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La soumission du législateur local aux principes à valeur constitutionnelle

§ 1 : Des règles de fond sensiblement différentes

3/ La soumission du législateur local aux principes à valeur constitutionnelle

Il convient néanmoins de ne pas être alarmiste, dans la mesure où la majeure partie des règles et des principes de valeur constitutionnelle restent applicables en Nouvelle-Calédonie. Les lois du pays doivent donc s'y conformer. C'est ce qu'à précisé le Conseil d'Etat dans son avis sur la loi du pays relative à la sécurité sociale en Nouvelle-Calédonie.

La mise en place d'un régime unifié d'assurance maladie maternité (R.U.A.M.M.) a provoqué un véritable débat de société, notamment sur la question de la solidarité avec l'affiliation obligatoire des travailleurs indépendants, jusqu'ici libres de s'assurer ou non. En conséquence, des négociations ont été engagées de longue date par les pouvoirs publics et ont été marquées par les manifestations des travailleurs indépendants non désireux d'être affiliés à un régime obligatoire de sécurité sociale.

Un problème, s'agissant des travailleurs indépendants, concerne l'article Lp. 9 de la loi du pays qui décrit avec précision la nature des revenus compris dans l'assiette des cotisations salariales et patronales. Plus loin, l'article Lp. 87 relatif aux cotisations des travailleurs indépendants et retraités distingue plusieurs régimes d'imposition, dont l'imposition au forfait et l'imposition au bénéfice réel. Pour les travailleurs indépendants choisissant l'option du régime du bénéfice réel, il est précisé que sont également pris en compte dans l'assiette de cotisations les revenus tirés de la location de fonds de commerce.

388 Sous les réserves énoncées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2003-474 DC du 17 juillet 2003, préc.

Des normes de référence aménagées

Or, l'avis du Conseil d'Etat rendu sur le projet de loi du pays, dans son point II (e) objectait que l'assujettissement à cotisation des revenus tirés de la location d'un fonds de commerce pour les seuls travailleurs indépendants imposés sur leur bénéfice réel était contraire au principe d'égalité, à partir du moment où aucune différence de situation ne justifiait que les autres travailleurs indépendants et les salariés ne soient pas assujettis de la même manière.

S'agissant des autres travailleurs indépendants, c'est-à-dire ceux ayant choisi l'imposition au forfait, il semble que les revenus tirés de la location d'un fonds de commerce fasse partie de la base de calcul des cotisations, si l'on considère que les bénéfices industriels et commerciaux font partie du revenu qualifié de professionnel. En effet, les termes laconiques employés par le législateur local – « le revenu professionnel pris en compte est

déterminé conformément aux dispositions du Code des impôts de la Nouvelle-Calédonie » – sont susceptibles d'être interprétés différemment,

lorsque l'activité de location n'a aucun rapport avec l'activité principale du travailleur indépendant.

Quoiqu'il en soit, il apparaît une rupture injustifiée du principe d'égalité entre les travailleurs indépendants et les salariés, puisque ces derniers ne cotisent pas sur les revenus tirés de la location d'un fonds de commerce.

Par ailleurs, l'article Lp. 30 exigeait initialement un niveau minimum de revenus pour l'affiliation des travailleurs indépendants au R.U.A.M.M. Cette exigence avait pour effet, selon le Conseil d'Etat, de priver de protection sociale des personnes ayant une activité non salariée régulière. « Elle

entraînerait, au sein de cette catégorie et par rapport aux salariés, des discriminations qui n'apparaissent pas justifiées par l'intérêt général »390.

Le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie n'avait tout d'abord pas cru bon de tenir compte de cet avis, considérant que cette disposition, longuement discutée entre les partenaires sociaux, ne privait personne d'une protection sociale puisque les travailleurs indépendants ainsi exclus du R.U.A.M.M. bénéficiaient de l'aide médicale gratuite, dispensée par les provinces.

Or, l'étude s'est prolongée après le dépôt du projet de loi du pays au Congrès et finalement, il s'est avéré que la continuité entre la prise en charge par la C.A.F.A.T. dans le cadre du R.U.A.M.M. et par les provinces au titre de l'aide médicale gratuite n'était pas garantie et qu'il existait effectivement un risque de discrimination. Dès lors, le rapporteur sur le projet de loi du pays a présenté un amendement visant à supprimer les dispositions imposant un revenu minimum aux travailleurs indépendants pour être affilié au

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R.U.A.M.M.391. Ainsi, comme pour les salariés, l'affiliation et

l'immatriculation des travailleurs indépendants sont obligatoires dès lors que sont réunies les seules conditions d'activité, en dehors de toute considération de revenus. Le législateur du pays commence donc à expérimenter le respect des règles de valeur constitutionnelle.

