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2.1.1) Histoire du cinéma et patrimonialisation : tension entre exhaustivité et prévalence des âges d’or

Première partie : Le cinéma allemand comme objet d’étude sociologique, méthodes et problématisation

Chapitre 2 Etat de la recherche : Cinéma allemand et Sociologie du cinéma

I. 2.1.1) Histoire du cinéma et patrimonialisation : tension entre exhaustivité et prévalence des âges d’or

a) Présentation générale de l’historiographie

Les études consacrées à l’histoire générale du cinéma allemand52 distinguent généralement deux « âges d’or » – le cinéma expressionniste de l’entre-deux-guerres et le Jeune cinéma d’auteur ouest-allemand des années 1970 – et segmentent cette histoire filmique en cinq périodes chronologiques distinctes. L’encadré ci-dessous présente ces cinq périodes.

> Chronologie de l’histoire du cinéma allemand

a) 1895 – 1918 : prémisses du cinéma, de son invention à la Première Guerre mondiale; b) 1918 – 1933 : période de l’entre-deux-guerres, dont l’étude est centrée sur le cinéma expressionniste ;

c) 1933 – 1945 : période du national-socialisme, marquée d’une part par un exil massif des protagonistes du cinéma de la période précédente, et d’autre part par l’avènement du cinéma de propagande nazi ;

d) 1945 – 1989 : période de la Guerre froide. Cette période comprend à la fois l’étude du cinéma ouest-allemand, centrée autour du Jeune cinéma d’auteur des années 1970, et celle du cinéma est-allemand sous l’égide de la Defa (Deutsche Film AG), la société de production d’État de la RDA ;

e) 1990 – aujourd’hui : période du cinéma contemporain depuis la réunification. Les historiens isolent, au sein de cette période, la décennie 1990, années de « dépression » 53, et, à partir de la fin des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, une période d’essor, de « nouveaux débuts »54 selon

Bernard Eisenschitz.

Le découpage du temps cinématographique correspond fréquemment, au sein de ces ouvrages, aux ruptures de l’histoire du XXème siècle allemand, à ses « dates scansion », pour reprendre le terme de Jacques Revel dans sa préface consacrée à L’histoire des avant-

dernières choses de Kracauer55. Kracauer, dans son questionnement autour de l’appréhension

de l’histoire par les sciences sociales, propose en effet une analyse critique des concepts de périodes historiques, centrées autour de dates circonscrites, ce que Revel redéfinit comme des

« dates scansion ». Kracauer ne récuse pas catégoriquement ces dates scansions, mais les

appréhende comme une conviction commune généralisée que le chercheur doit réexaminer dans son travail de compréhension du flux de l’histoire, afin de laisser la place à ce qu’il nomme « l’antinomie du temps historique », c’est-à-dire aux oppositions et contradictions

52 Cf. Monika BELLAN, 100 ans de cinéma allemand, Ellipses, Paris, 2001 / Bernard EISENSCHITZ, Le

cinéma allemand, Nathan, Paris, 2007 / Wolfgang JACOBSEN, Anton KAES, Hans Helmut PRINZLER (dir.), Geschichte des deutschen Films, Metzler Verlag, Stuttgart, 2004 / Sabine HAKE, Film in Deutschland. Geschichte und Geschichten seit 1895, Rowohlt Verlag, Reinbek, 2004

53 Monika Bellan, 100 ans de cinéma allemand, op cit., p. 133 54 Bernard EISENSCHITZ, Le cinéma allemand, op cit., p. 120

55 Siegfried KRACAUER, L’histoire des avant-dernières choses, Editions Stock, Paris, 2006, p. 33 [Préface de

inhérentes à cette temporalité : « L’historien est confronté à un énorme problème –

l’antinomie qui est au cœur du temps chronologique. […] Ce qui entrave constamment sa démarche, c’est que les événements qu’il tente de relier entre eux relèvent de domaines différents et ne se laissent donc pas traiter comme les éléments d’une séquence temporelle unifiée et pourvue de sens »56.

Les ouvrages historiques consacrées au cinéma allemand témoignent de cette recherche de séquences temporelles significatives, qui d’un côté favorisent la description chronologique de l’objet étudié, mais qui de l’autre entravent la compréhension de son caractère antinomique, contradictoire et multiple. Il s’agit non pas de remettre radicalement en cause ces scansions, mais d’inclure l’étude de cette contradiction au cœur de l’analyse de l’objet filmique.

