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CHAPITRE IV :

1. Eléments théoriques de l’analyse lexicographique

1.1. Outil matériel (dictionnaires spécialisés)

Notre objectif, ici, n’est pas d’aborder de manière exhaustive les aspects des ouvrages spécialisés en rapport avec la terminographie et les études réalisées dans ce domaine.

Néanmoins, la présentation des caractères pertinents des dictionnaires spécialisés et de ceux de la linguistique est nécessaire afin de rendre compte que l’utilité de ses ouvrages est tributaire essentiellement des définitions proposées pour les termes ainsi que de leur exhaustivité.

1.1.1. Caractéristiques générales des dictionnaires spécialisés (bilingues)

Une typologie globale (Clas 1996) répartit les dictionnaires en deux grandes catégories, soit les dictionnaires intralinguistiques (les dictionnaires monolingues) et les dictionnaires interlinguistiques (dictionnaires bilingues et multilingues).Ce classement concerne également les dictionnaires spécialisés dont la distinction avec les dictionnaires de langue implique la focalisation sur la langue de spécialité. Par conséquent, la langue de spécialité constitue le matériau des recherches terminographiques dont les caractéristiques sont basées sur l’approche conceptuelle, la monosémie, l’onomasiologie, la normalisation, la synchronie, et le classement systématique, etc. (Van Campenhoudt 2000).

La terminographie est considérée comme l’ensemble des activités qui se concrétisent par la conception de dictionnaires spécialisés dont l’objet est les terminologies. Il s’agit dans notre travail de la « terminographie à orientation traduction » (Galinski 1987) qui s’inscrit dans le cadre de la communication scientifique entre les spécialistes du même domaine. La démarche du terminographe, comme celle du terminologue est centrée sur la délimitation et la définition des concepts. Par conséquent, l’essentiel de l’entrée terminographique ne réside pas

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uniquement dans le terme, mais plutôt dans la réalité décrite et dans la représentation faite de celle-ci. « La définition se fait par référence à la chose que le signe dénote, en dehors de la langue » (De Bessé 1991 : 111)

Le recours aux dictionnaires spécialisés dans le cadre des activités traduisantes est une nécessité : « ... Devant une difficulté de traduction, le premier réflexe du traducteur n’est plus de chercher à décomposer le terme complexe et à en analyser les constituants compte tenu du contexte, mais à se croiser mentalement les doigts et à se dire : « il faut qu’il y soit [dans le dictionnaire]»» (Bélanger 1991 : 49)

Il n’en demeure pas moins que l’utilisation de ses ouvrages et leur efficacité dépend de l’exhaustivité des termes et de leurs définitions. L’importance de ces deux éléments est valable pour tous les types de dictionnaires car « un dictionnaire doit nécessairement prendre en charge dans sa macrostructure, une part importante et représentative du lexique d’une langue, et sa macrostructure doit obligatoirement être structuré pour apporter les informations sur les entrées données… » (Clas 1996: 2000).

C’est important de souligner que les reproches que connaissent les dictionnaires bilingues (Dussart 2006) ont souvent trait à l’absence de définitions des termes. Par conséquent, cette caractéristique rend ces ouvrages de simples listes d’équivalents présentés sans explications ni commentaires. On ne peut, cependant, nier que l’élément de l’exhaustivité demeure un objectif difficilement réalisable, par contre les définitions des entrées terminologiques sont indispensables et constituent une condition de la fiabilité des ouvrages en question. « La plupart des dictionnaires spécialisés et surtout polyglottes- souvent rédigés par des traducteurs- sont des lexiques présentant de simples listes d’équivalents sans aucune garantie de fiabilité. » (Van Campenhoudt 2000: 128).

