• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE III :

1. Eléments de base d’un mot en langue arabe

Les langues naturelles peuvent, en principe, être définies comme des systèmes à double fonction, c'est-à-dire des outils de nomination et des outils de communication grâce à une combinatoire de sons propres : les consonnes, les voyelles, les syllabes. On relève que la constitution de la langue arabe est faite fondamentalement à partir d’une combinatoire de consonnes. « Dans toute langue humaine naturelle, les phonèmes consonnes et les phonèmes voyelles n’ont pas d’existence propre de par eux-mêmes. Ils n’existent que dans et par les syllabes. Ce sont elles qui leur donnent l’existence en les distribuant dans la parole. » (André Roman 1987 : 170).

L’arabe marque sa différence par rapport au français par le fait qu’il ne possède pas de syllabe V, c'est-à-dire une syllabe contenant uniquement une voyelle. Il existe, en arabe, deux types de syllabes, soit la syllabe ouverte, c'est-à-dire consonne + voyelle qui peut être soit brève, fa ou longue fiː ou bien la syllabe fermée qui consiste en l’ensemble d’une consonne + voyelle +consonne non vocalisée : min. La distribution des consonnes et des voyelles par les syllabes montre que ces deux ensembles sont disjoints. En d’autres termes, la consonne ne peut pas occuper la place de la voyelle et cette dernière ne peut pas aussi occuper la place de la consonne.

Le mot en langue arabe est appréhendé par deux éléments sur lesquels se base le système morphologique de celle-ci. Il s’agit des deux notions de racine et de schème que nous allons définir et étudier dans ce chapitre puisque le système dérivationnel de la langue arabe est tributaire du fonctionnement de ces deux entités.

1.1. Racine (en arabe « لﺻأ », litt. Origine)

La racine est une entité abstraite que l’on ne peut reconnaître qu’à travers l’analyse morphologique. Il faut savoir que la racine est exclusivement consonantique61. L’arabe est connu par la dominance des mots à racine triconsonantique62, c'est-à-dire des mots composés

61La langue arabe connait la prééminence des consonnes. Il faut savoir que si l’écriture des consonnes est obligatoire, l’adjonction des voyelles brèves demeure facultative. Les voyelles sont au nombre de trois et elles peuvent être brèves ou longues : a/ aː i/ iː u/uː.

62 « Le trilitère représente la racine idéale par sa structure harmonieuse et le peu d’effort que le locuteur fournit en l’employant. Le bilitère dont le nombre de sons est plus réduit n’a pas la même particularité, parce qu’il est dépourvu, si l’on peut dire, de cet élément régulateur, qu’est la « lettre » centrale » (Mhiri 1973 : 247)

100

d’une suite à trois consonnes : بتك kataba (Litt. Ecrire) est formé des trois racines k t b que nous trouvons dans tous les mots partageant des liens sémantiques et dérivés de ces mêmes racines.

L’importance des racines triconsonantiques n’exclut en aucun cas l’existence de racines à quatre ou à cinq consonnes, c'est-à-dire des quadriconsonantiques ou des pentaconsonantiques. Néanmoins, les racines triconsonantiques demeurent les seules capables de couvrir toutes les potentialités de la morphologie verbale et nominale de l’arabe. Il résulte que les racines à cinq consonnes ne peuvent générer que des noms, ce qui fait qu’elles sont exclusivement nominales en comparaison avec les racines tri ou quadriconsonantiques dont la capacité est de produire aussi bien des noms que des verbes.

Le nombre des racines triconsonantiques distinctes possibles atteint, théoriquement, les 22 000. Ce chiffre tient compte des 28 consonnes dont dispose la langue arabe. Toutefois, il faut préciser que le nombre des racines triconsonantiques attesté est inférieur « c’est à la fois parce que certaines racines théoriquement possibles ne sont pas actualisées dans la langue, mais aussi et surtout parce que certains des groupements ainsi obtenus ne sont pas tolérés par la langue. » (Djamel Kouloughli 1994 : 62). A partir de cette constatation, on peut déduire que les racines non attestées peuvent former un stock auquel les linguistes et les terminologues-traducteurs pourraient recourir dans le cadre de la dérivation lexicale et de la création terminologiques dont la finalité serait de couvrir des concepts nouveaux dans des domaines de spécialités

Les consonnes d’une racine peuvent être représentées par des symboles. On nomme la première consonne, considérée comme étant la première radicale R1, la seconde est R2, la troisième R3, la quatrième R4 et la cinquième R5. Dans la racine triconsonantique, il est possible que la R2 et la R3 soient identiques. Dans ce cas, la racine est caractérisée comme étant « redoublée ». On peut illustrer cet aspect par la racine redoublée rdd qui donne lieu en arabe au verbe radda63 (Litt. Rendre). Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, cette racine redoublée n’a pas produit le verbe * radada dans l’usage.

Toutes les consonnes de la langue sont susceptibles de se convertir en radicales, c'est-à-dire former partie d’une racine y compris la hamza et les glides w et y. « Mais en raison de leur relative instabilité, ces trois consonnes, lorsqu’elles sont radicales provoquent diverses

63(Kouloughli 1994)

101

altérations dans la forme des glides. La tendance la plus nette, en ce qui les concerne, est l’impossibilité pour une radicale glide d’apparaître entre deux voyelles brèves identiques.