La division des périodes cinématographiques présentée ci-dessus vise ainsi principalement à dégager des constantes et des ruptures dans la description du paysage cinématographique. Elle dessine des regroupements et des courants filmiques significatifs, et ce faisant elle participe d’une édification en partie a posteriori de ces courants. Elle atteste également de l’établissement d’un rapport d’homologie admis entre histoire du cinéma allemand et histoire de l’Allemagne. Au sein de ces ouvrages, le cinéma allemand est souvent appréhendé sous l’angle de cette homologie, comme une caisse de résonnance privilégiée des fractures politiques du pays, comme l’expose Bernard Eisenschitz : « L’histoire du cinéma

allemand se confond avec celle du siècle. Le cinéma est devenu l’histoire même de l’Allemagne, il en a été partie prenante et l’a modelée, opinion et vision. Les ruptures y sont plus visibles qu’ailleurs »57

. Les différents courants du cinéma allemand sont alors resitués dans leur contexte culturel, économique, politique et esthétique, et délimités par les dates scansions de l’histoire du XXème siècle en Allemagne.

Afin de situer par la suite notre recherche autour du Nouveau cinéma allemand au sein de cette mise en récit historique, nous présentons ici un rapide survol de son histoire scandée jusqu’à la réunification. Ce tour d’horizon vise en outre à éclairer ultérieurement les discours de nos enquêtés – à Berlin comme à Paris – se référant à cette histoire générale du cinéma allemand. Nous exposons donc les principaux protagonistes de cette histoire, mais aussi ses institutions centrales. L’introduction des catégories cinématographiques jalonnant la mise en

56 Siegfried KRACAUER, L’histoire des avant-dernières choses, op cit., p. 236 57

récit scientifique de l’histoire du cinéma allemand – dans leur lien aux propriétés esthétiques et thématiques de la production effective – vise alors à confronter ces catégories aux catégorisations indigènes récoltées par rapport au Nouveau cinéma allemand.

Cette présentation s’accompagne d’une mise en lumière spécifique des deux âges d’or reconnus du cinéma allemand. Les historiens du film tendent en effet, au cœur de l’homologie historique entre histoire du cinéma allemand et histoire de l’Allemagne, à centrer leur analyse autour de ces âges d’or. Eisenschitz présente ainsi son ouvrage consacré au cinéma allemand en appuyant cette prédominance : « A deux moments de son histoire, l’Allemagne a été au

centre du cinéma mondial. La période 1919-1933 voit se développer le courant expressionniste […]. Dans les années 1960, le “Jeune cinéma allemand” […] contribue à redonner une mémoire au pays »58. Monika Bellan notifie également la primauté historicisée

de ces deux courants et leur prévalence au sein de la recherche consacrée au cinéma allemand : « Le cinéma allemand a connu deux époques phares, les années vingt et les années

soixante-dix […] Ce livre présente les œuvres les plus importantes de ces périodes tout en s’attachant à les situer dans le contexte historique et culturel qui a été leur toile de fond »59

. Ces deux âges d’or sont présentés comme les miroirs cinématographiques les plus caractéristiques de l’évolution du contexte sociétal allemand au cours du XXème siècle. Leurs définitions soulignent souvent une similitude thématique autour d’un cinéma du malaise, reflet des ruptures et des angoisses propres à l’histoire allemande, définition surplombante qu’il convient de réexaminer par rapport à la production contemporaine.

Cette présentation ne vise pas l’exhaustivité, mais se penche principalement sur l’exposition des principales œuvres-phares de ces deux périodes, ainsi que sur leurs formes, leurs styles et leurs thématiques marquantes. Il s’agit avant tout d’appréhender cette notoriété cinématographique comme un élément de la mémoire collective autour du cinéma allemand, afin d’examiner par la suite son ancrage au sein des visions du monde individuelles en tant qu’élément de la germanité filmique. Notre interrogation initiale autour du caractère de « nouveauté » du cinéma allemand contemporain implique de plus une comparaison des caractéristiques de ce dernier avec celles de ces deux âges d’or, afin de déceler les éléments de rupture et de continuité entre le cinéma de patrimoine et la filmographie actuelle – tant au niveau formel, thématique que relativement à la relation entretenue par la branche cinématographique aux institutions publiques.