1.1.2. Spécificités des dictionnaires bilingues de linguistique

La démarche générale adoptée par les dictionnaires de la linguistique ne diffère pas de celle des autres dictionnaires spécialisés. Néanmoins, compte tenu de la spécificité de l’objet de la linguistique, il est utile de rendre compte de certains points en rapport avec la nature de celui-ci. Nous visons, plus particulièrement, les dictionnaires bilingues dont la conception

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n’est pas totalement distincte de celle des dictionnaires monolingues mais posent certaines contraintes spécifiques. Notre objectif est de souligner que la spécificité de la linguistique nécessite, à un certain degré une démarche particulière dans l’appréhension de ces termes sur le plan de la terminographie. La nécessité de la définition des termes dans les dictionnaires est évidente. L’attention est, donc, attirée sur la conception spécifique de la définition des termes dans ses ouvrages: « dans les terminologies concrètes, on peut recourir à des photos et schémas74, mais cela ne dispense pas de définitions, comme le montre le dictionnaire de la Machine-outil d’Eugen Wuster (1968). Dans les terminologies plus abstraites, comme le droit, il n’y a guère de place pour le graphique, mais on peut encore se servir de classes d’objets en tant que pendant linguistique d’éléments d’une ontologie de sens commun ; sont des réalités concrètes les individus, les textes, les sols, les constructions etc.…En grammaire, les catégories cognitives sont seulement la matière d’un discours métalinguistique. Du fait qu’en linguistique « c’est le point de vue qui crée l’objet », selon la formule célèbre de Saussure, toute définition grammaticale est dépendante d’une doctrine grammaticale. » (Lerat 2006: 32)

La contrainte à laquelle se heurtent les dictionnaires bilingues de linguistique est la diversité typologique des langues en contact. Celle-ci atteste de l’existence d’un nombre de termes en commun qui s’appliquent à des réalités différentes. Par exemple, la dérivation « est systématique en arabe mais ne recouvre pas la même réalité qu’en français » (Mejri 2003 : 186). Outre cet aspect de diversité des langues que les dictionnaires bilingues doivent prendre en charge dans les définitions des termes, un autre aspect important est celui des rapports qui lient les termes entre eux à l’intérieur d’une même théorie ou entre différentes théories.

Ce rapport entre les termes constitue ce qu’on appelle « un réseau notionnel » que Pierre Swiggers (2006) considère comme une opération indispensable et une condition préalable au calibrage des termes. « L’utilité de ce type d’opération apparait quand on veut saisir le contenu/les contenus de termes et de concepts axiomatiquement premiers dans une théorie (et qui manquent donc d’argumentation élaborée) » (Ibid. : 24) .L’exemple cité par l’auteur est très significatif. C’est un terme dont le concept a fait parfois l’objet d’interprétations distinctes. Il s’agit du concept saussurien arbitraire du signe qui, en

74Précisons que la linguistique recourt à la schématisation pour rendre plus accessible la description de ces faits et les phénomènes langagiers.

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faisant appel à des concepts comme immotivé, naturel, volontaire, conventionnel, peut être défini avec plus de précision et de clarté.

Ce « réseau notionnel », que forment les termes, est un aspect important sur lequel se base la définition des termes: « le contenu des termes : une distinction s’impose ici entre le contenu « focal » d’un terme (rapport bilatéral entre un terme et ce qu’il signifie) et le contenu

« contrastif » d’un terme (le réseau, implicite ou explicite, de contenus à l’intérieur duquel un terme assume son contenu dynamique » (Swiggers 2006 : 20).

Cette caractéristique des termes métalinguistiques est évoquée dans ce sens pour indiquer que la relation qu’entretiennent certains termes, et qui se dégage à travers leurs traits conceptuels, ne doit en aucun cas être négligée dans les dictionnaires bilingues. On peut observer ce rapport particulier entre les termes métalinguistiques à travers un exemple constitué de trois termes75 soit icône, indice et symbole. Ces trois termes relèvent du domaine de la sémiotique. Selon leurs définitions, ils entretiennent entre eux un rapport de relativité.

Par conséquent, la définition de l’un est envisagée, non seulement par rapport à son contenu

« focal », mais aussi par rapport à ce qui le distingue des deux autres :

Icône : «…Depuis les travaux de Charles Sanders Peirce (1839-1914) sur le signe…, on appelle icône, en sémiotique, un type de signes motivés par la ressemblance avec les objets du monde. Le portrait, l’image dans le miroir, les hiéroglyphes, la carte géographique, l’imitation d’un cri d’un animal, etc., sont des icônes. Ils se distinguent en cela des indices et des symboles. ».