Pour être exhaustif sur les normes que doivent respecter les lois du pays, il est nécessaire de s'arrêter sur la place de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie dans la hiérarchie des normes et sur la question de son incorporation dans le bloc de constitutionnalité applicable à la Nouvelle-Calédonie.

B – La loi organique statutaire

Il a existé un débat doctrinal en France sur la question de l'incorporation des lois organiques dans le bloc de constitutionnalité. Force est de constater que la première décision du Conseil constitutionnel relative à une loi du pays tend clairement vers un tel rattachement.

Le contrôle par le Conseil constitutionnel est donc effectué par rapport aux règles édictées à l'article 77 de la Constitution, éclairées par les orientations de l'Accord de Nouméa, mais également par rapport à la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie. L'unique contrôle opéré sur une loi du pays à ce jour est révélateur de cette démarche mais ne permet pas d'appréhender certaines problématiques.

1/ La décision n° 2000-1 LP392

La loi du pays instituant une taxe générale sur les services393 est, à l'heure actuelle, la seule loi du pays ayant fait l'objet d'un contrôle par le Conseil constitutionnel394. Elle ne constituait pas la première expérience de la Nouvelle-Calédonie en matière de taxation des services. En effet, en 1994 et 1995 a été appliquée la taxe générale sur les prestations de service (T.G.P.S.). À l'époque, cette taxe, créée par délibération, avait fait l'objet d'une annulation par le juge administratif.

391 Amendement n° 12 bis présenté par Madame Annie BEUSTES.

392 Voir notamment les commentaires de François LUCHAIRE, « Le Conseil

constitutionnel devant la loi du pays en Nouvelle-Calédonie », R.D.P. 2000, p. 554 ; Jean-Eric SCHOETTL, « Le contrôle du Conseil constitutionne sur les lois des territoires d'outre-mer », A.J.D.A. 2000, p. 252.

393 Loi du pays n° 2000-002, préc. 394 Décision n° 2000-1 LP, préc.

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Afin de répondre aux besoins budgétaires nouveaux de la Nouvelle-Calédonie, suite à la réforme institutionnelle entraînant le transfert de nouvelles compétences, il est apparu nécessaire de créer un nouvel impôt. En effet, le besoin de subsides étant estimé à environ quatre milliards de

FCFP395, il était inenvisageable de faire supporter cette charge aux

contribuables par une augmentation des différents impôts sur le revenu. Le Gouvernement a alors proposé une taxe sur les prestations de service, l'instauration d'une taxe sur la valeur ajoutée nécessitant, selon l'exécutif, un renforcement considérable de l'administration fiscale locale.

De surcroît, la création de cette ressource fiscale répondait à la nécessité de compenser diverses affectations de taxes à des organismes chargés d'une mission de service public, en application de l'article 22-1° de la loi

organique396, pour abonder le budget de la Nouvelle-Calédonie.

Cette démarche est d'ailleurs singulière puisque la solution de l'affectation de plusieurs taxes déjà existantes à plusieurs organismes a été préférée à l'affectation de la taxe nouvellement créée.

Le Tribunal administratif a d'ailleurs censuré les délibérations397 à l'origine de cette opération398, l'article 22 de la loi organique n'autorisant selon lui que l'affectation d'une taxe nouvellement créée. Cette annulation a eu pour conséquence de priver divers organismes, dont la caisse de sécurité sociale locale et l'organe visant à développer la desserte aérienne du territoire, de fonds substantiels, entraînant ainsi de graves difficultés financières dans les secteurs social et touristique.

C'est dans ces conditions qu'a été élaboré le projet de loi du pays instituant une taxe générale sur les services. Le 7 décembre 1999, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a donc adopté la loi du pays instituant cette taxe. Puis, à la demande de quatorze conseillers de la Nouvelle-Calédonie et conformément à l'article 103 de la loi organique, la loi du pays a fait l'objet d'une nouvelle délibération du Congrès. Celle-ci a eu lieu le 28 décembre 1999 et le vote a été confirmé. Le 7 janvier 2000, le Président de la Province des Iles Loyauté a alors saisi le Conseil constitutionnel, en application de l'article 104 de la loi organique du 19 mars 1999. Les délais de demande de seconde lecture et de saisine ayant été respectés, la requête a été jugée recevable.

