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Quelles méthodes et outils d’exploitation ?

Dans le document Le partage du paysage (Page 95-98)

3 …et reformulation des enjeux méthodologiques

2. Quelles méthodes et outils d’exploitation ?

La fin des années 1990 a vu un engouement pour l’analyse d’entretiens assistée par ordinateur. Préalablement, au cours des années 80, les techniques de traitement de statistiques s’étaient progressivement étendues aux analyses lexicales et divers outils avaient été développés.

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Dans le cadre d’un programme de recherche mené pour la DDE de l’Ardèche : « Choix résidentiels et gestion de l’espace en sud-Ardèche », 2007-2009.

Cet intérêt pour des démarches lourdes, utilisant des logiciels sophistiqués, est révélatrice d’une recherche de scientificité, via l’outil, pour se prémunir d’une certaine fragilité méthodologique inhérente aux analyses de discours, notamment quand il s’agit d’explorer les imaginaires et les subjectivités. Le chercheur peut-il trouver dans l’appareillage technique la caution scientifique qui parait manquer à sa démarche ? Ce n’est qu’apparence. Tout repose sur le questionnement initial, la qualité du matériau collecté et la rigueur de l’analyse. Un logiciel sophistiqué traitant des entretiens menés à la légère ne changera rien à l’affaire. L’analyse manuelle, par le chercheur qui a mené l’entretien et pourra tenir compte de toutes les spécificités contextuelles signalées plus haut, reste première. Nombre de chercheurs du reste, après avoir testé diverses méthodes automatiques, reviennent à la seule analyse manuelle.

J’ai pour ma part utilisé deux types d’outils informatiques : un logiciel « lourd » d’analyse lexicale et contextuelle, Alceste, et un logiciel « léger » (de type CAQDAS (« Computer Assisted Qualitative Data Analysis Software ») servant essentiellement au codage, N’Vivo. Les deux, bien sûr, en appui à une analyse manuelle. Et en conservant toujours cette règle d’or de l’analyse d’entretien : retarder le plus possible le moment de l’interprétation.

Les outils informatiques ont un intérêt avant tout pratique, surtout quand les transcriptions sont longues et les corpus importants : ils permettent de manipuler sans difficulté ni perte des masses de citations, de les copier, confronter, croiser… . Les fonctions les plus simples de comptage de mots, de référencement entre mots et contexte, de croisements entre termes et variables, allègent et accélèrent énormément le travail d’exploitation. Ce sont là des appuis à l’analyse manuelle pas des outils d’interprétation.

Le principe du logiciel N’Vivo est le codage d’entretiens, c'est-à-dire qu’il permet de référer chaque extrait identifié (de quelques mots à un paragraphe entier) à un ou plusieurs thèmes pré-définis par le chercheur. Ce codage permet ensuite de croiser des extraits entre thèmes (quelles idées sont présentées conjointement, ou non ?), entre thèmes et individus (quels thèmes sont privilégiés par qui ?) et entre individus (quels sont les discours qui se rapprochent ?). Ce logiciel est tout particulièrement adapté à un travail d’équipe ; l’identification des thèmes se fait collectivement et ensuite les entretiens sont codés selon la même logique quel que soit le codeur. La phase d’élaboration des thèmes, à partir des hypothèses de départ et de la grille d’entretien, est une phase déterminante de la méthodologie qui préfigure en grande partie l’exploitation et qui permet de confronter les interprétations sur

les entretiens, de faire préciser à chaque chercheur ses attendus en fonction de son approche39. Toutefois, ce logiciel reste avant tout une aide à la manipulation des entretiens.

