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Spécificités de la traduction des textes linguistiques en langue arabe

CHAPITRE II :

3. Spécificités de la traduction des textes linguistiques en langue arabe

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Le littéralisme proclamé par certains suscite des critiques de ceux qui croient à la liberté du traducteur. La traduction du premier volume des œuvres de Freud, parue en 1988 a fait objet de critiques et l’une d’elles a été publiée par Jacques Le Rider dans le journal le Monde du 28 avril 1989. On reprochait donc à cette traduction la littéralité du texte sous prétexte de fidélité car « être fidèle à la langue de l’auteur n’est pas être fidèle à l’auteur ; on trahit Freud en traduisant sa langue littéralement, ce qui fait violence à la langue de la traduction. » (Marianne Lederer 2006 : 68)

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Spécificités de la traduction des textes linguistiques en langue

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3.1. Spécificités au niveau des termes métalinguistiques

La spécificité majeure de la traduction des termes métalinguistiques, dans notre travail, est le fait qu’ils réfèrent à des phénomènes linguistiques propre à la langue française dont le système linguistique est distinct de la langue arabe. Néanmoins, c’est souvent par souci de « fidélité » que le traducteur cherche dans la langue d’arrivé des termes exprimant les mêmes concepts véhiculés par la langue de départ. Si on vise la symétrie des concepts, comme dans chaque traduction, c’est pour assurer le transfert des connaissances aux lecteurs de la langue d’arrivée dans le cadre du respect des différences.

Nous présentons, dans ce qui suit (Tableau N°1), des cas de termes métalinguistiques que nous réunissons dans un tableau pour illustrer cette démarche dans laquelle le traducteur a proposé dans la langue d’arrivé des termes décrivant les mêmes concepts que ceux de la langue de départ :

Tableau N°1

Les termes en arabe proposés dans ce tableau comme équivalents aux termes de la langue française appartiennent à la tradition grammaticale arabe. Ceci dit, ces termes ont déjà une valeur conceptuelle dans la langue d’arrivée. Par conséquent, le fait de recourir à ces termes pour exprimer des concepts de la langue française laisse croire qu’il existe entre les deux langues des points en commun au niveau de la terminologie et même une symétrie totale entre les concepts en question : ce qui veut dire que les termes dans les deux langues véhiculent les mêmes concepts. Néanmoins, la réalité linguistique des deux langues montre que chaque terme de la langue de départ et son équivalent véhiculent un ensemble de traits conceptuels propre à la langue décrite et qu’il ne peut y avoir de symétrie totale au niveau conceptuel.

Antonymie taḏaːd داضت

Apocope ʒazm مزج

Apodose aʃaгṯ ʒaωaːb طرشلا باوج

Composition naẖt تحن

Flexion iʕгaːb ,tas̱ гiːf فيرصت ،بارعإ Rhème / Thème muѕnad ilajhi ,muѕnad دنسم ،هيلإ دنسم

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Ainsi, cette démarche est basée sur deux exigences contradictoires, celle d’être fidèle au contenu et celle de chercher la symétrie entre les deux systèmes linguistiques qu’on compare. Pour ce qui est de la première, comme il est déjà clair en linguistique que les langues ne procèdent pas du tout de la même manière pour structurer la réalité référentielle au niveau de la langue commune, il en est de même pour les langues de spécialités.

« Si la traduction était fondée sur une stricte analyse linguistique, il faudrait en conclure à l’impossibilité de traduire car seul un grand hasard ferait coïncider les termes d’une langue avec ceux d’une autre. » (Javier Casas 2009 : 139). Par contre, en ce qui concerne la symétrie, la difficulté de traduction est liée à l’objet décrit, et par conséquence à l’inexistence ou à l’existence de référents universaux, comme dans le cas, des mathématiques, de la physique et des sciences naturelles.

Notre attention est attirée par le cas des textes juridiques qui ont suscité, pour leurs traductions, des questions afin de savoir s’il s’agit de traduire le système juridique de la langue de départ ou de chercher une symétrie dans le système juridique de la langue d’arrivée.

