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Autre situation de mise en mots du paysage, le parc de la Vanoise

Dans le document Le partage du paysage (Page 140-143)

LE PAYSAGE DANS LES TERRITOIRES DU QUOTIDIEN

5. Autre situation de mise en mots du paysage, le parc de la Vanoise

Pour illustrer cette idée de situation de mise en débat, je voudrais revenir sur l’exemple d’une démarche évoquée en seconde partie, l’expérience menée par le Parc naturel national de la Vanoise, à propos de l’utilisation de l’image et plus particulièrement la représentation photographique de paysage, pour donner prise au débat, et déboucher, parfois, sur un projet de territoire.

Ces démarches exploitent deux ressorts : d’une part la capacité mobilisatrice du paysage dont il a déjà été question, puisqu’il s’agit de proposer des photos du paysage local, du quotidien des acteurs ; d’autre part la dimension visuelle de la photographie qui aide à libérer la parole, donne du matériau aux discussions, suscite réactions et prises de positions. L’objectif de ces démarches est de susciter une discussion collective, donc confronter des idées sur le paysage et en dégager des pistes pour un projet collectif.

Le Parc de la Vanoise a donc consacré ces trois dernières années à la rédaction de sa Charte ; celle-ci est destinée à la fois à servir de document de référence pour le fonctionnement futur

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Je renvoie ici aux travaux de Danny Trom, cité en première partie, qui analyse à ce propos la construction des problèmes publics.

du parc, notamment en termes de prescriptions vis-à-vis des activités et équipements, d’autre part de proposer un argumentaire pour rallier les communes de l’ancienne zone périphérique devenue depuis zone d’adhésion au projet du Parc. C’est donc une rédaction délicate puisqu’elle doit manier la règle et la bannière, convaincre et contraindre. Rédaction difficile aussi en interne, je le signalai en seconde partie, car elle implique une véritable « révolution culturelle » au sein des services.

La loi demande à ce que la Charte présente « le caractère » du parc, expression assez obscure mais qui fait loi et qui a un impact décisif puisque c’est au nom de la préservation de ce caractère que les règles futures devront être édictées. La réflexion collective sur ce qui fait le caractère de la Vanoise a donc occupé une large place dans la préparation de la Charte, ce caractère devant tout à la fois refléter la mission originale du Parc, s’inspirer de l’image que s’en font les habitants, les gestionnaires mais aussi les visiteurs, et se projeter dans l’avenir. De nombreux travaux, ateliers, réunions se sont succédés, auprès des techniciens, des experts, des élus, des habitants. Mais de l’avis de la responsable et des participants, la démarche la plus constructive, la plus riche a été un ensemble d’ateliers menés autour du paysage. Ces ateliers étaient conçus à partir d’un corpus de photographies prises par une photographe professionnelle, ne connaissant pas le massif, commanditée par le Parc pour concevoir et proposer un regard d’artiste sur divers lieux : alpages, stations, sommets, villages, rues, lacs, tourbières….58

Ces ateliers ont réuni d’une part des groupes proches ou internes au Parc : personnel mais aussi gardes-moniteurs, gardien(ne)s de refuges, hôtesse des maisons du parc et avaient pour objectif d’informer et de faire partager la réflexion en cours, réflexion difficile je l’ai dit sur la transformation des missions. D’autres réunions étaient destinées aux habitants et devaient là encore tenter de faire passer à la fois un nouveau message et une nouvelle image du Parc. Dans les deux cas elles devaient en retour servir aux animateurs à collecter des avis, réactions, idées sur cet obscur caractère.

Ce cas de figure est intéressant dans la mesure où il met en avant une institution porteuse d’une histoire à la fois riche et conflictuelle, celle des Parcs nationaux en général et le premier d’entre eux en particulier (Mauz, 2003, 2005) ; ceux-ci sont régulièrement dénoncés pour leur caractère centralisé, leurs procédures « top down », et leur mission de protection de la nature souvent perçue comme un obstacle aux activités et au développement économique local. La rédaction de la Charte, la procédure d’adhésion proposée aux communes englobées dans le

58 Ces photographies prises par Beatrix Von Comta sont fondées sur un choix de départ affirmé : aller à contre courant du paysage publicitaire, du paysage de promotion ; les photographies ont été prises en novembre (ni fleurs, ni feuilles d’automne, pas encore de neige…) par temps plutôt gris, elles sont vides de présence humaine ou animale. Choix risqué mais qui ne semble pas avoir pénalisé la démarche.

périmètre, et la place largement accrue des élus locaux dans les instances ont relancé à la fois le débat, les stratégies locales, les oppositions et les alliances. Ceci dans un contexte spécifique puisque le Parc de la Vanoise est cerné par les stations les plus prestigieuses et les plus convoitées des Alpes françaises. Il ne s’agit pas ici de controverse paysagère, mais d’une situation de tension permanente depuis la création du parc, où les conflits ponctuels apparaissent régulièrement entrecoupés de périodes de calme, voire de collaborations et d’échanges constructifs, au moins de modus vivendi. Les stations prospèrent en partie grâce à l’image positive du parc naturel, et le Parc veille au respect scrupuleux des limites et de la fréquentation de la zone centrale. En outre, il n’y a pas « une population locale » homogène et univoque, mais une pluralité d’acteurs et de discours, selon les rôles officiels, les intérêts économiques mais aussi les vallées et les versants concernés.

Que peut donc bien faire le paysage dans un contexte de ce type ? L’effet mobilisateur et consensuel « fonctionne » ici pleinement dans la mesure où l’image extérieure de nature protégée portée par le parc, répond à une conviction locale partagée que les paysages reconnus comme exceptionnels sont un atout, ont une « valeur marchande » indéniable, constituent un patrimoine, une identité… bref toutes les valeurs habituellement attribuées au paysage se retrouvent ici comme démultipliées. Le contexte local (l’élaboration de la charte) et plus global (incertitude sur l’avenir du tourisme, interrogations sur le changement climatique…) conduisent à se projeter dans l’avenir, à s’interroger sur le devenir des paysages donc du territoire : les images proposées, souvent assez provocatrices, ont permis de susciter discussions et échanges. Par contre, il est trop tôt pour mesurer précisément quelle peut être la contribution de cette expérience à l’avancée du projet de Charte et à son acceptation, la procédure étant en cours ; mais ces ateliers ont eu comme fonction première d’ouvrir un espace d’échange et de discussion, autour d’un objet à partager.

On peut relever également que la plupart des autres parcs nationaux engagés dans cette même procédure ont eu recours à des dispositifs fondés sur les paysages.

Au fil de ces divers exemples, j’espère avoir montré la diversité des modalités de mobilisation du paysage quotidien, telle que je l’ai saisie au cours des expériences de terrain que j’ai pu mener. Toutes se fondent sur des méthodologies qui tentent de confronter le discours de l’individu sur le paysage, notamment à travers les entretiens qui individualisent à l’extrême le point de vue, et la construction d’une pragmatique collective. Comment se configure cette

dialectique entre le singulier et le collectif ? Entre la revendication de liberté individuelle et le glissement qu’opère le même regard vers l’espace public ? Il me semble que la question de la norme, de sa discussion, de son établissement joue un rôle décisif.

Dans le document Le partage du paysage (Page 140-143)