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A quelles sources peut puiser une réflexion sur l’éthique?

Dans le document Le partage du paysage (Page 175-184)

DEUXIEME CHAPITRE : LES VALEURS DU PAYSAGE A L’EPREUVE DES TEMPORALITES

I- UNE « ETHIQUE DU PAYSAGE » : EFFET DE MODE OU VÉRITABLE ENJEU DE RECHERCHE ET D’ACTION?

2. A quelles sources peut puiser une réflexion sur l’éthique?

2. A quelles sources peut puiser une réflexion sur l’éthique?

Encore une fois, il ne s’agit en aucun cas de discuter des contenus de cette éventuelle éthique, mais d’essayer de comprendre pourquoi elle se retrouve de manière obstinée au centre du débat et comment elle est réclamée, formulée. En ayant bien à l’esprit que cette injonction à l’éthique relève aussi de l’effet de langage, de la formule, qu’elle peut être instrumentalisée ou servir de leurre. Comment aller au-delà ? Au-delà de la formule sans cesse répétée de la nécessité éthique, et ce à propos d’un objet aussi insaisissable que le paysage, entre matériel et symbolique, entre banal et remarquable. Il n’y a pas de « bon paysage ».

Pour tenter de baliser un chemin, il me semble utile d’une part de s’appuyer sur une conception de l’éthique qui permette de clarifier les enjeux : se départir de la morale d’une part, et réfléchir en termes d’action d’autre part. Pour ensuite, identifier dans la réflexion actuelle qui cherche à croiser l’éthique avec l’environnement et l’esthétique ce qui peut faire avancer la problématique paysagère.

L’apport de Paul Ricœur et le cadre englobant du développement durable

Je m’appuierai pour cela sur l’approche de l’éthique que Paul Ricœur propose dans « Soi-même comme un autre » : « Appelons « visée éthique » la visée de la « vie bonne » avec et

pour autrui dans des institutions justes » (1990, p. 202). L’expression visée éthique souligne l’idée que l’éthique n’est pas dans le paysage, dans des valeurs paysagères, mais dans les finalités de l’action, ce qui répond au souci de mettre l’intentionnalité au cœur de la conception du paysage. La poursuite de la visée éthique par et à propos du paysage signifierait dans ce cas que la relation que chacun vit quotidiennement avec son cadre de vie, relation fondée sur l’appréciation esthétique et le sentiment de bien être et d’attachement qu’il peut alimenter, font partie de cette recherche de « vie bonne » et que la revendiquer pour toute personne est éthiquement nécessaire. C’est ce à quoi en appelle Augustin Berque : « Tel est le fondement ontologique, cosmologique et éthique de toute politique de l’environnement : pour que l’être humain soit humain il faut que la Terre –notre planète, nos paysages, nos maisons- soit à la fois belle et bonne à vivre » (1996, p. 113). Avec et pour autrui parce que cette relation ne peut se vivre dans le repli contemplatif et l’exclusion d’autrui. Dans des institutions justes parce que le paysage participe du politique. Ricœur, dans le commentaire qui suit cette formulation, s’appuie sur les écrits d’Hannah Arendt pour qui ces institutions sont « la structure du vivre-ensemble d’une communauté historique, structure irréductible aux relations interpersonnelles » (1990, p. 227), et se distinguent également des seuls systèmes juridiques et politiques. Hannah Arendt lui indique également les deux mots-clés pour désigner les conditions de ce vivre-ensemble : condition de pluralité (le face-à-face ne suffit pas, le vivre-ensemble inclut les tiers, les anonymes, sans limite dans le temps) et condition de concertation, qui renvoie à la conception de l’action chez Hannah Arendt et à son déploiement dans l’espace public. On le voit, cette conception de l’éthique mobilise les divers mots clés qui sont venus se rattacher au paysage au fil des pages qui précèdent ; elle rencontre les préoccupations évoquées à propos du bien commun, de la responsabilité, et de l’équité.