58 Ibid, Quatrième de couverture. 59

Le choix de proposer une présentation plus resserrée des autres périodes du cinéma allemand correspond alors d’une part à l’élaboration de notre objet et des enjeux de notre recherche, d’autre part à notre volonté de restituer au mieux les points de fixation mis en évidence par l’état de la recherche. Nous évoquerons par la suite les implications et les limites théoriques de cette conceptualisation orientée du cinéma allemand, afin de questionner les mécanismes de patrimonialisation et de légitimation d’une mouvance cinématographique en termes de représentant culturel de son pays d’origine.

b) Histoire scandée du cinéma allemand

La première période s’apparente à une phase d’industrialisation sous l’égide de l’Empire allemand. Elle est marquée en 1917 par la création de la plus grande société de production allemande des années 1920 et 1930, l’Ufa (Universum Film AG). L’Ufa, à l’origine instrument de propagande de l’armée allemande au service de la guerre psychologique menée par le général en chef des armées, le général Ludendorff, devient pendant la République de Weimar le moteur du cinéma allemand.

Ce cinéma se développe alors rapidement autour des studios de Babelsberg à Postdam, en banlieue de Berlin. La centralisation voulue par Ludendorff autour d’un appareil industriel unique dans un souci d’efficacité politique60

est alors profitable aux protagonistes de la production de l’entre-deux-guerres, qui disposent avec l’Ufa et les studios de Babelsberg d’un complexe cinématographique puissant, parfois qualifié de « Hollywood allemand »61. Le cinéma de l’entre-deux-guerres, innervé par ailleurs par l’effervescence artistique et thématique succédant à la période de la guerre, connaît un essor grandissant amenant les historiens du cinéma à caractériser cette période – et surtout le courant expressionniste – comme le premier âge d’or du cinéma allemand, né des décombres de la Grande Guerre. Eisenschitz écrit ainsi : « C’est par le cinéma que le monde va redécouvrir l’Allemagne, mise

au ban des nations après la guerre »62. Nous exposons ci-dessous les principales caractéristiques esthétiques et thématiques de ce premier âge d’or.

60 Bernard EISENSCHITZ, Le cinéma allemand, op cit., p. 14

61 Cf. « Les studios Babelsberg ou le Hollywood allemand », documentaire diffusé sur Arté le 1er février 2012

(22h13).

62

> Le premier âge d’or : expressionnisme et République de Weimar (1919-1933)

Le cinéma expressionniste est généralement assimilé au mouvement artistique plus vaste de l’expressionnisme, qui se déploie dans des domaines variés - peinture, musique, théâtre notamment - et qui est perçu comme une forme d’expression violente, déconstruite, visant à capter le nouvel esprit du temps, marqué par les horreurs de la guerre, par les visions angoissantes des combats et des corps mutilés. L’expressionnisme se caractérise alors généralement par une déformation symbolique des éléments du monde ontologique, par son caractère stylisé voire fantasmagorique.

Le cinéma allemand de la République de Weimar, parce qu’il propose des séries de films pouvant être rattachés à cette définition par leurs thématiques fantastiques, la démesure de leurs décors, leur visuel dur et intense et leurs thématiques inquiétantes et obscures, est souvent amalgamé sous ce terme de « cinéma expressionniste ». Le cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene (1920)63, qui met en scène, dans des décors irréalistes, un hypnotiseur manipulant un somnambule afin qu’il commette crimes et assassinats, est fréquemment désigné comme le

« manifeste de l’expressionnisme cinématographique »64. La définition de ce-dernier est orientée vers une cohérence thématique autour de ce qu’Éric Dufour nomme les « figures du mal »65 : Nosferatu

le vampire, de Friedrich Murnau (1922)66, est la première adaptation cinématographique de l’histoire de Dracula, tandis que Docteur Mabuse le joueur, de Fritz Lang (1922)67 met en scène un génie du crime qui, sous de multiples déguisements et par le biais de l’hypnose et de la manipulation, provoque le chaos afin d’étendre son pouvoir social. L’expressionnisme, selon Dufour, désigne alors les films faisant de l’abstraction un moyen de révéler l’irrationalité. Il est, en ce sens « un cinéma qui met en scène le mal, qui prend le mal pour objet. Le mal, c’est d’abord

l’irrationnel »68. L’exagération et la systématisation du clair-obscur, les contrastes de lumière très

marqués sont appréhendés comme une cohérence visuelle venant redoubler leur cohérence thématique tendant à signifier que le « monde est entièrement contaminé par le mal ».

