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1.2.3) Chute du mur et perspectives de revalorisation pour la renommée du cinéma allemand

L’horizon du troisième âge d’or

Chapitre 1 La production allemande au début des années 1990 : crise cinématographique et quête de représentativité culturelle

II. 1.2.3) Chute du mur et perspectives de revalorisation pour la renommée du cinéma allemand

La présentation de l’état des lieux du cinéma allemand à la réunification, ainsi que le tour d’horizon diachronique des mécanismes de catégorisation d’une cinématographie spécifique en tant que « représentant culturel », « cinéma d’Allemagne », permet désormais de dégager les principaux éléments analytiques présidant à l’étude du Nouveau cinéma allemand en termes d’émanation située de l’Allemagne réunifiée :

> Tout d’abord, le constat établi par les professionnels du cinéma allemand à la réunification repose sur trois éléments distincts mais intrinsèquement liés : crise productive, crise réceptive et crise d’exportation ne peuvent être dissociées, car elles s’autoalimentent par des mécanismes de cercles vicieux se présentant comme des vases communicants. La crise productive repose principalement sur une production faible et peu diversifiée, qui entraîne une désaffectation du public local et international déniant au cinéma sa fonction même de « médium de masse » et, par ainsi, sa fonction de représentant allemand à l’étranger. Ce cinéma du consensus, neutre et apolitique, serait ainsi à la fois « trop allemand » et « pas assez allemand » pour acquérir un caractère de marchandise exportable au sein de l’industrie culturelle.

Le constat de crise débouche alors, à la réunification, sur la nécessité d’une « reprise en main » de la branche cinématographique par ses protagonistes, tant au niveau des professionnels de la branche qu’au niveau des politiques publiques cinématographiques. Il s’agit avant tout essentiellement d’augmenter et de diversifier la production, et ce notamment afin de dépasser l’antagonisme entre cinéma d’auteur et cinéma commercial qui prédomine en Allemagne jusqu’à la réunification. Le marasme cinématographique constaté est alors également lié à une dévalorisation de la catégorie même de cinéma allemand en tant que médium de masse, et à son appréhension péjorative en tant que cinéma de consensus. La reconnexion avec un public local et international suppose alors, selon les professionnels de la branche, une augmentation des moyens mis à leur disposition.

> La revalorisation de la catégorie même de cinéma allemand, à l’exemple des deux âges d’or assignés, est avant tout a contrario conditionnée par la mise en place de cercles vertueux entre politiques publiques et branche cinématographique, et sous-tendue par la capacité d’exportation des productions allemandes. Le paradigme de la représentativité du cinéma allemand se déploie, tout au long de son histoire, selon des logiques dialectiques entre réception interne et externe, rapports positifs et critiques par rapport à la société allemande.

L’engagement de l’État, financier mais aussi institutionnel – notamment par le biais des instances d’exportation – n’est ni direct ni intrusif, mais s’apparente à une fonction de soutien

a posteriori et de sponsorisation d’un essor déjà initié. Ce soutien entre politiques publiques

et production, en dehors des périodes autoritaires, est ainsi sous-jacent et latent, et non pas inné et immédiat.

Le contexte socio-historique de la réunification fournit alors des opportunités aux différents acteurs de la sphère cinématographique pour repenser le cinéma comme forme économique viable et forme culturelle médiane : la re-sémantisation de la catégorie de « cinéma allemand » implique ainsi de questionner ce lien entre politiques publiques et acteurs de la branche cinématographique. Nous questionnerons notamment le rôle de « sponsor » de l’État depuis 1990, afin d’explorer les liens d’affinités électives qui se mettent en place entre les instances politiques, les professionnels de la branche et les logiques d’exportation pour améliorer la réputation et l’« acceptation » [Akzeptanz] du cinéma allemand en Allemagne et à l’étranger.

> L’appréhension d’une période filmique en termes « d’âge d’or » est principalement liée, en Allemagne, à la production et à l’exportation de ce que Kracauer nomme « les divertissements esthétiques qualifiés », c’est-à-dire des films médians à mi-chemin entre la catégorie commerciale et auteuriste. L’étude de la reconnaissance du Jeune cinéma allemand d’auteur en tant que représentant culturel de l’Allemagne indique en effet que les réalisations les plus populaires, en Allemagne comme à l’étranger, de ce Jeune cinéma ne sont représentés par le pan le plus expérimental et déconstruit de cette mouvance, mais par son pan se rapprochant le plus des catégories commerciales grand public. Après 1945, ces divertissements esthétiques qualifiés se concentrent de plus autour de la mise en récit de l’histoire douloureuse de l’Allemagne, qu’ils abordent de façon critique et distanciée en réponse à l’authenticité revendiquée des réalisations hollywoodiennes thématisant cette période.