Il me semble qu’actuellement le paysage se trouve à un point de convergence entre de multiples inspirations, aucune ne se posant comme éthique du paysage mais chacune s’en rapprochant d’une manière ou d’un autre. Tous ces apports, de quelque origine qu’ils soient, se positionnent toujours en fonction du cadre général du développement durable, de ses enjeux et de sa temporalité. Plusieurs auteurs mettent en avant la dimension intrinsèquement éthique de toute démarche de développement durable ; c’est aussi la diffusion et l’appropriation de ce nouveau cadre de négociation et d’action, depuis 1992 mais surtout au cours des dernières années, qui a contribué à amener la question éthique sur le devant de la scène. Ainsi Bernard Kalaora (1998), dans une analyse des transformations des politiques publiques en France, passées de la nature à l’environnement, interprète cette évolution en

termes de nécessité éthique et s’interroge sur la responsabilité ; Antonio Da Cunha et Christian Brodhag (2003) mettent l’éthique au centre des politiques de développement durable, autour de la notion d’éthique du changement. « Le consensus sur la dimension éthique des problèmes environnementaux s’est majoritairement fait autour de préoccupations concernant l’humanité, présente et à venir : générations futures, responsabilité, justice… sont les mots-clé de ce souci éthique » constate Catherine Larrère (2002, p. 71). Cela reste la référence commune, la finalité ultime : la durabilité des systèmes et la justice vis-à-vis des générations à venir ; toutes ces analyses se retrouvent avec un remarquable consensus autour de Hans Jonas et son « principe responsabilité » (1979) ; outre l’influence que son œuvre eut d’emblée sur la conception même de la notion de développement durable, elle a alimenté depuis une active réflexion sur la justice intergénérationnelle (Gosseries A., 2008).

Le paysage, toujours transversal, toujours « trajectif », se trouve ainsi à la charnière entre le politique et l’environnemental et il est tout particulièrement interpellé par l’injonction au développement durable.

Toutefois, on passe difficilement du développement durable au « paysage durable », expression ambiguë s’il en est. En effet, selon une approche naturaliste, notamment en écologie du paysage, on peut mener une évaluation objective des qualités environnementales d’un paysage conçu comme un écosystème, en termes de biodiversité, de gestion des ressources, de préservation des flux au sein du système. Le « bon paysage » serait celui au sein duquel ? grâce auquel ? est préservé un équilibre considéré comme optimal entre l’intervention humaine et l’écosystème. Mais au-delà de l’apparente objectivité de cette évaluation, la question me parait rester largement ouverte. Les exemples abondent dans ce domaine. Citons quelques cas d’écosystèmes plus ou moins artificialisés de montagne (pour choisir des lieux valorisés) : un golf en montagne est souvent déplorable d’un point de vue environnemental mais peut être très apprécié par les habitants et les usagers pour ses qualités esthétiques, pour la reconversion des espaces et le maintien des activités. Une parcelle agricole tombée en friche est unanimement condamnée tant du point de vue économique qu’esthétique ; elle peut être par contre très riche en termes de biodiversité, de qualité des sols et de drainage. Enfin ce qui semblerait pouvoir rassembler tous les suffrages, la montagne « sauvage », sans intervention de l’homme, s’avère souvent moins riche du point de vue de la biodiversité que des alpages régulièrement pâturés. Y a-t-il parmi eux un « paysage durable » ? Il est en outre périlleux de tenter de déterminer ce que l’on pourrait considérer

comme un paysage « naturel » de montagne, au sens de non anthropisé, devenant un étalon de durabilité. Les montagnes sont depuis des siècles occupées, parcourues, défrichées, drainées, irriguées, transformées dans chacune des composantes de l’écosystème.

Le paysage envisagé dans cette logique répond à une conception qui met de côté précisément ce qui nous intéresse dans notre interrogation sur l’éthique : le sensible et l’émotion, les valeurs symboliques, esthétiques, patrimoniales, identitaires dévolues à un lieu. L’ambiguïté reste entière à mon sens entre la forme sensible et le fonctionnement du système. En outre, l’expression suppose que l’éthique est légitimée par les processus naturels en place, non par des valeurs. Qualités environnementales d’un écosystème et paysage « équitable » au sens de Kenneth Olwig cité plus haut, ne relèvent pas de la même dimension, du même ordre de justification.