Le logiciel Alceste est d’une toute autre nature et vise une véritable aide à l’interprétation. En effet, en plus des fonctions habituelles de comptage et de croisement, il applique une analyse factorielle confrontant éléments lexicaux et variables. Il vise donc à dégager des types de discours, à partir de champs lexicaux, en les référant aux individus les plus représentatifs. Les principaux apports sont d’une part cette « déconnexion » de la machine vis-à-vis des individus, des situations particulières que ne peut pas faire le chercheur ; il traite des fragments de discours, pas des individus. Le second intérêt majeur à mon sens est le fait qu’il intègre des termes que l’on a tendance à négliger dans l’analyse manuelle comme le temps des verbes, les pronoms personnels (nous, je, eux…) les adverbes, etc…. Il met ainsi en lumière des éléments communs de discours entre personnes que le chercheur aurait du mal à distinguer.

Dans le cadre de ma thèse j’ai utilisé ce logiciel pour traiter des entretiens portant sur le territoire et le paysage, et les résultats de l’analyse factorielle ont dégagé de manière assez claire cinq types de discours, en exploitant en partie effectivement des matériaux que je n’avais pas utilisés dans le cadre de l’analyse manuelle. J’avais été moi-même surprise par la pertinence de cette typologie, alors que j’abordai initialement ces outils avec une grande méfiance. La principale différence est que le chercheur tend à identifier des types de locuteurs alors que l’analyse elle dégage des types de discours. Celle-ci tend à fragmenter à l’extrême les entretiens, en privilégiant les approches comparatistes. Néanmoins, si l’on part de l’idée que les entretiens conservent cette part de singularité que je relevais plus haut, liée à la difficulté des personnes à exprimer leur sentiments sur le territoire et leurs pratiques, et aux conditions propres à chaque entretien, l’utilisation de ces outils qui poussent à s’éloigner de cette singularité, ne peut venir qu’en complémentarité avec l’analyse manuelle.

Cela pose une vraie question en termes de démarche d’interprétation : est-ce que l’on s’intéresse à l’échelle individuelle, et l’on veut dans ce cas conserver cette dimension tout au long de l’analyse, quitte à regrouper, classer, comparer ces individus. Ou est-ce que, au contraire, on tend à prendre de la distance vis-à-vis de ces singularités individuelles pour les diluer dans des types de discours plus désincarnés tenus successivement par diverses

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Ce dispositif a été présenté de manière assez précise dans une publication collective : Chardonnel S., Duvillard S., Sgard A., « Devenir propriétaire loin des métropoles : entre contraintes de mobilité et choix de vie ».

personnes. La première prend le risque de l’éparpillement entre la multitude des histoires individuelles et des formes de discours. La seconde prend le risque des généralisations indues à partir d’un matériau, qui lui est toujours collecté auprès d’individus dans les conditions que j’ai pointées plus haut.

Il reste un élément-clé des entretiens, qui permettrait peut être de dépasser ce dilemme, c’est la question de leur logique interne. Les expériences de campagnes d’entretiens sur des thèmes divers m’ont amenée à mettre de plus en plus l’accent sur la construction de l’argumentation, propre à chaque personne, sur les récurrences, les détours, les oublis, les modes de justifications, bref privilégier l’analyse linéaire de chaque discours plutôt que chercher à identifier de manière horizontale des points communs toujours discutables.

On en revient à cette remarque initiale : l’essentiel réside dans le questionnement, les hypothèses, le contexte, à partir desquels on choisit les outils et les démarches. Ainsi, par exemple, dans le cas d’une étude de situation de controverse, l’objectif peut être de mener des entretiens auprès des divers protagonistes autour d’une situation qui est dès lors déjà en partie qualifiée, les camps découpés, les alliances nouées : pour ou contre les éoliennes, par exemple ? L’analyse horizontale, comparative, peut être intéressante dans ce cas pour repérer les argumentaires des divers représentants, les terrains d’alliance, les « chevaux de bataille », les non-dits ou les impensés, etc… Bref, dégager des types de discours correspondant aux divers acteurs mobilisés.

Par contre dans une étude sur des trajectoires résidentielles, visant à comprendre les choix de vie, les formes de territorialités, un sentiment d’appartenance, l’objectif vise davantage à comprendre des parcours individuels et leur mode de présentation et de justification que de tenter de dégager une typologie.

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