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§ 2 : Une procédure adaptée aux contraintes locales

3/ Les moyens relevés d'office

L'examen de constitutionnalité porte sur l'ensemble de l'acte déféré et n'est donc pas limité aux dispositions de la loi du pays contestées par les saisissants.

Le Conseil constitutionnel, disposant de ses moyens d'action traditionnels, peut soulever d'office des moyens ou dispositions. Le contentieux des normes étant un contentieux d'ordre public, le Conseil peut statuer sur toutes questions, y compris celles non évoquées par l'auteur d'une saisine. La présence du considérant final du Conseil ainsi rédigé : « Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, d'examiner

d'office aucune question de conformité à la Constitution »365 dans son unique décision relative à une loi du pays, invite à transposer cette jurisprudence au contrôle des normes locales.

Ce pouvoir d'invoquer des moyens d'inconstitutionnalité autres que ceux des saisissants et d'élargir l'objet de l'instance est exprimé depuis 1977366 dans un "considérant-balai" des motifs de la décision rédigé ainsi : « Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de

soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen ».

Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs rappelé en 1996 le principe de

l'étendue du contrôle de constitutionnalité des lois367. La Haute juridiction a

précisé que l'effet d'une saisine est « de mettre en œuvre, avant la clôture de

la procédure législative, la vérification par le Conseil constitutionnel de toutes les dispositions de la loi déférée y compris de celles qui n'ont fait l'objet d'aucune critique de la part de ses auteurs ». Cette affirmation a pour

conséquence que les termes d'une requête ne lient pas le juge. Dès lors, il est du devoir de ce dernier de soulever d'office toute disposition lui paraissant irrégulière.

365

Décision n° 2000-1 LP, préc.

366 Décision n° 77-89 DC du 30 décembre 1977, « Loi de finances pour 1978

(Isoglucose) », Rec., p. 46.

Des modalités procédurales conformes à la tradition française

Il est le plus souvent aisé de repérer l'évocation d'office d'une conclusion ou d'un moyen par le juge constitutionnel. En effet, dans une telle hypothèse, le Conseil ne mentionne pas les arguments des saisissants. Par ailleurs, le juge constitutionnel use quelquefois de la formule suivante, empruntée à la juridiction administrative : « sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens

invoqués ». Au contraire, le "considérant-balai" des motifs de la décision

sus-évoquée témoigne de cette absence d'évocation d'office.

Cependant, bien souvent, la rédaction de la décision fait l'économie de tout renvoi à la motivation du recours, ce qui rend le repérage des moyens soulevés d'office plus délicat. Néanmoins, les échanges d'écritures étant rendus publics, il est dorénavant possible de distinguer les moyens soulevés d'office par le Conseil constitutionnel de ceux soulevés par les saisissants.

S'agissant du contrôle des lois ordinaires, la mise en œuvre du pouvoir d'évocation d'office demeure toutefois modérée en raison de la brièveté du délai imparti au Conseil constitutionnel. On peut s'interroger sur l'influence de la durée du délai d'examen pour les lois du pays368. Il semble que cela dépendra notamment des périodes au cours desquelles interviendront les saisines. Lorsqu'elles auront lieu pendant les périodes de grande activité du Conseil, celui-ci n'utilisera certainement que très peu son pouvoir d'évoquer d'office des moyens, surtout lorsque, saisi en décembre ou en janvier de lois du pays fiscales, conditionnant l'équilibre du budget de la Nouvelle-Calédonie, le Conseil constitutionnel se verra confronté à l'urgence de la promulgation de la loi du pays.

Il est important de souligner que les déclarations d'inconstitutionnalité dans le cadre du contrôle des lois ordinaires le sont, pour plus d'un tiers, sur la base de moyens soulevés d'office par le juge. Cependant, le développement de la technique des réserves d'interprétation a pour conséquence une baisse sensible de cette proportion. S'agissant des lois du pays, et eu égard à l'inexpérience du législateur local, il est probable que cette proportion soit plus importante.

Par ailleurs, il apparaît que ce pouvoir du juge constitutionnel s'exerce principalement à l'encontre de quatre catégories de griefs, au nombre desquels les inconstitutionnalités formelles constituent une part importante. Certaines d'entre elles sont transposables aux lois du pays calédoniennes.

En effet, parmi les violations formelles de la Constitution, le juge est particulièrement attentif aux dispositions qui ne respectent pas la règle de non-affectation des ressources aux dépenses ou aux dispositions organiques contenues dans une loi. S'agissant du premier cas de figure, il eut été intéressant de voir si le Conseil constitutionnel aurait confirmé la position du

368 On rappelle qu'il est de trois mois pour les lois du pays et d'un mois pour les lois ordinaires.

Des modalités procédurales conformes à la tradition française

Conseil d'Etat exprimé dans son avis relatif au projet de loi du pays instaurant une taxe de solidarité sur les services369. En effet, en application du principe d'universalité budgétaire, il n'est normalement pas possible d'affecter une recette à une dépense. Néanmoins, afin de pallier la rigueur de ce principe, l'article 22 de la loi organique du 19 mars 1999 prévoit la possibilité pour la Nouvelle-Calédonie de créer et d'affecter des impôts à des organismes privés chargés d'une mission de service public. La seule restriction à ce dispositif réside dans la non-antériorité de l'impôt par rapport

à l'affectation370. Le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie alors dans

l'impossibilité d'affecter à la caisse de sécurité sociale locale le produit de la taxe générale sur les services (T.G.S.), taxe préexistante, élabora un projet de loi du pays abrogeant les dispositions relatives à la T.G.S. et instaurant une taxe de solidarité sur les services (T.S.S.) identique en tous points, sous réserve des adaptations rendues nécessaires par la pratique de la T.G.S. Le Conseil d'Etat n'y a vu là aucun grief à reprocher au Gouvernement de la

Nouvelle-Calédonie. Toutefois, le Conseil constitutionnel étant

particulièrement attentif aux problèmes de non-affectation des ressources aux dépenses, il aurait peut être considéré ce montage juridique comme une violation de ce principe.