Écologie du paysage et éthique, si elles peuvent dialoguer, ne procèdent pas des mêmes logiques ; l’une s’appuie sur la mesure, sur des évaluations de processus naturels ou anthropisés, l’autre s’interroge sur les valeurs et sur la construction des accords. Mal comprise, l’expression de « paysage durable » peut même se révéler contre-productive : un paysage durable au sens de pérenne, et non de soutenable, conduit tout droit à la muséification : conserver tel quel un site pour les générations futures. Si la « soutenabilité » rentre en jeux, ce n’est pas pour qualifier les dimensions matérielles du paysage, mais pour interpeller sur ses dimensions sociales en termes d’équité, de responsabilité et de justice intergénérationnelle ; elle peut s’appliquer au projet politique, non au paysage qu’il prône. Par contre, dans notre perspective, il peut être intéressant d’analyser quand, comment, par quels acteurs, les critères de durabilité environnementale sont mobilisés; ce peut être précisément pour arbitrer entre des choix d’aménagement, quand la discussion sur les valeurs symboliques ne permet pas d’aboutir à un accord.

L’impasse de l’éthique environnementale

Dans la vaste sphère des approches environnementales, un courant se distingue dans ce « paysage » de manière plus clairement identifiée, et a pris depuis plusieurs décennies une place incontournable, quitte à être vertement critiquée, il s’agit de l’éthique environnementale, qui a en particulier inspiré les courants américains désignés sous l’appellation deep ecology.

Ce courant a fait l’objet d’une analyse critique approfondie de la part des chercheurs français depuis les années 1990 : Catherine Larrère (1997 et 2002) l’a particulièrement analysé dans ses fondements et ses ramifications, Augustin Berque (1996) s’est livré à une critique méthodique, de même que Luc Ferry qui a dénoncé le « nouvel ordre écologique » (1992) ou Philippe Pelletier qui s’est élevé contre l’ « imposture écologiste » (1993). Il n’est pas utile de revenir en détails sur leurs spécificités, dans la mesure où aucun des grands porte-paroles américains n’a semble-t-il mis le paysage au rang de ses objets de mobilisation. Les débats portent en particulier sur le statut et les droits des non humains, l’attention se focalise sur les animaux, les espèces vivantes, les écosystèmes. Les auteurs les plus connus de la deep ecology anglo-saxonne défendent l’idée que toute entité vivante a une valeur intrinsèque et des droits à défendre. Cela ne signifie pas pour autant que la dimension esthétique soit absente; bien au contraire le thème de la beauté est fréquemment avancé pour justifier de la valeur intrinsèque de la nature. Citons Aldo Leopold, grand inspirateur de la deep ecology et de la notion de « land ethic »: « A thing is right, when it tends to preserve the integrity,

stability and beauty of the biotic community. It is wrong, when it tends otherwise »78 (Aldo

Leopold, A Sand County Almanac, 1949, cité en exergue de Lawrence E. Johnson, 1991). Mais il s’agit alors d’une conception très holistique de la beauté du monde, produit d’une nature sacralisée ; dans les ouvrages des principaux représentants de l’éthique environnementale, le paysage, exclusivement naturel et beau parce que naturel, est mis en avant à propos de la protection des grands espaces de « wilderness » et des parcs (notamment dans George Session, 1995, et Holmes Rolston, 1998).

Ce courant a rencontré peu d’écho sur le vieux continent; les auteurs européens s’intéressant aux relations entre éthique et environnement, plus modérés et clairement anthropocentrés, s’interrogent sur l’accord à trouver entre temporalités naturelles et humaines, entre biodiversité et pluralité des cultures (Larrère Raphaël, 2005). Ils se distinguent notamment en ceci qu’ils en appellent à un traitement autre que technique des débats sur l’environnement: « la question de la maîtrise (éthique) de notre maîtrise (technique) a été posée : le succès de notre emprise technique sur la nature, le développement de notre puissance impliquent de nouvelles dimensions de notre responsabilité, qui nous engage vis-à-vis des générations futures » (Larrère C., 2002, p. 70). En outre, la discussion sur l’éthique et l’environnement en Europe et notamment en France est très inspirée par les apports des « cosmopolitiques » et de manière plus générale par les réflexions sur les relations entre société et nature de Bruno

78

Une chose est juste, quand elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Elle est condamnable quand elle tend vers l’inverse.

