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Les relations tumultueuses entre paysage et développement

Dans le document Le partage du paysage (Page 156-159)

LE PAYSAGE DANS LES TERRITOIRES DU QUOTIDIEN

III. LE PAYSAGE, UNE RESSOURCE POUR LE DÉVELOPPEMENT TERRITORIAL ? DURABLE ?

1. Les relations tumultueuses entre paysage et développement

Il faut tout d’abord s’arrêter sur un constat très simple, candide : il n’y a pas à proprement parler de politique de « développement du paysage » ; à propos du paysage les textes officiels parlent de protection, de gestion, de maîtrise, de reconquête, de requalification, voire de création, pas de développement. De leur côté, les politiques de développement, qu’il soit qualifié de local, territorial ou durable, visent généralement à favoriser la croissance, de laquelle devrait découler l’amélioration du bien être des populations, et c’est par ce biais que le paysage est éventuellement invoqué. Ainsi, l’objectif des initiatives et politiques affichant une visée de développement est généralement le maintien des populations, la création d’activités et d’emplois, la relance d’une production agricole, un projet touristique… Dès lors, les démarches qui relèvent d’une intervention ponctuelle sur des composantes matérielles du paysage (lutter contre l’avancée de la forêt, masquer un point noir, aménager une entrée de ville, requalifier un site industriel abandonné, etc.…) peuvent difficilement être considérées comme des politiques de développement à part entière. Elles relèvent d’une prise en compte du paysage devenue obligatoire dans le cadre légal français depuis la loi Paysages.

71 Je m’appuie ici avant tout sur le dossier que nous avons présenté, avec M.J. Fortin et V. Peyrache-Gadeau, dans la revue Développement durable et territoires, publié en septembre 2010 sous le titre « Paysage et développement durable », et je renvoie tout particulièrement à l’introduction de ce dossier.

Le développement signifie le changement, il implique une dynamique, si possible de croissance, qui va influencer la trajectoire du territoire, en mobilisant des ressources, qu’elles soient matérielles ou immatérielles. Or, le paysage est généralement conçu comme un donné, avant tout rattaché à ses composantes naturelles -ou du moins naturalisées- envisagés a priori comme figées, immuables. Cette « fixation » du paysage est appréhendée tantôt comme un obstacle, un facteur d’inertie, tantôt comme un atout.

Bien souvent le paysage apparaît en négatif : le développement doit se faire malgré le paysage, doit tenir compte de, respecter, permettre la conservation de… Le paysage est envisagé a priori comme la victime probable du processus dont il faudra limiter les impacts. La logique d’intervention passe alors par des préconisations, des cahiers des charges, des contraintes qui cherchent à rendre acceptables les impacts sur le paysage ; contraintes de toutes façons imposées par la loi. Cela se règle souvent par la localisation des signes visibles du développement dans les angles morts du paysage, ou leur camouflage : ce sont les zones d’activités entourées d’arbres, les autoroutes « intégrées au paysage ». Ou alors le développement va s’extraire du paysage et prendre place dans des espaces dont on présuppose l’absence de qualité paysagère : les banlieues dégradées, les entrées de ville, les plates-formes industrielles… Pour protéger le paysage ailleurs, et pour d’autres. Ou encore, on négocie la dégradation assumée du paysage par des compensations en termes d’emplois ou de revenus, c’est par exemple ce qui a accompagné la politique des grands barrages hydroélectriques. La compensation peut aussi se faire en termes spatiaux : cette logique se fait d’ailleurs de plus en plus présente, dans divers types de situation, on dégrade ici et en compensation on protège un peu plus loin. C’est la pression à laquelle les espaces protégés sont souvent soumis : échanger en vue d’un équipement la renonciation à une partie de la zone protégée contre une extension ailleurs72.

Dans ces divers cas, le paysage est considéré comme une forme inerte, un donné par rapport auquel les politiques de développement doivent se positionner, mesurer leurs impacts et négocier les solutions.

Fréquente aussi, notamment dans les régions touristiques, est l’idée que le paysage est facteur de développement : c’est le paysage ressource, je reviendrai plus loin sur cette notion. Le

72 C’est en particulier ce que nombre de communes et stations cherchent à négocier avec les Parcs naturels : accepter un équipement ou une extension du domaine skiable dans une zone protégée et en échange étendre la protection à d’autres secteurs moins intéressants d’un point de vue économique. On assiste alors à de subtiles évaluations en termes de potentiel économique vs qualité environnementale.

paysage peut être un facteur d’attraction pour la région, un argument de vente d’un bien immobilier, un élément de marketing commercial ou territorial. Il est ici conçu comme lieu et décor du développement, sachant que bien souvent c’est sa seule représentation iconographique que l’on vend sur les brochures, affiches, emballages et sites promotionnels divers. Le développement intègre le paysage de manière positive comme un apport difficile à quantifier, voire un levier, mais qui est supposé participer au processus. Là encore le paysage, ou l’image que l’on vend, est un donné, tantôt figé, patrimonialisé, quand il s’agit de valoriser un héritage, tantôt susceptible de transformations quand le paysage est considéré comme perfectible dans la logique poursuivie. Peut-on dire pour autant que le développement se fait pour le paysage ? L’objectif visé est ailleurs : création d’emplois, renforcement d’une activité, promotion d’une production agricole, espoir de revenu foncier… Le développement se fait ici grâce au paysage, ou à un paysage optimal.

Une inflexion est intervenue avec la diffusion du « mot d’ordre » du développement durable. Depuis la fin des années 1990, l’injonction paysagère est venue se mouler dans l’armature du développement durable et aujourd’hui les deux semblent se répondre et se renforcer l’un l’autre ; dans le champ des politiques publiques de développement, la référence explicite tant à la durabilité qu’au respect du paysage est devenue un principe normatif. Par l’intégration étroite des problématiques environnementale, économique et sociale qu’il est supposé impliquer, le développement durable trouve dans la thématique paysagère un allié privilégié ; bien des auteurs soulignent l’adéquation du paysage aux finalités du développement durable, le voient comme un « facilitateur » parce que transversal, intégrateurs des diverses dimensions. En retour les objectifs de développement durable viennent parfois conforter les argumentaires en faveur du paysage par leur caractère plus mesurable et objectif. Néanmoins, l’argument de la durabilité, dont on souligne quotidiennement les dérives et les détournements, ne suffit pas à repousser toutes les oppositions et apaiser tous les conflits ; la question du « prix du paysage » est récurrente. Entre les deux pôles : ‘le paysage est un luxe que l’on ne peut pas se payer’ et ‘le paysage est la ressource qui alimente notre développement’, toute les positions du curseur sont possibles et observées.

« Politique de développement du paysage » : l’expression est-elle effectivement à rejeter? Il ressort de ces dernières remarques, qu’elle impliquerait, pour qu’elle trouve une pertinence, que l’on se saisisse du paysage non comme un donné immuable, gage de stabilité, mais comme une variable, une dimension soumise à des processus culturels et sociaux en

permanent ajustement, gage au contraire de questionnement, de projection dans le changement. Avant d’explorer plus avant cette piste, je reviendrai sur une thématique qui occupe une large place dans la littérature sur le paysage, et sur laquelle il est nécessaire de s’arrêter : la question du prix du paysage et plus globalement la question du paysage ressource. En effet, dans l’économie libérale qui nous encadre aujourd'hui, la logique dominante veut que l’on quantifie et que l’on cherche à internaliser tous les éléments du système économique, le paysage n’y réchappe donc pas.

Dans le document Le partage du paysage (Page 156-159)