395 Soit environ 33.520.000 euros.

396 Loi organique modifiée n° 99-209 du 19 mars 1999, préc.

397 Délibération n° 28 du 7 décembre 1999 relative aux taux et à l'affectation de certains impôts et taxes, J.O.N.C. du 21 décembre 1999, p. 6507 et délibération n° 49 du 21 décembre 1999 portant création d'un fonds de concours pour la desserte aérienne, J.O.N.C. du 25 janvier 2000, p. 383.

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Le requérant a soulevé deux moyens procéduraux aux fins de censure de la loi du pays. Il reprochait en effet le défaut de consultation du Conseil économique et social d'une part, et celle du comité des finances locales, d'autre part.

L'article 155 de la loi organique précise que le Conseil économique et social est consulté sur les projets et propositions de loi du pays et de délibération du Congrès à caractère économique ou social. Or, faute d'avoir mis en place le Conseil économique et social dans les délais prévus par

l'article 232-4° de la loi organique399, le Gouvernement a décidé de consulter

l'ancien Comité économique et social. Selon le requérant, cela constituait un vice de procédure puisque cette institution intérimaire n'était plus compétente pour se prononcer sur le projet de loi du pays.

Les observations en réponse du Président de la Province Sud précisaient que le délai fixé par la loi organique n'était pas un délai contraignant, et qu'en conséquence, le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie avait pu valablement consulter le Comité économique et social, en lieu et place du Conseil économique et social.

Le Conseil constitutionnel ne s'est pas positionné sur ce terrain. Il a considéré que la loi du pays, « qui modifie le Code des impôts applicable en

Nouvelle-Calédonie, a exclusivement pour objet de créer une nouvelle imposition assise sur les prestations de services effectuées à titre onéreux ; que cette imposition est destinée à abonder le budget de la Nouvelle-Calédonie ; qu'ainsi la loi du pays contestée ne revêt pas un « caractère économique ou social » au sens de l'article 155 » de la loi organique. En

conséquence, la consultation du Comité économique et social en lieu et place du Conseil économique et social n'a aucune incidence sur la validité de la loi du pays.

Cette position est conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel au niveau national. En effet, bien que toute mesure fiscale a forcément des incidences économiques et sociales, il apparaît que ni la jurisprudence, ni les textes n'ont entendu englober la matière fiscale dans les questions économiques et sociales. En effet, donner une portée aussi importante à cette notion impliquerait un trop grand nombre de textes nécessitant un avis du Conseil économique et social.

Le second moyen soulevé par le requérant résidait dans le défaut de consultation du Comité des finances locales, institué par l'article 48 de la loi organique. Comme le Conseil économique et social, ce comité n'était pas

399

Cet article prévoit que le Conseil économique et social devait être mis en place dans les trois mois suivants la première réunion des assemblées de provinces, qui a eu lieu le 14 mai 1999. Il aurait donc normalement dû être installé depuis plusieurs mois à la date d'examen de la loi du pays contestée.

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encore créé à la date d'adoption de la loi du pays, ce qui, en tout état de cause, mettait le Gouvernement dans l'impossibilité de le saisir. Le Président de la Province Sud a argué, à titre principal, de l'absence d'obligation de saisir le Comité des finances locales en matière fiscale, et, à titre subsidiaire, de l'impossibilité de saisir une institution qui n'existe pas.

Pour le Conseil constitutionnel, la loi du pays ayant pour objet exclusif la création d'un nouvel impôt au bénéfice du budget de la Nouvelle-Calédonie, elle ne concerne pas les relations financières entre la Nouvelle-Calédonie, les provinces et les communes. En conséquence, le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie n'était pas tenu de consulter cet organe.

La saisine a donc été rejetée et la loi du pays a été promulguée le 14 février 2000.

Sur de tels points, aucune difficulté ne semble se poser puisqu'il suffit au Conseil constitutionnel d'appliquer sa jurisprudence nationale. Ce sera certainement le cas pour la majorité des saisines. S'agissant des matières qui ne connaissent pas une nature équivalente au niveau national, le Conseil aura toute latitude pour s'aligner sur la jurisprudence du Conseil d'Etat ou créer sa propre ligne jurisprudentielle. Cependant, il reste une matière susceptible de causer un véritable embarras au juge constitutionnel : la matière coutumière.