Sachant qu’il existe des notions propres à chaque système, il est nécessaire de déterminer ce qui doit être traduit, le système juridique de la langue de départ ou la reproduction de celui de la langue d’arrivée. Certains ont tranché la question en disant qu’il s’agit de « parler le droit de l’un dans la langue de l’autre …On ne traduit, en quelque sorte, que du même au même, d’un système vers lui-même, mais dans une autre langue qui ignore ce système et en connait un autre» (Bernard Thiry 2000 : 305).

Cette importante question de symétrie a été déterminée, dans la traduction des textes juridiques, pour distinguer entre deux situations : l’existence de concepts identiques dans les deux systèmes juridiques mis en équivalence par la traduction et l’existence de concepts ayant des traits conceptuels en communs. Il est logique que la symétrie dans le premier cas soit valide (référents universaux) mais le parallélisme dans le deuxième cas ne donne pas des résultats identiques : « cet idéal de réciprocité ne peut aller jusqu’à la fusion totale en un seul système avec les compromis correspondants que semblent prôner certains : un seul système et une fusion totale sont choses aussi impropres méthodologiquement qu’infaisables pratiquement… » (Bernard Thiry 2000 : 290).

En comparant le texte juridique avec le texte linguistique, on peut se rendre compte d’une similarité au niveau de l’absence de symétrie dans les concepts. Vu la nature de l’objet décrit dans le texte linguistique, il est presque impossible de trouver une symétrie entre les

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concepts dans les deux langues : il s’agit de deux systèmes linguistiques différents qui se décrivent forcément de manière différente.

3.2. Spécificités au niveau des exemples

On peut se demander, comme pour le texte juridique, s’il est question de traduire les faits linguistiques de la langue de départ ou de chercher la symétrie avec les faits linguistiques de la langue d’arrivée ? On peut reformuler cette question d’une manière à se demander en quoi consiste la traduction linguistique ? Ces questions détermineront les choix du traducteur et permettront la validation de la traduction en fonction de l’objectif visé.

Cette problématique soulève une contrainte dont la pertinence est incontestable. Il s’agit de la traduction des exemples auxquels l’auteur a recours pour illustrer les faits linguistiques. Il suffit de constater le rôle indispensable des exemples dans la structure du texte linguistique, pour se rendre compte de l’importance qu’ils suscitent dans la traduction.

C’est à travers les exemples que le texte linguistique fait preuve de validité.

Des linguistes (Mejri 2008 : 139 ; Lassaâd Ouestati 2000 :202-203) ont souligné l’importance de cette question ainsi que les problèmes que le traducteur est contraint de surmonter lors de la traduction des exemples employés dans le texte linguistique. La question consiste à savoir si le traducteur doit trouver des équivalents aux exemples du texte de départ, ou s’il doit garder ces exemples dans la langue de départ.

Traduire les exemples, c’est prendre le risque d’une incohérence entre les commentaires et les exemples véhiculés comme support. D’un autre coté, ne pas traduire les exemples peut soulever même la question de l’utilité de la traduction. Que peut apporter une traduction bilingue à un lecteur, alors qu’elle est censée lui être destinée pour combler son ignorance de la langue de départ ?

Pour illustrer cet aspect pertinent dans la traduction des textes linguistiques, nous recourons à un exemple de notre corpus textuel que nous présentons sous forme d’un schéma regroupant un paragraphe du texte de départ au même temps que sa traduction : cette présentation permet de visualiser les deux discours ensembles soit l’original et la traduction et par conséquent de vérifier le degré d’informativité dans le texte traduit par rapport au texte original. Il s’agit, plus précisément de rendre compte de l’adéquation des exemples avec les commentaires linguistiques. L’exemple suivant (Figure N°1) atteste des contraintes que pose la traduction des exemples dans un texte linguistique dans la langue comme celle de l’arabe :

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nous référons, dans ce sens, à la symétrie des deux discours assurée au niveau des exemples choisis pour justifier les commentaires.

Syntagme nominal46 يمسا بكٌرم

Que peut représenter il de il pleut ou il lui est arrivé un accident?

Cette forme, comme on sait, n’est commutable avec aucun syntagme nominal.

P 238

رطمت اھنإ] [

وأ il pleut يف

il لثمي نأ نكمي اذاﻣ

Il lui est arrivé un accident

عقو دقل] ثداح هل ةيلباق هل تسيل ،ملعن امك ،لكشلا اذھ ؟ [

يأ عﻣ لادبتسلاا يمسا بٌكرم

ص...

