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2.1.2) Centralisation modérée : naissance d’un système coordonné entre régions et fédération

L’horizon du troisième âge d’or

Chapitre 2 Evolutions de la sphère productive depuis 1990 : entre promotion du cinéma allemand et du Made in Germany

II. 2.1.2) Centralisation modérée : naissance d’un système coordonné entre régions et fédération

Depuis la fin des années 1990, l’État se positionne comme un acteur d’une politique de centralisation partielle du domaine cinématographique en Allemagne.

La culture est en effet traditionnellement une prérogative des Länder en Allemagne: l’évocation même d’une « politique culturelle » centralisée est alors, originellement, problématique, car elle présuppose un conflit d’intérêt entre les deux niveaux politiques. L’intervention de l’État est alors notamment critiquée par les tenants du modèle libéral à l’américaine585

: cependant, la concentration industrielle trop faible en Europe, et notamment en Allemagne, appelle cette intervention de l’État. La crise cinématographique des années 1990 renforce d’autre part l’injonction à une réaction étatique afin de lutter contre la « loi de Baumol », qui correspond selon Benghozi au caractère inéluctable du déficit des industries culturelles et « conduit à dilemme économique car les pouvoirs publics interviennent de plus

en plus pour compenser le déficit structurel »586. En 1992, les intervenants du Forum culturel de la Sozialdemokratie soulignent ainsi la « responsabilité de l’Etat »587, notamment face à la concurrence américaine. Cette position dépasse en outre le cadre des sphères politicienne de gauche, puisque Klaus Schaefer, président de l’instance régionale de soutien au cinéma en Bavière, indique par exemple également cette intervention publique comme la seule chance de survie du film Made in Germany : « Sans cette promotion, le film made in Germany

n'existerait plus en tant que bien culturel et économique »588.

584 Pierre SORLIN, Sociologie du cinéma, op cit., p. 275 585

Stefan DUVVURI, Öffentliche Filmförderung in Deutschland, op cit., p. 3

586 Pierre-Jean BENGHOZI, Le cinéma, entre l’art et l’argent, L’Harmattan, Paris, 1989, p. 28

587 Zukunft des europäischen Films, Nationale und europäische Filmpolitik in der Diskussion, op cit., p. 15 588 Klaus Schaefer cité par Stefan DUVVURI, Öffentliche Filmförderung in Deutschland, op cit., p. 291

Les propos des responsables fédéraux et régionaux recueillis à Berlin font alors état d’une volonté double de promouvoir le cinéma à la fois comme bien économique et bien culturel : ce soutien culturel correspond alors à un engagement renforcé de l’État. Notre enquêtée de la FFA, en tant que représentante institutionnelle, insiste notamment sur la volonté affirmée du gouvernement de promouvoir la culture comme « partie prenante de

l’éducation », tandis que la responsable de Medienboard notifie que les actions de soutien

menées sont à la fois commerciales et culturelles. Cette affirmation de la nécessité d’un soutien « mixte » se situe alors dans la lignée de l’évolution de la FFG, la loi sur les aides publiques au cinéma : depuis ses débuts en 1968, cette dernière est passée d’un statut de « loi économique » à loi « mixte », à la fois économique et culturelle, en 2004589. La nouvelle formule de la loi expose alors cette inflexion vers une rhétorique de qualité culturelle, tout en soulignant que cette dernière doit garantir le succès du cinéma allemand en Allemagne et à l’international : « La FFA doit promouvoir la qualité créative et artistique du film allemand

en tant que condition à son succès dans le pays et à l'étranger »590. Cette affirmation souligne d’une part un volontarisme plus marqué de l’État au sein de la sphère filmique, d’autre part la prise en compte de l’importance du label qualitatif pour l’exportation de sa cinématographie. Quantité et qualité sont alors intrinsèquement liées : il s’agit de soutenir « globalement » la production pour augmenter sa qualité par le biais de sa diversification : les politiques publiques, peu à peu, développent une forme de stratégie d’entreprise en faveur du cinéma allemand et, plus largement, du cinéma Made in Germany. Cette stratégie d’entreprise se met en place principalement par le biais de deux mutations : d’une part la naissance, dans les années 1990, d’un système de promotion intégré, incluant instances régionales et fédérales, d’autre part la mise en œuvre de nouveaux outils de soutien global à la production du cinéma en Allemagne.

Le contexte socio-historique de la réunification est marqué ainsi par la naissance de cette double hélice de la promotion publique au cinéma en tant que « système ».