Les historiens du cinéma, notamment à la suite de Kracauer dans De Caligari à Hitler, rattachent par ailleurs cette cohérence autour de la représentation du mal, de la manipulation et de la domination sociale à « l’esprit du temps »69 [Zeitgeist] régnant en Allemagne pendant l’entre- deux-guerres. Cet esprit du temps malsain et délétère aurait préfiguré la catastrophe du national- socialisme : « En exprimant l’âme allemande, les films d’après-guerre semblent en faire une énigme

encore plus profonde. Macabre, sinistre, morbide : tels étaient les adjectifs préférés pour les décrire »70. Kracauer élabore ainsi un pan de sa sociologie du cinéma par le biais de cet exemple

paradigmatique. Le cinéma devient un intermédiaire pour saisir un phénomène sociétal : « La

révélation des [dispositions intérieures du peuple allemand] par l’intermédiaire du cinéma allemand peut aider à la compréhension de l’ascension et de l’ascendant d’Hitler»71. Kracauer dégage notamment deux thèmes phares des films de l’entre-deux-guerres, la tyrannie et le chaos, et indique leurs « étranges » affinités avec la période nazie ultérieure72.

63Le cabinet du Docteur Caligari (Das Cabinet des Dr. Caligari) – 1920 – Robert Wiene – Drame, Thriller,

Fantastique. N.B. : Les informations relatives aux films n’appartenant pas directement à notre corpus – notamment les films de patrimoine – seront indiquées en note de bas de page. Pour ces films, la date indiquée correspond à la date de sortie en Allemagne. Par la suite, nous utiliserons dans le texte le titre français du film. Si ce dernier n’existe pas, nous utiliserons alors son titre allemand. Les genres notifiés correspondent toujours au genre indiqué a priori par le site de référencement Allociné, ils sont mentionnés ici à titre purement informatif.

64

Monika BELLAN, 100 ans de cinéma allemand, op cit., p. 26

65 Eric DUFOUR, Le mal dans le cinéma allemand, Armand Colin, Paris, 2014, p. 29

66 Nosferatu le vampire (Nosferatu, eine Symphonie des Grauens) – 1922 – Friedrich Murnau – Epouvante,

Horreur

67 Docteur Mabuse le joueur (Doktor Mabuse, der Spieler – Ein Bild der Zeit) – 1922 – Fritz Lang – Drame,

policier

68 Eric DUFOUR, Le mal dans le cinéma allemand, op cit., p. 26

69 N. B. : Nous utiliserons par la suite le terme d’« esprit du temps » en précisant entre crochets sa référence à la

sémantique allemande [Zeitgeist].

70 Siegfried KRACAUER, De Caligari à Hitler, op cit., p. 3 71 Ibid, p.12

72 Ibid, p. 83 : « C’est […] une étrange coïncidence qu’à peine 10 ans plus tard, l’Allemagne nazie mettra en

Si l’analyse de Kracauer est souvent critiquée pour son caractère rétroactif et a posteriori,

elle demeure cependant relayée par les ouvrages généraux consacrés au cinéma allemand, notamment par Eisenschitz qui définit « l’écran démoniaque » expression qu’il emprunte à Lotte

Eisner73 – comme « la meilleure expression de l’état du pays et de son imaginaire ». Il réaffirme la fonction de reflet social du cinéma expressionniste, dont on ne peut attribuer les « échos de leur

temps, souvent prophétiques », au simple « hasard »74. L’analyse de Kracauer favorise ainsi une étude contextualisée de la production filmique. Elle questionne par ailleurs les spécificités du cinéma allemand par rapport aux autres cinémas nationaux, en mettant en évidence des correspondances de motifs thématiques significatifs - notamment quant à la mise en scène du malaise social.

La période national-socialiste met fin à ce premier âge d’or, et constitue la deuxième rupture historique marquante de l’évolution du cinéma allemand selon les historiens, après celle de la Première Guerre mondiale.

