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Les raisons de l'existence de la seconde délibération

UN CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITE CARACTERISTIQUE DES NORMES DE NATURE

2/ Les raisons de l'existence de la seconde délibération

Les raisons d'une telle exigence sont multiples mais reflètent surtout l'inquiétude du Conseil constitutionnel de se voir submerger par les recours.

Lors de la discussion de la loi organique, Jean-Jack Queyranne, alors Secrétaire d'Etat à l'outre-mer, expliquait que cette deuxième délibération est « en quelque sorte, dans l'hypothèse d'une assemblée unique – le Congrès –

le moyen d'instaurer une navette »312. Un tel argument paraît néanmoins peu décisif à partir du moment où il y a identité de protagonistes pour chaque lecture du texte.

Un autre argument en faveur de cette seconde délibération, plus axé cette fois sur le contrôle du Conseil constitutionnel, serait l'introduction d’« une

garantie supplémentaire avant la saisine du Conseil constitutionnel" de

"nature à renforcer le contrôle de constitutionnalité »313.

taxe de solidarité sur les services affectée à la caisse de compensation des prestations familiales des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de la Nouvelle-Calédonie au titre du financement de la sécurité sociale, J.O.N.C. du 31 décembre 2001, p. 6978 et n° 2003-4 du 23 avril 2003 relative à la taxe provinciale sur les communications téléphoniques, J.O.N.C. du 29 avril 2003, p. 2015.

310 Une seule disposition du règlement intérieur évoque la nouvelle délibération pour permettre l'utilisation de la procédure d'urgence pour adopter le texte en seconde lecture.

311 Art. 106 de la loi organique modifiée n° 99-209 du 19 mars 1999, préc.. 312 Ibid.

Des modalités procédurales conformes à la tradition française

De tels arguments paraissent globalement moins refléter une réalité concrète que consister en des propos de portée générale sans implications pratiques.

En réalité, et selon Messieurs Bernard Deladrière et Thierry Lataste314, l'obligation d'une seconde délibération avant toute saisine du Conseil constitutionnel aurait été introduite à la demande de la Haute juridiction elle-même, afin de limiter le nombre de saisine, imposant ainsi une obligation de négocier qui réduirait le nombre de déférés.

En effet, les conseillers, ou toute autre autorité de saisine, peuvent, par la demande de seconde délibération, à laquelle il est obligatoirement fait droit, faire pression sur la majorité et imposer à celle-ci un compromis sur certains points, devant la menace d'une saisine du Conseil constitutionnel.

C'est justement cette dernière raison qui a été invoquée par la commission des lois du Sénat pour émettre un avis favorable sur l'amendement du Gouvernement, considérant qu'il convenait « qu'un dialogue puisse

s'instaurer avant l'introduction d'un recours juridictionnel ». Et comme l'a

précisé Jean-Jack Queyranne, « cette espèce de "seconde lecture"

constituerait un ultime avertissement avant la saisine du Conseil constitutionnel. C'est une possibilité de nouvel examen, certains diront d'un repentir qui pourrait s'exprimer au sein du Congrès ». D'autre part, le

secrétaire d'Etat à l'outre-mer a ajouté que cette seconde lecture « pourra

éventuellement offrir au Conseil constitutionnel des arguments

supplémentaires dans son examen de constitutionnalité » 315.

Il n'en reste pas moins que la seconde délibération garde son rôle d'origine, c'est-à-dire entourer le processus d'adoption de la loi du pays de garanties importantes, étant donné la valeur juridique du texte et le fait que la loi du pays peut « modifier un régime juridique dans une matière

législative concernant la Nouvelle-Calédonie »316.

Cette obligation procédurale peut cependant, dans certaines hypothèses, conduire à des effets pervers, qui ne sont pas de nature à renforcer la sécurité juridique. Il convient d'évoquer ici l'hypothèse où la loi du pays serait adoptée en première lecture selon une procédure irrégulière. La saisine du

314 Bernard DELADRIÈRE a été Secrétaire général du Gouvernement de la

Nouvelle-Calédonie jusqu'en avril 2001, puis directeur de cabinet du Président du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie jusqu'en mai 2004. Thierry LATASTE a exercé les fonctions de Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie de 1999 à 2002. Tous les deux ont participé aux négociations de l'Accord de Nouméa et à la rédaction du projet de loi organique.

315 Débats parlementaires, Sénat, compte-rendu intégral des débats, séance du 3 février 1999.

Des modalités procédurales conformes à la tradition française

Conseil constitutionnel étant impossible à ce stade, il est alors nécessaire pour l'opposition de demander une seconde délibération sur le projet de texte.

Alors, et si la loi du pays est adoptée selon une procédure régulière, les irrégularités commises lors de la première lecture du texte seront sans incidences sur la validité du texte et le Conseil constitutionnel ne pourra censurer la loi du pays du fait des irrégularités commises lors de son adoption initiale.

Cela pourrait être sans véritable enjeu lorsque le vice de procédure n'a pas d'incidence sur le contenu du texte législatif. Néanmoins, si le vice réside dans le décompte des votes et conduit à considérer comme adopté un projet de loi du pays qui n'a pas, en réalité, rassemblé la majorité absolue des voix des conseillers de la Nouvelle-Calédonie, l'obligation de seconde lecture avant toute saisine du Conseil constitutionnel produit un effet pervers de nature à valider un texte législatif initialement rejeté.

Un tel scénario ne constitue pas une utopie. Lors du vote en première lecture de la loi du pays du 31 décembre 2001 instituant une taxe de

solidarité sur les services317, des contestations se sont élevées s'agissant des

modalités de vote, et plus précisément du nombre de voix décomptées en faveur de l'adoption du texte. En effet, alors que le vote a eu lieu par appel nominal, à la demande de six conseillers, vingt-huit voix en faveur du texte ont été comptabilisées par le Président du Congrès. Or, l'une de ces vingt-huit voix, déterminante puisqu'elle a permis d'obtenir la majorité absolue nécessaire à l'adoption de la loi du pays, a été attribuée à un conseiller

indépendantiste au Congrès318. Cependant, ce dernier s'était auparavant

clairement prononcé contre le projet de texte. En conséquence, une seconde délibération de la loi du pays a été demandée par le Président de la Province des Iles Loyauté. La majorité ayant rappelé ses membres à l'ordre, le projet de loi du pays a alors recueilli les vingt-huit voix nécessaires. Cette nouvelle lecture de la loi du pays a en réalité eu pour conséquence de faire adopter régulièrement un texte pourtant rejeté en première lecture.

L'opposition se trouve, dans de telles circonstances, désarmée devant les irrégularités commises, en raison de l'impossibilité de saisir le Conseil constitutionnel avant toute seconde délibération. Un recours a néanmoins été introduit devant le Tribunal administratif par le conseiller Monsieur Charles

317

Loi du pays n° 2001-013, préc.

318 Lors du vote, le conseiller Charles WASHETINE na pas prononcé distinctement

son vote et l'enregistrement des débats permettrait d'affirmer que ce dernier a voté pour le texte…

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Pidjot. La juridiction administrative s'est bien entendu déclarée incompétente

pour connaître de la procédure d'adoption d'une loi du pays319.

Il faut néanmoins préciser que, dans le cas d'espèce, la nouvelle lecture a permis une adoption plus rapide de la loi du pays, dans la mesure où le rejet n'était dû qu'à l'absence de procuration donnée par un conseiller de la majorité absent au moment de la première lecture. Au cas contraire, le Gouvernement aurait dû déposer une nouvelle fois le projet sur le bureau du Congrès et recommencer la procédure.