Les instances régionales dédiées au cinéma ne naissent qu’après la chute du Mur, suite aux revendications des producteurs qui sollicitent la création de ces instances afin de lutter contre les difficultés juridiques et économiques engendrées par la partition du territoire. Citons notamment la création de la fondation de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie

589 Stefan DUVVURI, Öffentliche Filmförderung in Deutschland, op cit., p. 75-76

590 Stefan DUVVURI, Öffentliche Filmförderung in Deutschland, op cit., p. 76-77 (référence à la FFG de 2004)

[Nordrhein-Westfalen-Stiftung] en 1994591. Le Medienboard Berlin Brandenbourg, quant à lui, n’existe que depuis 2004. Notre enquêtée de Medienboard évoque alors une

« professionnalisation » du travail de promotion suite à ces évolutions politiques. Cette

professionnalisation est alors, selon elle, responsable de la « reprise » du cinéma en Allemagne: « En fait, c'est vraiment la promotion régionale du film qui a lancé le cinéma en Allemagne. Le cinéma a commencé à se professionnaliser seulement dans les années 90, et il a alors connu ses premiers succès. »592 Les instances régionales se positionnent alors avant

tout comme soutien à la production, et mettent en place de nouveaux outils qui, par la suite, seront développés au niveau régional. Le concept « d’effet régional » [Regionaleffekt] voit ainsi le jour après la réunification, comme l’expose notre enquêtée de Medienboard. Cet effet régional est avant tout un outil économique. Il s’agit d’attirer des investissements dans la région : pour chaque euro de financement investi, le producteur doit assurer à la région un retour économique plus important, un « chiffre d’affaire » supérieur. L’enquêtée précise alors que c’est par le biais de cet effet régional que les politiciens, au niveau régional, se sont

« lentement » rendus compte que la promotion du cinéma pouvait être une activité lucrative,

car elle générait un chiffre d’affaire supplémentaire pour la région : les sommes allouées à la production ont alors été gonflées, ce qui participe selon elle de l’essor global du Nouveau cinéma allemand.

Le soutien à la production du cinéma acquiert ici une finalité économique, mais il se double également d’un objectif de « visibilité » de la région : l’enquêté évoque une visée de représentation de la « régionalité » [Regionalität] du Land, régionalité qui se décline au niveau fédéral, nous le verrons, sous l’angle de la germanité iconographique. Certains critères d’attribution du financement s’apparentent alors des critères de représentation touristiques de la région : sa géographie, son architecture, sa « beauté », son histoire par exemple : « C'est

aussi la culture de la région qui doit être développée par la promotion. C'est-à-dire l'exposition de ... la beauté, des caractéristiques, de l'architecture, de la géographie, de l'histoire de la région. C'est important. C'est ce qu'on appelle la « régionalité ». Soit le film a été tourné à Berlin, et on le voit dans le film, soit on sait immédiatement que le réalisateur est un réalisateur berlinois, soit il y a un thème consacré à Berlin. »

Ce concept de régionalité semble alors se situer dans la lignée du concept de visibilité de Sorlin : il s’agit, pour le film, de donner à voir une image de la région, de rendre visible ses

591 Jan BERG et Knut HICKETHIER (Dir.), Filmproduktion, Filmförderung, Filmfinanzierung, Editions Sigma,

Berlin, 1994, p. 40

592 Traduction directe des propos recueillis à Berlin. Les propos de nos enquêtés berlinois insérés dans le corps

particularités, de « l’exposer ». En outre, ces enjeux économiques et culturels s’accompagnent d’une intention de développer la région en tant que lieu de production phare [Standort], afin de déployer le cinéma promu en tant qu’industrie fructueuse, bénéficiale à l’ensemble de la région. Le dépliant de présentation de la fondation de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie expose cette finalité de développement de la région comme lieu de production industrielle :

« Les producteurs […] ne sont pas obligés d’être domiciliés en Rhénanie-du-Nord-Westphalie ou en Allemagne. Les films susceptibles d’être promus sont les films de cinéma allemands et internationaux promettant un succès économique et de bonnes recettes d’entrées en salle »593

. Le responsable d’Ufa Cinema que nous avons interrogé indique ainsi que le soutien des régions est essentiellement une promotion en termes de site économique

[Standortförderung]. En 1994 Eugen Alexandrow, producteur berlinois, souligne dans le

cadre des discussions autour de la création de Medienboard la nécessité de créer un « lobby » pour valoriser l’économie cinématographique dans la région de Berlin-Brandebourg. Ce lobby doit favoriser une industrie saine pour permettre la naissance d’une culture cinématographique autonome : « Une culture du film indépendante et active ne peut prospérer qu'avec une

économie du film forte et économiquement saine»594. Berlin se doit donc de devenir, par le biais de son instance régionale, à la fois un lieu de production fort et un lieu de création culturelle : « On ne peut s’imaginer l’épanouissement d’équipes de réalisation expérimentés

et créatives, et la formation de producteurs solides, indépendants, sans avoir en arrière-plan une industrie du film qui fonctionne à plein régime (même par le biais de productions moins ambitieuses)»595. La dichotomie entre industrie et art est donc repensée ici selon un mode renouvelé. Notre enquêtée de Medienboard mentionne ainsi que c’est le paysage général des médias qui doit être élargi, et Berlin, en tant que lieu de production, doit alors être renforcé dans sa capacité à créer des œuvres culturelles: « En premier lieu, il y a le soutien au paysage

médiatique. Il s'agit de faire en sorte que des producteurs de films, présents ici, sur place, puissent réaliser des films. Et c'est là l'objectif principal. Nous voulons renforcer la région dans sa dimension de création médiatique ».