Indice : « …On appelle indice, en sémiotique, depuis les travaux de Charles Sanders Peirce (1839-1914), des signes dits naturels, tenus pour causalement motivés, qui ne résultent pas d’une intention de communication : ex. La trace du verre sur la nappe, celle des pas dans la neige, l’empreinte des doigts sur la vitre, la fumée produite par le feu, etc. L’indice est dans une relation de contigüité avec les objets du monde. Il se distingue en cela de l’icône et du symbole. ».

Symbole : «…On appelle symbole en sémiotique, depuis les travaux de Charles Sanders Peirce (1839-1914), un signe conventionnel associant de manière arbitraire un

75Les définitions des trois termes sont reprises du Dictionnaire des sciences du langage de Franck Neveu (2004)

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signifiant à une entité abstraite…Le caractère conventionnel et arbitraire de la relation exprimée par le symbole le distingue d’une part de l’indice, signe naturel causalement motivé, d’autre part de l’icône, signe motivé par la ressemblance avec un objet du monde. Les signes linguistiques sont des symboles en ce qu’ils établissent une relation conventionnelle et arbitraire avec l’objet qu’ils dénotent »

En se focalisant sur cet aspect important, on peut se rendre compte que chaque terme métalinguistique appartient à son « réseau notionnel » et sa véritable appréhension ne peut se faire que part rapport à la place qu’il occupe dans ce réseau. Cette idée renvoie à la notion de champ sémantique76 que nous pouvons illustrer, à titre d’exemple, par le cas suivant : il s’agit d’un groupe de termes formant un champ notionnel : signe, signifiant, signifié, sens, signification, sémiotique, sémiologie, arbitraire linguistique, double articulation, icône, iconicité, indice, linéarité, symbole, valeur.

A partir de cet échantillon, on constate qu’à l’intérieur de ce champ certains termes forment des champs lexicaux et l’ensemble construit une sorte d’arborescence terminologique sur laquelle se base la définition des termes métalinguistiques attestant de la nature particulière de l’objet décrit et des différentes visions que peut avoir celui-ci. Le tableau N°1 ci-dessous montre la relation d’hypéronymie qui existe entre les deux champs et permet la reconstruction de l’objet décrit.

Champ sémantique Champs lexicaux

Signe, signifiant, signifié, sens, signification, sémiotique, sémiologie, arbitraire linguistique, double articulation, icône, iconicité, indice, linéarité, symbole, valeur

1. Signe, signifiant, signifié, signification;

2. sémiologie, sémiotique;

3. Icône, iconicité Tableau N°1

76 La notion de champ sémantique est définie comme « la notion… [Qui] sert à structurer le lexique en microsystèmes. On distingue principalement deux types de champs. Les champs onomasiologiques, conçus selon une approche qui part du concept pour atteindre le signe linguistique qui lui correspond, forment des regroupements lexicaux sur la base de l’univers référentiel auxquels renvoient les unités. Il s’agit donc de champ notionnel….On parle fréquemment de champ lexical lorsque les lexèmes qui constituent le champ appartiennent à une même classe grammaticale…Les champs sémasiologiques, conçus selon une approche qui part du signe pour accéder au concept, se construisent sur des critères linguistiques. » (Franck Neveu, 2004,

p 62-63)

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Notre exemple tente principalement de mettre le doigt sur la spécificité des termes en linguistiques et des contraintes posées notamment lorsqu’il s’agit d’un transfert vers une autre langue. Le travail du terminologue-traducteur ou du traducteur doit tenir compte de l’ensemble de ces éléments pour appréhender les termes avec la précision que doit revêtir nécessairement la traduction proposée. Cette démarche contribue d’une manière efficace non seulement à la définition des termes mais elle est en mesure de révéler et de soulever certaines confusions susceptibles d’être engendrées par l’omission de ces aspects fondamentaux.