de mer

(« c‟est un peu dommage », L-HT3). Dans l‟exercice des métiers, des difficultés peuvent

surgir et le technicien non formé aux réalités locales. Nous n‟entrerons pas ici dans le régime

complexe de l‟octroi de mer, ou plus encore de la TVA non perçue récupérable, évoqués au

chapitre 1, mais simplement de la manière dont le technicien peut mettre son entreprise

d‟accueil en porte à faux en méconnaissant les taux de TVA applicables.

Rappelons qu‟un système de TVA est censé être neutre au niveau de la trésorerie d‟une

entreprise : lorsqu‟une entreprise vend de la marchandise, elle collecte de la TVA (TVA

collectée) et lorsqu‟elle en achète, elle déduit de la TVA (TVA déductible). La différence

réalisée entre les deux opérations doit-être reversée à l‟État. Si le technicien se trompe en

reversant à l‟administration fiscale une facturation supérieure au taux principal en vigueur, il

provoque un manque à gagner pour l‟entreprise, car elle réalise une sortie de trésorerie plus

importante qu‟elle ne devrait. Au contraire, si le technicien effectue une facturation inférieure

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au taux principal en vigueur (c‟est-à-dire à 8,5% en Guadeloupe contre 20% dans

l‟Hexagone), en cas de contrôle fiscal, l‟administration sanctionne l‟entreprise dans la mesure

où elle aura reversé moins qu‟elle le devrait. La facturation étant fausse, il y aura donc une

remise en question de la valeur probante de la comptabilité. L‟administration peut alors

effectuer un redressement fiscal pour réclamer les sommes de TVA dues assorties de

majorations. L‟administration ne saurait accepter pour motif l‟incompétence du salarié et

pourra considérer qu‟il s‟agit d‟un acte frauduleux et délibéré. Cet exemple, est issu d‟une

discussion informelle que nous avons eu avec une jeune professionnelle travaillant au sein

d‟un cabinet d‟expertise-comptable, autour du risque d‟une mauvaise somme de la TVA

reversée à l‟État.

Ces différents éléments mettent en évidence des conséquences profondes et l‟enjeu même de

la contextualisation, ce que décrit le chargé de mission E-CM :

« Moi je pense que la Guadeloupe a besoin de cadres intermédiaires, d‟un très bon niveau. Euh… le tissu économique local c‟est un tissu qui est, comment dire, où il y a beaucoup de PME/PMI, il y a beaucoup de TPE, et c‟est un tissu qui a besoin d‟un personnel assez formé, très euh… très polyvalent et très efficace. […] En fait notre richesse, c‟est quoi ? On n‟a pas de pétrole, on n‟a pas de voilà notre richesse c‟est la formation des Hommes ! Et mieux ils seront formés, mieux cela sera pour les entreprises. » (E-CM)

Ainsi, l‟absence d‟adaptation possible du cadre national de la formation pose la question de

l‟efficacité du technicien dans l‟exercice de ses fonctions. Si le diplôme de BTS doit garantir

un niveau de formation universellement reconnu par les employeurs, les professeurs enquêtés

(y compris le chargé de mission E-CM) semblent regretter que la formation de ses jeunes ne

réponde pas totalement aux besoins d‟une société donnée, ici la société guadeloupéenne.