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Le paysage abordé comme ressource territoriale

Dans le document Le partage du paysage (Page 161-164)

LE PAYSAGE DANS LES TERRITOIRES DU QUOTIDIEN

III. LE PAYSAGE, UNE RESSOURCE POUR LE DÉVELOPPEMENT TERRITORIAL ? DURABLE ?

3. Le paysage abordé comme ressource territoriale

Plus fructueuses sont les approches, toujours à la frontière entre économie et géographie, fondées sur la notion de ressource territoriale. L’idée que le paysage est une ressource pour le territoire et ses habitants apparaît au premier abord comme une évidence, notamment dans les espaces ruraux qui sont privilégiés par ces recherches sur les ressources territoriales : bien sur que le paysage (rural) attire les visiteurs, de nouveaux résidents, et participe au bien être des habitants au quotidien. En outre le paysage rencontre nombre des éléments de définition de la ressource territoriale : son caractère construit, son rapport au lieu, son inscription dans une complexité systémique, l’intentionnalité des acteurs. Cette évidence demande à y regarder de plus près. Deux auteurs se sont en France plus particulièrement penchés sur cette

problématique, l’une est économiste, Véronique Peyrache-Gadeau, l’autre géographe, Pierre Derioz, je m’appuierai sur leurs travaux pour aborder cette question.

Ces réflexions partent de la notion de ressource territoriale telle que définie par Hervé Gumuchian et Bernard Pecqueur 73 et viennent donc étayer la discussion sur la nature et le rôle des diverses ressources qui permettent de spécifier et de qualifier un territoire. La question de savoir si le paysage, conçu tant dans ses dimensions matérielles que symboliques74, peut être considéré comme une ressource pour un territoire et donc servir un projet de développement est abordée selon deux approches différentes entre V. Peyrache-Gadeau et P. Dérioz, mais pour aboutir à des conclusions assez proches. La première s’appuie sur une comparaison entre plusieurs projets de territoires qui tous mettent en avant le paysage pour montrer comment celui-ci permet un processus collectif de déconstruction-reconstruction des enjeux et des projets et une mise en évidence des vulnérabilités du territoire. Elle voit dans le paysage une ressource d’un type original, particulier, parce que abordée de manière systémique et dynamique : « le paysage joue le rôle de révélateur de ce qui fait problème dans le territoire, comme matrice ou catalyseur des équilibres et des déséquilibres qu’il est possible d’identifier localement. En cela la question de la dynamique paysagère devient un élément qui peut être central, d’une prospective territoriale articulant étroitement les dimensions matérielles et sensibles, des enjeux socio-économiques et environnementaux. » (V. Peyrache-Gadeau, 2009).

Pierre Dérioz quant à lui, affirme que le paysage est une ressource territoriale en tant que facteur d’attractivité, par son « enrôlement au service de l’élaboration ou de la consolidation d’une identité territoriale », et en tant que cadre de vie quotidien; mais il insiste en même temps sur l’idée que c’est une ressource à la fois « emblématique » et « ambiguë » (Dérioz, 2004). Il s’appuie pour cela essentiellement sur l’usage de l’image de paysage, notamment dans la promotion touristique et le marketing territorial ; on pense ici à l’emblème défini par Michel Lussault (2003), icône du territoire, qui représente ce territoire et les valeurs qui lui sont attribuées ou qu’il revendique. Pierre Dérioz souligne à ce propos le risque de décalage qui peut survenir entre le territoire et l’image qu’il se donne, et insiste également sur les

73 Je rappelle la définition telle qu’elle est formulée par ces deux auteurs : « la ressource est une caractéristique construite d’un territoire spécifique et ce dans une optique de développement. La ressource territorial renvoie donc à une intentionnalité des acteurs concernés, en même temps qu’au substrat idéologique du territoire » (Gumuchian et Pecqueur, 2004).

74 Précision indispensable : les deux auteurs s’appuient sur une conception du paysage comme médiance, envisageant le paysage tant dans sa matérialité que dans ses dimensions symboliques ; à l’opposé des auteurs cités précédemment.

risques entraînés par la fréquentation suscitée par la promotion : « asseoir sur la qualité paysagère la promotion d’un territoire et celle de ses produits suppose certes que la physionomie et les dynamiques du territoire correspondent, au moins en partie, à la lecture qui en est proposée, mais également que cette lecture fasse l’objet d’un consensus social suffisamment large pour que la sauvegarde du paysage fasse figure d’enjeu économique et bénéficie à ce titre d’un véritable effort collectif ». (Dérioz, 2004).