Ainsi, la racine qwd ne génère le verbe *qawada (où le w se trouverait entre deux voyelles brèves identiques), mais le verbe qaːda conduire… » (Djamel Kouloughli 1994 : 64).

Il est possible de trouver des racines composées d’une ou de deux radicales glides ou hamza. Ces racines sont nommées racines « faibles » (en arabe, ةلتعﻣ روذج ʒuðuːг muʕtalla (Litt. Racines « défectueuses »). Par contre, les racines qui ne contiennent pas de radicales faibles sont appelées racines « fortes » (en arabe ةحيحص روذج ʒuðuːг saẖiːẖa (t) Litt. Racines

« saines »). L’arabe considère, que les mots formés à partir des racines fortes sont ceux qui représentent les modèles de référence pour la morphologie nominale ou verbale. Par conséquent, les racines faibles sont jugées comme des altérations de ces modèles de référence et elles sont soumises à des règles déterminées.

1.2. Schème (en arabe ةغيﺻ ssssiːɤɤɤɤa Litt. morphe)

Les schèmes sont considérés, à l’instar des racines, comme étant des entités abstraites.

« Le schème est constitué de voyelles et éventuellement de consonnes qui peuvent s’insérer en toute position autour des radicales. Les mots de même racine exhibent une certaine parenté sémantique, les mots de même schème une parenté fonctionnelle. Ainsi, kataba « il a écrit », kaːtib « écrivain », maktaba « bibliothèque » et kitaːb « livre », tous de racine ktb partagent l’idée d’écriture. De même, maktab « bureau », malʕab « stade », maṯ ʕam « restaurant » tous de schème ma-R1R2-a-R3 partagent la notion de lieu ». (Kouloughli 2007 : 114).

La notion de schème peut être décrite comme une sorte de « moule » dans lequel on

« fait couler » les racines. De cette manière, la signification primitive véhiculée par la racine s’associe à celle du schème. La racine fournit le contenu sémantique alors que le schème

102

détermine la catégorie morpho-grammaticale. L’exemple de la racine trilitère qrb64 illustre cette association des deux notions racine et schème. En d’autres termes, nous construisons une idée claire qui montre qu’à partir de plusieurs schèmes dans lesquels on « fait couler » cette racine triconsonantique permet d’obtenir des formes nominales et verbales :

Tableau N°1

Ce groupe de mot ayant en commun la racine triconsonantique qrb est un exemple significatif à travers lequel on constate le processus d’actualisation d’une racine par l’intermédiaire de différents schèmes. La racine qrb qui véhicule l’idée générale de proximité donne lieu dans chaque schème à une signification nouvelle déterminée par celui-ci. Cet ensemble de mots permet de constater l’utilisation de voyelles brèves ou longues et le redoublement de consonne, notamment la R2.La catégorisation des schèmes65 est de type nominal ou verbal. Les schèmes verbaux qui forment par préfixation ou suffixation les paradigmes de la dérivation et de la conjugaison aussi bien pour les noms que pour les verbes.

A travers ces quelques lignes, nous avons montré en quoi consistent les notions de racines et de schèmes en langue arabe. Ces deux notions constituent la base de la création lexicale et il résulte par conséquent nécessaire d’en connaître le fonctionnement afin de

64 Exemple pris de (Kouloughli 1994)

65Il existe une notation courante des schèmes utilisée notamment dans les écrits occidentaux. Celle-ci consiste en l’usage des radicaux symbolisés par R1, R2, R3 auxquels on associe des voyelles et éventuellement des consonnes correspondantes au schème à illustrer. Par exemple, le mot لَمَعʕamal (Litt. Travail, action) est formé sur la base de la racine triconsonantique ʕ m l, il peut avoir par la notation le schèmeR1aR2aR3 et le mot بلك kalb (Litt. Chien) dont les racines sont k l b, est formé par le schème R1aR2R3. Aussi, nous avons le mot ةزبخﻣ maϰbaza dont la racine ϰ b z (Litt. Boulangerie) est construit sur la base du schème maR1R2aR3a(t).

بُرق qaгuba être proche

maqгuba (t) proximité ةبُرقَﻣ

بٌرق qaггaba

rapprocher

rapprochement taqarгub بُرقت

بيرق qaгiːb proche, parent

s’approcher ʔiqtiгab بارتقا

يبيرقت taqгibijj

approximatif près de quгba برق

103

comprendre de quelle manière la langue arabe procède pour créer des mots nouveaux dont la finalité est de couvrir des sens nouveaux. « Chaque mot à sa racine et son schème ; on pourrait comparer le vocabulaire à un tissu dont le trame serait l’ensemble des racines attestées dans la langue et la chaine l’ensemble des schèmes existants, chaque point d’intersection de la chaine et de la trame serait un mot sans ambigüité par sa racine et son schème, tout schème de son côté fournissant des mots de différents schèmes66. » (Cantineau 1950:74).