Latour. Il est donc bien davantage question de liens, de « symétries » que d’oppositions entre une nature sacralisée et menacée et une société destructrice.

Dans ces débats, où, je l’ai dit, le paysage est globalement absent, la question transversale de la valeur intrinsèque des non humains est néanmoins intéressante à extraire : c’est au nom de cette valeur intrinsèque (d’un arbre, d’un loup…) que les tenants de la deep ecology ont développé des argumentaires notamment juridiques visant à protéger toute composante de la nature. En effet, elle a alimenté en réponse une réflexion sur une éthique anthropocentrée, généralement désignée par l’ « hypothèse de convergence des valeurs ». Celle-ci postule en effet que l’on peut convertir toute valeur intrinsèque (non anthropocentrique) en valeur extrinsèque, c'est-à-dire attribuée à la nature par l’homme. L’homme devenant la mesure de toute chose, des méthodes peuvent être mises au point pour attribuer une valeur à toute entité vivante ou non vivante et également à tout élément de l’environnement au nom de la satisfaction qu’il peut procurer aux sociétés humaines. Nous retrouvons là les méthodes d’évaluation contingente, déjà évoquées plus haut, par exemple celle du consentement à payer, car nombre des démarches mises en œuvre dans cet esprit, ont fait le choix d’établir des valeurs de type économique, répondant à une rationalité guidée par l’intérêt ; la question est de savoir comment arbitrer face aux conflits d’intérêt qui surgissent alors (Larrère C., 2002). Je ne reviendrai pas sur cette question de la valeur marchande du paysage, mais cette réflexion est intéressante car elle permet de faire le lien entre ces divers champs qui traversent les sciences sociales. Elle apparaît aussi, comme dans le cas du « paysage durable », comme une tentative pour élaborer des normes de prise en compte du paysage qui échappent à la question de valeurs symboliques et subjectives, généralement rejetées parce que mouvantes, injustifiables, illégitimes, conflictuelles.

La piste de l’esthétique environnementale

Plus fructueuse est à mon avis la piste de l’esthétique environnementale, courant récent, plus proche des milieux géographiques et de l’aménagement et notamment représenté en France par Nathalie Blanc et Jacques Lolive. Ces travaux sont largement inspirés des approches pragmatistes, qui depuis peu redécouvrent John Dewey (notamment dans Karsenti et Quéré, 2004). Celui-ci, dans le contexte de la fin du XIX° siècle et du début du XX°, a proposé une grille de lecture et d’analyse des expériences du monde qui lie étroitement éthique et esthétique ; il voit dans l’expérience esthétique une forme particulièrement aboutie, complète,

d’agir vertueux, où individuel et collectif se rencontrent. Cette expérience esthétique embrasse tous les lieux et les moments de la vie quotidienne, des gens ordinaires, et pas seulement les objets codifiés par les « beaux arts » et sacralisés dans les musées, livrés à la contemplation désintéressée.

Cette réflexion est aujourd’hui reprise et prolongée par Arnold Berleant (1999) à propos de l’expérience esthétique et du statut de l’objet d’art. J’ai cité en première partie, l’expression ‘the aesthetic of engagement’, un engagement visant non les espaces traditionnellement codifiés au nom du beau et du laid, mais l’ensemble du monde sensible, un engagement qui entraîne à l’immersion sensorielle.