Ressource particulière pour l’une, ressource ambiguë pour l’autre, le paysage on le voit a un peu de mal à se glisser dans l’armature théorique de la ressource territoriale. Il me semble que cela tient à ce qui fait le fondement même du paysage, que les deux auteurs intègrent dans leur réflexion, un paysage à la fois matériel et symbolique, produit d’une perception individuelle ; chaque acteur fait sa propre lecture et surtout se projette différemment dans le devenir du paysage. Le regard porté sur un territoire et les images que l’on peut en faire sont déjà une forme d’ « exploitation » des ressources sensibles qu’il embrasse (composantes végétales, naturelles ou non, patrimoine bâti, formes architecturales…) et des ressources immatérielles qui président à sa lecture : valorisant l’activité pastorale traditionnelle dans le cas du Beaufortain étudié par V. Peyrache-Gadeau, ou l’ancienne occupation en terrasses dans le Pays Viganais chez P. Dérioz. Le regard puise dans ces ressources pour ériger ces portions de territoire en paysages, en laisse d’autres de côté.

Mais ce paysage est-il lui aussi pour autant une ressource territoriale? Cela impliquerait que les acteurs partagent une vision si ce n’est identique du moins commune et que cette vision puisse être valorisée et capitalisée dans une démarche de développement. D’où le détour forcément réducteur par un discours commun, par le projet ou par l’image : sélectionner un type de paysage conforme au projet défendu. Cela explique l’autre point commun de ces deux approches : elles ne se fondent finalement pas sur le paysage in situ mais sur les discours des collectivités porteuses de projet pour l’une, sur l’iconographie pour l’autre. Ce sont ces discours qui spécifient le territoire par l’entremise des représentations du paysage. En outre, ces discours qui visent, c’est leur finalité, une promotion du territoire et de son projet, que ce soit vers l’extérieur ou en interne, cherchent volontiers à rattacher le paysage local à des grands types valorisés par les grilles de lecture dominantes : moyenne montagne pastorale, terrasses cévenoles, pour reprendre les mêmes exemples. Leur rôle dans la spécification du territoire n’est alors pas prépondérant.

De mon point de vue, les ressources mobilisées ici ne sont pas le paysage mais ses représentations collectives: ce sont des ressources iconographiques et discursives produites par les acteurs, qui constituent un fonds commun pour le territoire dans lesquelles eux mêmes ou d’autres peuvent puiser. La déconnexion se fait avec la matérialité du paysage, le sens se fige. Finalement, le concept de ressource territoriale se plie difficilement à cet objet mouvant et insaisissable qu’est le paysage, et en retour, l’outillage théorique de la ressource territoriale n’apporte pas grand-chose à la réflexion sur le paysage. Pour répondre de manière pertinente à la problématique de la ressource territoriale, celle-ci me semble-t-il doit pouvoir offrir aux acteurs non pas tant une matérialité (un patrimoine immatériel par exemple peut remplir les fonctions de ressource), qu’une possible objectivation : la ressource doit pouvoir être identifiée, partagée, capitalisée et transmise (une technique traditionnelle par exemple, peut être décrite, reproduite, transmise). C’est là, à mon avis, que le paysage nous échappe et qu’il ne peut être abordé de manière fructueuse comme une ressource territoriale. Dans le questionnement que je poursuis, le paysage apparaît avant tout comme une ressource discursive, mobilisée par les acteurs pour la justification, la validation et la diffusion d’un projet de territoire plus qu’une ressource territoriale.

En outre, comme je le suggérai en abordant cette thématique, qu’en est-il des paysages moins ou non valorisés, des paysages banals du périurbain, des banlieues, ou des centres villes sans histoire, bref quand l’évidence s’efface. Si l’on en arrive à la conclusion que le paysage est une ressource territoriale dans la mesure où il est déjà valorisé, le raisonnement apparaît quelque peu tautologique.

Dans le document Le partage du paysage (Page 161-164)