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1.1.1) Constat de crise : entre désillusion et espoir

L’horizon du troisième âge d’or

Chapitre 1 La production allemande au début des années 1990 : crise cinématographique et quête de représentativité culturelle

II. 1.1.1) Constat de crise : entre désillusion et espoir

Les mutations du Nouveau cinéma allemand se développent tout d’abord partir du constat de crise formulé par les professionnels de la branche cinématographique au début des années 1990.

La période du tournant socio-politique de la réunification est en effet souvent désignée, à la fois par les professionnels et par les théoriciens du cinéma, comme une « traversée du désert » pour le cinéma allemand. Au sein de la mise en récit du cinéma allemand, nous l’avons évoqué, la fin des années 1980 et le début des années 1990 sont présentées comme des « années maigres »461, des années de « dépression »462. Cette analyse se décline même parfois en termes de « mort » de « disparition » du cinéma allemand : le producteur et réalisateur Laurens Straub écrit ainsi en 1990 : « Tout est bien qui finit bien. C'en est fini du cinéma allemand. Mort, congédié. Des nécrologies de toutes parts. Qu'il s'agisse cette fois d'une disparition certaine nous est indiqué par le caractère non spectaculaire de cette extinction. Pas de crash de film, pas d'effondrement spectaculaire, le souffle est simplement épuisé, à plat »463.

Ce constat de crise est alimenté par des indicateurs statistiques faibles : d’une part l’Allemagne produit, au début des années 1990, moins de 80 films par an – contre une moyenne de 130 aux tournants des années 2010464. D’autre part, l’analyse en termes de crise de la réception est alimentée par la baisse de la part de marché du cinéma allemand sur le

461 Bernard EISENSCHITZ, Le cinéma allemand, op cit., p. 114 462 Monika BELLAN, 100 ans de cinéma allemand, p. 133

463 Laurens Straub cité par Wolfgang JACOBSEN, Anton KAES, Hans Helmut PRINZLER (dir.), Geschichte

des deutschen Films, op cit., p. 281 [Traduction effectuée directement depuis le texte en allemand.]

464

Source : Wolfgang JACOBSEN, Anton KAES, Hans Helmut PRINZLER (dir.), Geschichte des deutschen

Films, op cit., p. 288 / Cf. Également : Données statistiques du CNC « Panorama 2012 du cinéma mondial ». A

titre indicatif, la France produit une moyenne de 110 films par an au début des années 1990 (chiffres du CNC « Production cinématographique », Disponibles au sein de la rubrique « statistiques » du site du CNC : http://www.cnc.fr/)

marché intérieur, qui passe de 10% en 1990 à 7% en 1993, et 6% en 1995465. A titre de comparaison, la part de marché du film national en France, à la même époque, se situe entre 30 et 40%466. Renstchler indique alors que cet affaissement des chiffres de fréquentation modifie la définition même du succès public d’un film allemand : dans les années 1990, un film national est considéré comme « à succès » lorsqu’il atteint la barre des 100 000 spectateurs au cinéma467. Enfin, les chiffres d’exportation sont également médiocres : au début des années 1990 par exemple seuls 5 films allemand par an sont proposés en moyenne aux spectateurs français, contre une moyenne trois fois plus élevée, de 15 films par an, au début des années 2010468. En 1992, le président du parti social-démocrate allemand, Oskar Lafontaine, lors du forum culturel de la social-démocratie [Sozialdemokratie] consacré à l’avenir du film européen et national, indique que ces chiffres étayent alors facilement une métaphore formulée par un article du Suddeutsche Zeitung en janvier 1992, comparant la situation du cinéma national à l’extinction des hannetons : « Il en est des films allemands

comme des hannetons : on en aperçoit de plus en plus rarement »469. Le cinéma allemand,

« en voie d’extinction », semble ainsi menacé dans sa capacité même à se définir en tant que médium de masse culturellement et socialement significatif.

Le faible niveau de ces trois indicateurs – chiffres de production, de fréquentation et d’exportation – objectivent ainsi pour les observateurs une impression de déliquescence du cinéma allemand à trois niveaux : crise de production, crise de réception et enfin crise de représentativité. Eric Dufour analyse ainsi également cette crise comme un marasme généralisé, touchant tous les niveaux de médiation du cinéma allemand : « Ce qui y est lié,

mais sans qu’on puisse dire ce qui est la cause et ce qui est l’effet, c’est que les spectateurs allemands ne vont pas voir de films allemands et que les cinémas allemands proposent peu de films allemands »470.

465 Source : Pierre GRAS, Good bye Fassbinder !, op cit., p. 238, ainsi que Bernard EISENSCHITZ, Le cinéma

allemand, op cit., p. 119

466

Source : Pierre GRAS, Good bye Fassbinder !, op cit., p. 238

467 Eric RENTSCHLER, « From New German Cinema to the Postwall Cinema of Consensus » in Cinema and

Nation, Routledge, London and New York, 2000, pp. 260-277, p. 264

468 Source : Pierre GRAS, Good bye Fassbinder ! op cit., pp. 11 et 13 / Cf. également statistiques du CNC :

« Statistiques de distribution des films en salles » Disponibles au sein de la rubrique « statistiques » du site du CNC : http://www.cnc.fr/

469 Lafontaine cité par Zukunft des europäischen Films, Nationale und europäische Filmpolitik in der

Diskussion, Klartext Verlag, Kulturforum der SPD (Dir.) Essen, 1993, p. 9 [Traduction effectuée directement

depuis le texte en allemand.]

470

Nous présentons désormais les éléments constitutifs de ce constat de crise délétère par rapport à ces trois échelles. Les analyses du début des années 1990 font alors état d’un sentiment de perte, voire de désillusion : cependant ce délitement du cinéma allemand s’accompagne également de l’affirmation d’une disposition à la réaction, de la formulation d’une volonté d’ouverture et de remobilisation qui se traduit par la recherche d’un nouvel avenir possible pour la production locale. Nous verrons alors que la réunification, notamment parce qu’elle redéfinit des espaces de restructuration politique et industrielle, se présente dans ce contexte de crise comme une opportunité pour la mise en œuvre d’un paradigme cinématographique renouvelé, tant au niveau des politiques de soutien étatique qu’au niveau du redéploiement industriel de l’Allemagne comme nation de cinéma [Filmnation].

II.1.1.2) Stagnation productive : la polarisation autour des comédies

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