Au nombre des violations substantielles des dispositions

constitutionnelles, on peut très certainement et surtout relever le non respect d'une liberté fondamentale371.

Enfin, le Conseil constitutionnel pourra également transposer aux lois du pays sa jurisprudence relative aux lois déjà promulguées372 qui a un lien particulier avec la Nouvelle-Calédonie. En effet, la décision du 25 janvier 1985 qui a créé cette jurisprudence et la décision du 15 mars 1999 qui en est la première mise en œuvre aboutissant à une censure ont toutes deux été rendues à l'occasion de lois relatives à la Nouvelle-Calédonie. En tout état de cause, on ne voit aucune raison pour que le Conseil constitutionnel n'utilise pas cette jurisprudence. Il sera d'autant plus enclin à le faire qu'il est très peu souvent saisi et que cette technique pourrait lui permettre de censurer des dispositions inconstitutionnelles d'une loi du pays qui ne lui auraient pas été déférées dans le cadre du contrôle a priori.

369 Loi du pays n° 2001-013, préc. 370

C'est du moins ainsi que l'a interprété le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie dans ses jugements du 20 juillet 2000, préc.

371 Voir les développements à ce sujet dans le Chapitre précédent.

Des modalités procédurales conformes à la tradition française C – Les décisions du Conseil constitutionnel

Le projet de décision est ensuite élaboré sous la responsabilité directe du rapporteur et diffusé à l'avance à l'ensemble des membres du Conseil constitutionnel. Le rapporteur présente son rapport lors du délibéré. Celui-ci est très largement ouvert et les autres membres peuvent soulever toutes dispositions qui n'auraient pas été examinées par le rapporteur. Une fois le délibéré achevé, le Secrétaire général retranscrit le texte de la décision.

Le juge constitutionnel français est tenu de statuer par une décision explicite et motivée sur la saisine dans un délai préfix de trois mois.

Ainsi qu'il est détaillé à l'article 105 de la loi organique, quatre cas de figure peuvent être rencontrés :

• Il n’y a pas de disposition inconstitutionnelle, la loi est alors

promulguée dans les dix jours suivant la publication de la décision du Conseil constitutionnel373.

• La loi du pays est inconstitutionnelle, elle ne peut donc être

promulguée.

• Une ou plusieurs dispositions sont inconstitutionnelles et elles

restent inséparables de la loi du pays déférée, celle-ci ne peut donc pas être promulguée.

• Une ou plusieurs dispositions sont inconstitutionnelles mais restent

détachables de la loi du pays déférée. Seules les dispositions litigieuses ne peuvent être promulguées. Dans cette hypothèse, l’article 105 de la loi organique prévoit la possibilité pour le Gouvernement de demander une nouvelle délibération du Congrès sur la ou les dispositions litigieuses dans les dix jours qui suivent la publication de la décision du Conseil constitutionnel au Journal Officiel de la Nouvelle-Calédonie. Alors, le Congrès doit assurer la conformité de la nouvelle disposition avec la Constitution, en application de la décision du Conseil constitutionnel.

Aucune disposition de la loi organique de 1999 ne précise la valeur des décisions du Conseil constitutionnel rendues dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois du pays. Cependant, ce silence ne peut en aucun cas être interprété comme une négation de l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel. En effet, le législateur organique n'a certainement pas ressenti le besoin de le préciser considérant que l'article 62 de la Constitution, qui est parfaitement clair sur l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel, s'applique aux lois du pays.

373 Seule cette hypothèse a, pour l'instant, été rencontrée avec la loi du pays instituant une taxe générale sur les services et la décision n° 2000-1 LP.

Des modalités procédurales conformes à la tradition française

Les décisions du Conseil constitutionnel, quelles qu'elles soient, ne sont susceptibles d'aucun recours et ont l'autorité de la chose jugée. Cette autorité est absolue et les décisions « s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les

autorités administratives et juridictionnelles »374.

Néanmoins, il ressort de la jurisprudence constitutionnelle que l'autorité absolue de la chose jugée des décisions du Conseil est limitée à l'objet du texte examiné, plus précisément au dispositif et aux « motifs qui en sont le

soutien nécessaire et le fondement même »375.

Comme pour les lois ordinaires, la loi du pays contrôlée n'est pas pour

autant revêtue d'un « brevet de constitutionnalité irréfragable »376. Depuis la

décision du Conseil sur la loi de finances pour 1994377, le dispositif des décisions auquel s'attache l'autorité de la chose jugée ne se réfère qu'aux dispositions expressément contrôlées, parce qu'elles ont été contestées ou soulevées d'office, qu'elles soient conformes ou contraires à la Constitution.

374 Article 62 alinéa 2 de la Constitution.

375 Décision n° 62-18 L du 16 janvier 1962, « Loi d'orientation agricole », Rec., p. 31

376 Pascal JAN, op. cit.

377 Décision n° 93-330 DC du 29 décembre 1993, « Loi de finances rectificative

Des normes de référence aménagées