Ainsi les acteurs des politiques publiques, à un niveau régional mettent en avant la nécessité de promouvoir avant tout l’industrie du film afin d’une part de favoriser l’apparition d’un paysage cinématographique allemand plus diversifié, d’autre part de déployer une logique de promotion des sites de production. Ces logiques – promotion économique et

593 Dépliant fourni directement par notre enquêtée de Medienboard à Berlin. 594 Ibid, p. 43 [Traduction effectuée directement depuis le texte en allemand] 595

culturelle, soutien à la quantité, déploiement de la représentativité iconographique, soutien au lieu de production – traversent alors également les prérogatives des instances fédérales. La coopération entre instances régionales et nationales, comme nous l’explique notre enquêtée de

Medienboard, date « seulement » des années 1990, ce qui explique que le « système de promotion, c’est-à-dire la collaboration entre institutions régionales et nationales, ne soit que très récent ». Cette articulation indique alors que promotion régionale et fédérale ne sont plus

désunies mais interagissent au sein d’un même système, par ailleurs traversé par des logiques de centralisation consécutives à la réunification. Notre enquêtée de la FFA précise ainsi que cette articulation s’apparente à une « régulation » [Regulierung] du niveau régional par le niveau fédéral.

Au niveau fédéral en effet, la FFA coopère désormais avec le BKM, créé en 1998 par le gouvernement de Gerhardt Schröder. La création du BKM reflète la volonté de centralisation des politiques culturelles mises en œuvre depuis la réunification, puisqu’elle souligne la volonté de l’État d’une part de désenclaver la culture des prérogatives régionales, d’autre part de l’isoler de ses autres domaines d’action. La culture était en effet, jusqu’en 1998, rattachée au ministère de l’intérieur ou de l’économie. Le BKM, tout comme le FFA, attribue des aides fédérales généralisées à la production du cinéma en Allemagne. Les directives du BKM affichent des objectifs proches de ceux des instances régionales :

« renforcer la production cinématographique en Allemagne », « améliorer l’industrie du film en Allemagne », mais également « développer la compétitivité internationale »596. Le BKM développe ainsi avant tout des arguments en faveur d’une revalorisation de l’industrie cinématographique allemande, même s’il réaffirme également son engagement pour la transmission d’un patrimoine cinématographique futur, « témoin de la culture actuelle » :

« Un film montre l'identité culturelle d'une époque, et la façon d'aborder la vie à cette époque. C'est justement par le biais du cinéma que les générations futures pourront retranscrire ce qui touchait les individus des époques précédentes »597. Le BKM notamment responsable de l’organisation de la cérémonie des prix du film allemand – les Lola, équivalent des Césars – et remet à cette occasion des prix non seulement symboliques, mais aussi économiques pour soutenir la production future des gagnants des trophées. Cette autre forme

596

Source : Directives du BKM 2006 [Richtlinie der BKM, « Anreiz zur Stärkung der Filmproduktion in Deutschland », Editeur : Der Beauftragte der Bundesregierung für Kultur und Medien (BKM), Bonn, 2006]. Disponible sur le site Internet du BKM : www.filmfoerderung-bkm.de]

597 Directives du BKM en 2001, cité par Stefan DUVVURI, Öffentliche Filmförderung in Deutschland, op cit.,

de subvention publique est alors considérée comme un gage pour une production culturelle future de qualité.

De même, le BKM intervient en tant qu’investisseur à deux niveaux de subvention, comme nous l’expose notre enquêtée du BKM : aide aux scénarios d’une part, aide à la production d’autre part. Les critères de subvention, dans les deux cas, reposent pour le BKM sur une logique mixte entre diversification et pérennisation de la production : il s’agit notamment de favoriser, pour le soutien au scénario, des réalisateurs dont les films ont déjà été reconnus qualitativement au sein de la sphère cinématographique. Notre enquêtée prend l’exemple de Robert Thalheim et de Et puis les touristes (2007), qui relate le travail de service civil d’un jeune Allemand au musée du camp d’Auschwitz, et qui suit sa rencontre avec les habitants polonais de la ville. L’enquêtée connaît le film, qui de plus a été distribué à l’international, elle aime la façon dont le réalisateur procède, elle est donc « convaincue » si ce dernier propose un autre scénario et lui accorde sa voix dans le processus de décision de subvention. Ce mécanisme d’orientation de la subvention par la recherche de solidification des succès entre alors en contradiction avec la volonté du BKM, parallèlement, de favoriser la

« création » et la « nouveauté », pour citer notre enquêtée. Ces deux logiques contradictoires

se retrouvent également au niveau régional. Notre enquêtée de Medienboard nous indique tout d’abord que les critères de subvention sont attribués à des films « originaux », « qui n’ont

pas encore été vus de la même manière au cinéma » : ils doivent « porter de nouvelles idées », être « courageux ». Elle indique cependant parallèlement que certains genres sont, à

certaines périodes, privilégiés : elle cite alors les drames et les comédies comme les genres les plus « faciles » à financer, car « lucratifs ».

II.2.1.3) Diversification des outils de soutien : vers une dynamisation

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