Le divertissement esthétique qualifié et historique devient ainsi, après la guerre, un label recherché, tant en Allemagne qu’à l’étranger, pour imprimer au cinéma allemand une « couleur » reconnaissable favorisant son exportation et son acceptation. Ces mécanismes sériels de l’industrie culturelle conditionnent alors un horizon d’attente international autour de cette spécificité du cinéma allemand, centrée autour de la popularisation du traitement du nazisme en tant que motif cinématographique. La réunification, et le renouvellement générationnel qui l’accompagne, catalyse un renouvellement des débats autour de ce

traitement, qui se traduit notamment, nous le verrons, par un rapport plus « libéré », moins torturé, des protagonistes de la branche filmique au passé récent.

La fin des années 1990 est ainsi marquée par une remobilisation à la fois des politiques publiques et des protagonistes de la branche productive pour la revalorisation du cinéma allemand comme médium de masse, apte à rencontrer un public local et international. La mise en place d’une spirale positive autour de la production filmique, caractérisée par une coopération plus marquée entre pouvoirs publics et milieu du cinéma, reflète et catalyse alors dans le même temps un paysage cinématographique élargi, dont nous détaillerons d’une part les formes filmiques ; d’autre part les thématiques et motifs récurrents. Nous présenterons ainsi les ruptures et les continuités de la fonction représentative du cinéma allemand au cours de son histoire afin de mieux saisir en quoi l’évolution des politiques cinématographiques et du paysage filmique depuis 1990 prolongent les termes de cette représentativité tout en les redéfinissant. Nous verrons notamment que si le Nouveau cinéma allemand peut être également défini comme un « cinéma de consensus », c’est avant tout parce qu’il entretient un rapport désormais mélioratif à cette catégorie : le consensus s’applique désormais à un cinéma soutenu à la fois par la sphère politique et la branche des professionnels, et reconnu en Allemagne comme à l’étranger en tant que filmographie représentative. Si le Nouveau cinéma allemand est plus diversifié que la production des années comédie, sa visibilité repose essentiellement sur son traitement des thématiques historiques – il prolonge en cela les mécanismes de popularisation du Jeune cinéma allemand.

Nous questionnerons ainsi le lien établi entre ces motifs et le contexte socio-historique de la réunification par le biais de la poétique de visibilité kracauerienne, associée à l’analyse de Sorlin en termes de « points de fixation ».

L’analyse en termes d’affinités électives, qui s’articule autour de l’étude des procédés de choix actifs des différents acteurs, permet ici de questionner les analogies entre Nouveau cinéma allemand et Allemagne réunifiée selon un rapport de convergence souple, appelant une activité des différents pôles de protagonistes composant cette sphère. Ces analogies – que Kracauer empruntent à Simmel pour déployer sa poétique de la visibilité – se présentent alors comme des « connexions nécessaires entre d’innombrables faits sociaux »568. Le passage de la potentialité à l’effectivité, qui distingue l’affinité « élective » de la simple affinité, est

568

conditionné, selon l’interprétation de Löwy de la notion wébérienne, par des « conditions

historiques et sociales concrètes », par une constellation sociétale fournissant aux formes

culturelles établissant ce rapport d’affinité des opportunités pour transformer la « puissance

en acte »569. Nous questionnerons ici les éléments de catalysation du Nouveau cinéma allemand à l’aide de cette interrogation autour de la concrétisation de potentialités productives conditionnées par le contexte socio-historique de la réunification : en quoi ce contexte définit- il de nouvelles opportunités pour les protagonistes de la sphère de production, favorisant la mise en place de cercles vertueux autour du paysage filmique contemporain ?

569 Michael LÖWY, « Le concept d’affinité élective chez Max Weber » op cit., p. 101 : « Il est important de

souligner que l’affinité est une analogie encore statique, qui crée la possibilité mais non la nécessité d’une convergence active, d’une attraction élective. La transformation de cette puissance en acte, la dynamisation de l’analogie dépend de conditions historiques et sociales concrètes. »

Chapitre 2 - Evolutions de la sphère productive depuis 1990 : entre

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