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Figure N°1

Nous constatons que pour les exemples « il pleut » et « il lui est arrivé un accident », dont la traduction en arabe est respectivement

رطمت اھنإ

ʔinaha tumṯ iг et

ثداح هل عقو دقل

laqad ωaqaʕa lahu ẖaːdiθ porte sur l’équivalent sémantique en arabe de ces deux exemples.

En revanche, l’auteur du texte français vise le sémantisme du pronom « il » dans les deux exemples.

D’une part, en gardant les deux exemples en français dans la traduction, le traducteur prend le risque de supposer que le lecteur arabophone connait préalablement la fonction grammaticale de « il » comme pronom impersonnel. Si le lecteur francophone n’a pas besoin de ce type de précision pour comprendre les intentions de l’auteur à travers les exemples présentés, il n’en demeure pas moins que le lecteur arabophone est censé ignoré cette fonction grammaticale, par conséquent, cette précision s’avère nécessaire. Ainsi, les deux lecteurs n’auront certainement pas les mêmes réactions (compréhension des commentaires linguistiques) face aux exemples. D’autre part, le commentaire doit correspondre aux exemples choisis.

Ceci dit,

رطمت اھنإ

ʔinaha tumṯ iг et

ثداح هل عقو دقل

laqad ωaqaʕa lahu ẖaːdiθ doivent rendre compte, de la même manière que les exemples équivalents en français, des faits décrits : nous proposons, dans ces deux cas, de désigner, en arabe, le pronom impersonnel « il » par le « pronom conjoint47 »

ه

ha dans le but d’appliquer le commentaire, non pas sur les exemples en français, mais sur ceux de la langue arabe en précisant la fonction du pronom impersonnel « il » dans les deux exemples en français car la description en question se porte sur la langue française.

46Cet exemple est pris de l’ouvrage de Martin (1992)

47C’est notre traduction du terme en arabe لصتم ريمضḏamiːг mutas̱il : il s’agit de la lettre

ه

ha

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De ce fait, le traducteur qui est face à un texte décrivant des faits linguistiques de la langue de départ doit s’assurer que la traduction remplie la même fonction que celle assignée au texte original et qu’elle répond aux spécificités des discours linguistiques. A notre avis, il est indispensable de déterminer, au préalable, la nature de la traduction des textes linguistiques et plus précisément la nature des connaissances à transmettre lors de la traduction. Afin de traduire le contenu des phénomènes linguistiques de la langue de départ, le traducteur a tout intérêt de traduire les exemples non pas en leur trouvant des équivalents au niveau linguistique mais en traduisant l’idée qu’ils véhiculent et ainsi le fonctionnement de la langue de départ.

On sait bien que les langues sont en mesure d’être décrites par d’autres langues. Mais, cette démarche compliquée exige du traducteur de recourir à sa compétence pour trouver à chaque fois les solutions adéquates à la situation. Cette vision qui montre le rôle moteur du traducteur dans l’activité traduisante renvoie à la notion de créativité.

En traduction, cette notion « recouvre le pouvoir d’inventer ses propres solutions en traduction, des solutions qui ne sont ni répertoriées dans des outils lexicographiques ni préétablies par des manuels, des solutions que le traducteur fait naitre de sa propre interprétation du document à traduire. » (Lavault 1961 : 122)

Dans le cas d’un traducteur soucieux de trouver des équivalents à des exemples dans la langue d’arrivée ayant la même fonction que ceux de la langue de départ, dans le sens où ils sont en mesure d’illustrer les mêmes faits linguistiques de la langue de départ, il [le traducteur] est confronté à un problème à la fois méthodologique et traductionnel qui consiste à assurer l’homogénéité de la description de sa traduction ( trouver des équivalents à la totalité des exemples-supports des commentaires du texte) ainsi que l’adéquation des exemples avec les commentaires. Est-ce réellement possible de réaliser cet objectif quand « on sait que deux langues n’opèrent pas la même structuration de la réalité référentielle : il n’y a d’isomorphisme des langues ni dans leur structuration globale, ni au niveau de leurs unités élémentaires. » ? (Bernard Thiry 2000 : 285)