L’accession au pouvoir d’Hitler entraîne tout d’abord un exil massif des principaux protagonistes du cinéma de l’entre-deux-guerres – Fritz Lang, Marlène Dietrich, Billy Wilder notamment – essentiellement à Hollywood, ce qui amène Eisenschitz à évoquer une « autre

Allemagne »75, déterritorialisée aux États-Unis. Cet exil massif prive le cinéma allemand, après la guerre, d’une base esthétique et technique solide, et amène les cinéastes du Jeune cinéma allemand des années 1970 à évoquer une « perte des pères », une « génération

orpheline »76 : la période nazie correspond en ce sens à une forme de « brèche » dans l’histoire du cinéma allemand. D’un point de vue industriel cependant, la continuité est assurée par la nationalisation progressive des instances cinématographiques préexistantes, notamment de l’Ufa, de nouveau transformée en instrument de propagande – cette fois-ci au service du régime nazi et de son ministre de la propagande, Goebbels. Ce dernier appréhende le cinéma comme l’agent principal de sa propagande de masse. Il privilégie d’une part les films de distraction destinés à mettre en scène les aspects rassurants, romantiques et idéalisés d’une société conservatrice, d’autre part des films de propagande célébrant le nazisme et son idéologie. Les exemples les plus connus de ces films de propagande nazis sont Le Juif Süss, film antisémite de Veit Harlan (1940)77, ainsi que les deux documentaires monumentaux de Leni Riefenstahl visant à glorifier les rassemblements nazis - eux même déjà mis en scène par Albert Speer, l’architecte du régime. Le triomphe de la volonté (1934)78

représente ainsi le congrès du parti à Nuremberg avec une scénographie monumentale tandis que Les dieux du

73 Lotte EISNER, L’écran démoniaque, Ramsay, Paris, 1996 74 Bernard EISENSCHITZ, Le cinéma allemand, op cit., pp. 15 - 16 75

Ibid, p. 68

76 Cf. Wim Wenders cité par Inga SCHARF, Nation and Identity in the new German Cinema, homeless at home,

Taylor and Francis, New-York, 2008, p. 33

77 Le Juif Süss (Jud Süß) – 1940 – Veit Harlan – Drame 78

stade (1936)79 est consacré aux Jeux olympiques de Berlin. Eisenschitz, à la suite de Susan Sonntag, analyse ces documentaires comme l’exemple le plus abouti du concept

« d’esthétisation de la vie politique »80 de Walter Benjamin. Ce dernier met en effet en évidence les affinités entre le fascisme et les formes esthétiques et spectacularisées des moyens de reproduction technique moderne. Ainsi la période nazie, si elle rompt avec les thématiques, les contenus et les motifs du cinéma de l’entre-deux-guerres, ne constitue pas une rupture industrielle au sein de la production allemande.

La fin de la Seconde Guerre mondiale marque quant à elle une rupture productive en Allemagne. Elle aboutit en effet, parallèlement à la partition du pays, à la scission du cinéma allemand et de ses infrastructures en deux cinématographies parallèles. A l’Est, le cinéma est placé sous contrôle du régime, et la production s’organise autour de la Defa (Deutsche Film

Aktiengesellschaft), la société d’État de la RDA. Les studios de l’Ufa à Postdam étant de facto

situés à l’Est du pays, la Defa reprend ces infrastructures, et l’Ufa est dissoute pour être recréée à l’Ouest en 1956. Elle se spécialise alors dans la production de téléfilms ou de documentaires et non plus dans la production de films de cinéma. La centralisation industrielle à l’Ouest est ainsi désarticulée, et la production s’organise désormais principalement autour de trois petits pôles distincts : Munich, Hambourg et Berlin81. Il s’agira ultérieurement de questionner les implications de la réunification politique, cette fois, sur la réorganisation industrielle de la production cinématographique en Allemagne.

Le cas du cinéma est-allemand, dans le cadre de la présente recherche, est avant tout éclairant car il permet de questionner, nous le verrons, les mécanismes de patrimonialisation guidant la visibilité de certains courants cinématographiques en tant que mouvements représentatifs de leur pays d’origine. Malgré une production en partie exigeante et de qualité, ce cinéma est en effet rarement – voire jamais – reconnu par les sphères de réception françaises – expertes comme profanes – en tant que partie prenante de la définition du « cinéma allemand » comme genre cinématographique.

Les débuts de la Defa sont en effet marqués par une intense période d’activité artistique, sous l’égide des cinéastes et dramaturges exilés d’obédience communiste qui, à la fin de la guerre, décident de rémigrer en RDA. Le contrôle de l’État sur la production est tout d’abord souple : ces scénaristes, réalisateurs, producteurs expérimentés ont, jusqu’au

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