L’esthétique environnementale française s’inspire aussi des écrits de Jacques Rancière, en particulier Le partage du sensible, sur le droit et la capacité de chacun à porter un regard sur ce qui l’entoure. Ces travaux, et notamment ceux de Nathalie Blanc, s’intéressent à la dimension artistique de notre rapport à l’environnement quotidien: quel rôle peuvent tenir les artistes dans la cité et dans les relations vécues par les habitants. Des chercheurs canadiens, comme S. Paquet par exemple, investissent également ce champ en étudiant le rôle des artistes dans les quartiers délaissés, les espaces urbains dégradés. Ce qui intéressera davantage la réflexion proposée ici, ce sont les travaux portant sur les pratiques et les discours des habitants : quelle place pour l’esthétique les habitants revendiquent-ils dans leur vie quotidienne mais aussi mettent-ils en œuvre, en dehors de tout cadre institutionnel ? C’est ce qui a amené Nathalie Blanc à travailler par exemple sur les jardins et parcs publics entretenus par les habitants eux-mêmes (Pays Bas, Russie). Se rapprochant aussi de l’ « éthique du care », elle prône la prise en compte de la proximité, du quotidien, des petits actes ordinaires révélateurs à leur manière, à leur échelle de cette attente d’esthétique : « les gestes de la vie quotidienne participent de la justification de son existence au regard d’injonctions multiples à ses propres yeux et aux yeux d’autrui » (2008, b, p. 7). Elle en appelle ainsi d’une part à un renouvellement de la réflexion sur le développement durable au nom de l’esthétique : « Quel rôle l’esthétique peut-elle avoir dans la définition et la co-construction d’un nouvel espace du sensible qui incorpore des objets inédits, mais qui cesse aussi de faire fi des liens ordinaires sensibles, sensoriels et esthétiques à l’environnement ? » (Blanc N., 2008 a) et au-delà à une « esthétique pragmatique » : « Une esthétique pragmatique permet, sur le plan d’une justice environnementale, de reposer la question de la place des liens singuliers et riches [des] habitants à l’environnement ; une politique des formes, qui donne aux paysages, aux récits, aux ambiances un rôle primordial dans l’élaboration d’un espace public épais, c’est à dire doté de ses dimensions bio-physico-chimiques, renouvelle l’espace public, et l’enrichit de

ses dimensions sensorielles, sensibles, incarnées » (Blanc N., 2008 b, p. 8). Cette inspiration de l’esthétique environnementale ramène, une fois de plus, le paysage au cœur de l’espace public.

Des architectes et des paysagistes se penchent également sur l’activité paysagère ordinaire : les jardins ouvriers, les espaces résiduels de cultures dans les périphéries urbaines, (Donadieu, 1998) où se conjuguent petite production maraîchère, recherche de « nature urbaine » et attente esthétique. On retrouve ici Gilles Clément et le « Tiers paysage ». On le voit, reconnaître au sens plein du terme cette demande et ces pratiques, en tenir compte dans les projets urbains en appelle à une dimension éthique. Quel autre argument peut justifier, par exemple, le maintien de jardins ouvriers locatifs face à la spéculation foncière ou à de grands projets architecturaux ?

Il me semble que cette préoccupation - des habitants et des chercheurs - rejoint une réflexion sur le désintéressement, qui se diffuse dans un registre plus proche de la sociologie et de la philosophie. Cela renvoie également aux grilles d’analyse de l’individu que j’ai développées plus haut et de cet « individu dialogique » qui caractériserait l’époque actuelle. L’intérêt individuel et la rationalité économique, dominent-ils totalement nos comportements, nos choix ? Sommes-nous réduits à l’homo œconomicus ? L’esthétique environnementale entend précisément montrer que d’autres motivations, d’autres valeurs, non seulement guident nos comportements mais peuvent aussi peser dans nos choix. L’individu éthique, qui participe de notre « travail » pour reprendre l’expression de François Dubet, peut joindre des préoccupations exclusivement guidées par la recherche du beau, du sensiblement agréable. John Elster a développé cette question du désintéressement (pris au sens large) dans un ouvrage récent, Le désintéressement, Traité critique de l’homme économique (2009) où il montre de quelle manière la complexité des mobiles porte dans certaines situations le désintéressement comme valeur centrale de l’action, un désintéressement où le bien commun est préféré à l’intérêt individuel.

Peut-on aller au-delà ? Au-delà du constat du besoin d’éthique et de ces quelques pistes pour tenter de clarifier le débat, mais qui ne sauvent pas de la rhétorique creuse.

« Il y a des troubles de la territorialité comme il y a des troubles de la personnalité » écrit

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