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5.2.3) Spécificités du recueil de discours en sociologie du cinéma : entre évanescence et foisonnement du propos

Chapitre 3 : Problématique le Nouveau cinéma allemand, reflet et catalyseur d’une nouvelle image de l’Allemagne en France ?

Tom 51 ans Agent administratif Villemonble (93)

I. 5.2.3) Spécificités du recueil de discours en sociologie du cinéma : entre évanescence et foisonnement du propos

Dans le cas spécifique des enquêtes en sociologie de la culture, et plus particulièrement en sociologie du cinéma, le déploiement du discours recherché par la

méthode qualitative compréhensive est à la fois freiné et encouragé par la nature même de l’objet explicité.

En effet les propos relatifs aux pratiques culturelles, parce qu’elles se réfèrent en partie au domaine de l’imaginaire, peuvent davantage demeurer de l’ordre de l’inconscient, du non- formulé que les autres pratiques sociales – professionnelles par exemple. Le passage à l’explicitation, à l’extériorisation et au dit de la pensée – passage-clef pour le recueil des données sociologiques dans le cadre de l’entretien, comme l’ont évoqué Blanchet et Gotman – peut être potentiellement paralysé par cet aspect a priori plus inconscient des pratiques culturelles. Il est ainsi parfois difficile pour l’enquêté d’évoquer ses impressions par rapport à un film, d’expliciter son ressenti face à celui-ci. Ces obstacles à la formulation de l’expérience cinématographique sont alors analysés par Sorlin, nous l’avons évoqué, comme un obstacle même à l’appréhension de la rencontre filmique comme objet d’étude sociologique.

Cependant, comme l’expose Ethis, ce caractère à première vue « insaisissable » des pratiques cinématographiques fait précisément partie intégrante de l’expérience spectatorielle : « La relation esthétique est insaisissable dans sa totalité. En empruntant les

chemins de l’enquête de terrain en sociologie de la culture, ce sont précisément les lieux et les limites de l’insaisissable, de l’irréductible et de l’incommunicable des pratiques de la culture en tant qu’objets de médiation des personnalités culturelles qui sous-tendent les analyses »452. Cette incommunicabilité perçue doit être appréhendée par l’enquêteur non comme un barrage à la compréhension des expériences filmiques, mais comme un élément en tant que tel de l’examen des ressorts de « l’être spectateur » : « [C’est] un des ressorts de

notre “être” spectateur : on se plaît à croire qu’il restera toujours une part insaisissable, irréductible, incommunicable dans l’expérience spectatorielle : certains se plaisent à convoquer les catégories ésotériques du mystère, de la passion de la magie de cette expérience. » L’entretien se présente comme un « objet de médiation », une « fiction narrative » qui ne vise pas à retranscrire la « réalité » de ses pratiques culturelles, mais à en

saisir les « logiques de sens, les destinées anoblies par nos aspirations et nos souvenirs »453. La critique de Sorlin à l’encontre du caractère « fictionnel » et « mensonger » du récit de Sartre concernant les expériences spectatorielles de son enfance est ici effacée par la démarche compréhensive, qui vise précisément à étudier ce rapport fictionnel, mnémonique et réflexif aux pratiques culturelles.

452 Ibid, p. 24 453

Les récits relatifs à ces pratiques peuvent ainsi être, à l’encontre de l’objection d’insaisissabilité, extrêmement rationalisés et éloquents : le frein représenté par le caractère parfois évanescent de l’expérience filmique est alors compensé par l’aspect ludique et volubile des discours autour du cinéma. Guy note ainsi que le cinéma est un « bon objet », car il est, pour l’enquêté, un bon « prétexte » pour parler de soi et de la société qui l’entoure :

« Tout le monde ou presque aime parler du cinéma, non seulement pour dire son goût et d’une certaine façon se positionner par rapport à son interlocuteur, mais surtout parce que le cinéma semble se confondre avec la vie. […] parler du cinéma c’est se raconter tout entier, c’est utiliser l’un des meilleurs prétextes sociaux qui soit pour se dire »454

. Le cinéma devient ainsi un objet de discours particulièrement riche parce qu’il déclenche un « buissonnement

symbolique […] faisant feu de tout bois »455

favorisant une vaste ouverture sur l’espace des

significations sociales et individuelles. Ethis appelle ainsi à renoncer à la description exacte des pratiques en sociologie de la culture : « l’invitation est faite de réétudier la finalité même

des enquêtes sur les pratiques de la culture : en effet, la mesure qu’elles prennent n’est jamais tout à fait une mesure de pratique effective, mais une mesure de la manière dont une pratique “fait symboliser”, dont elle ouvre sur une parole, dont elle enclenche une ouverture sur soi et sur le monde imaginé de chacun, dont, enfin, elle métamorphose les relations d’un individu à ce monde-là »456.

Le système de défense des enquêtés dans le cadre des entretiens semi-directifs, qui se traduit souvent par des attitudes de « bluff »457 sont alors compensées, dans le cas des pratiques filmiques, par le caractère éloquent de l’objet cinématographique. Les entretiens effectués auprès des spectateurs à Paris relèvent effectivement d’une parole libre et ouverte autour du cinéma, fournissant un matériau extrêmement prodige et varié.

Cette richesse du matériau est en partie due au biais même de l’enquête par entretien : les spectateurs acceptant l’interview consentent avant tout à dégager deux heures de leur temps afin de discourir d’un sujet déterminé. L’accord de l’enquêté présuppose alors souvent un intérêt préalable pour le sujet qui peut se traduire, au cours de l’entretien, par des propos plus construits et rationalisés.

Dans le cas des pratiques cinématographiques, cet intérêt pour le sujet de l’entretien a fréquemment conduit au recrutement d’enquêtés se définissant eux-mêmes comme des

« amateurs », voire des « amoureux » du cinéma. Certains spectateurs approchés, ne se

454 Jean-Michel GUY, La culture cinématographique des Français, op cit., p. 29 455 Jean Molino cité par Emmanuel ETHIS, Les spectateurs du temps, op cit., p. 150

456 Emmanuel ETHIS, Pour une po(ï)étique du questionnaire en sociologie de la culture, op cit., p. 69 457

considérant pas assez « experts en cinéma », nous ont ainsi redirigés vers des amis « plus

calés », et donc plus à même, selon eux, de répondre à nos attentes. Cependant, les formes

adoptées par cet « amour du cinéma » étant très diverses, le contenu même des entretiens a été varié et hétérogène, couvrant un large spectre de « rapports au cinéma » individuels.

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